Sunnata – Zorya


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Un célèbre moine bouddhiste dont je vous épargnerais le nom riche en voyelles a dit : Quand quelque chose est en perpétuelle évolution, dénué de tout élément permanent et stable, on peut aussi dire de lui qu’il est “vide”. Cette notion du « vide » qui ne trouve pas d’équivalent en français se nomme Sunyata en sanskrit. En 2013, le groupe polonais Satellite Beaver s’inspire de ce concept pour se renommer Sunnata, et sort son premier album un an plus tard, Climbing The Colossus. Quand certains groupes donnent l’impression d’avoir trouvé leur nom en ayant mixé fortuitement une divinité égyptienne et un mot hébraïque (ça marche aussi avec votre deuxième prénom et le nom de votre premier animal de compagnie… à moins que je ne confonde), Sunnata a certainement choisi son patronyme en toute connaissance de cause puisqu’il nous présente son dernier album, Zorya, comme une exploration de la nature éphémère du son, bardée de changements furtifs, le tout noyé dans un océan de distorsion. La messe est dite.

Que les choses soient claires, Sunnata excelle dans le riff lourd et groovy, et toute leur virtuosité dans ce domaine a été démontré sur leur précédent et déjà très bon opus, Climbing The Colossus.
Sur celui-ci comme sur Zorya, on retrouve cet habile mélange de doom et de sludge trempé dans une atmosphère sombre et brutale, brutalité fortement épaulée par beaucoup de fuzz et un chant pas loin du grunge. Du coup, quelle différence entre les deux albums, me direz-vous ? Moultes. Là où Climbing The Colossus semble avoir été couché d’un jet très spontané et juvénile, Zorya est bien plus réfléchi et complexe. Ce n’est pas pour rien que nos quatre polonais ont passé un an et demi à se creuser la tête sur ce monolithe, entre expérimentations sonores et coups de burin dans la roche. Et Rodin a du souci à se faire.

5 morceaux, 50 minutes, et un bon nombre de changements d’ambiances, de revirements de situations et de contre-pieds. Quand on vous parlait de l’impermanence des choses…
La recherche de la puissance absolue présente sur le précédent album a ici laissé la place à un groupe plus assagi, plus mûr, plus enclin au méditatif et au spirituel. Le chant clair est bien plus présent et donne lieu à des passages vraiment sublimes, comme sur le titre introductif « Beasts Of Prey » : sur un doux tissu de guitare envoûtant et orientalisant, Szy nous prouve que sa voix peut aussi faire des merveilles quand elle est au repos. Pur chef d’oeuvre. De même sur le morceau suivant, « Zorya », où l’on retrouve ce même brassage des genres, toujours sur le fil de la sagesse et de la démence. Second chef d’oeuvre.
« Long Gone » va jusqu’à oser une ouverture sur une guitare privée de tout effet. Plus loin, après l’agitation, on sombre dans l’oeil du cyclone et on retrouve la sérénité, temporairement, bien sûr… Vous savez, l’impermanence des choses… Sur « New Horizon », le rythme se fait plus lancinant et l’ensemble reste toujours aussi hypnotisant. On retrouve sur « Again and Against » la hargne et la fougue caractéristiques du Sunnata des débuts, mais avec cette touche de maturité en plus, cette troisième testicule, qui pousse le groupe à se risquer dans des régions jusqu’ici inconnues.

D’un bout à l’autre de l’album, la noirceur ne déprécie jamais. Cette ambiance si prenante et souvent responsable de poils hérissés inopinément est servie par une production tout simplement énorme. Vous ne trouverez aucun solo ni aucune démonstration d’une quelconque technicité sur Zorya, mais uniquement des passages à la réverbération magistrale, au rayonnement majestueux, qui bouleversent et prennent aux tripes. Et c’est bien assez. L’album a été réalisé avec ce souci du détail qui nous fait découvrir de nouvelles choses à chaque écoute. Un larsen, un bruit étrange et dérangeant, un crissement strident… Tout a été intelligemment dompté et mis en boîte. Le travail sur les voix est lui aussi incroyable : elles s’entrecoupent, s’entremêlent, se répondent, se font l’écho l’une de l’autre, et finissent par nous tourner la tête.

Zorya apporte les pierres précieuses qu’il manquait à Climbing The Colossus pour en faire de la haute joaillerie. Écouter Zorya est la garantie de partir pour un voyage onirique et hallucinatoire baigné dans le clair-obscur. Il vous suffit de jeter un œil au magnifique artwork pour avoir un léger aperçu du périple. Comme nous l’expliquait Sunnata, tout naît et tout s’évanouit. Mais avec ce monumental Zorya, Sunnata frappe très fort et se trouve ainsi une belle place au sein de l’irrémédiable finitude de toutes les choses. L’album de l’année, si ce n’est plus.

À déguster avec : Un Romanée-Conti 1994 (un grand cru, forcément)

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