JOHN GARCIA – Juin 2014


Chaque rencontre avec John Garcia revêt un caractère particulier, et même si ça m’est arrivé un paquet de fois sur ces quinze dernières années, le personnage d’aujourd’hui a changé : il est complètement impliqué dans son projet, en parle avec passion, explique, défend et justifie ses choix et décisions avec assertivité. Pas de doute, le chanteur s’est complètement approprié ce projet : c’est SON disque. Et puis en parler avec lui une grosse demi-heure en coulisses du Hellfest, en plein soleil, dans une ambiance aride avec sable et poussière, revêt un petit caractère particulier, en présence de l’un des géniteurs du vrai Desert Rock…
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Ton premier album va sortir dans les prochains jours. Pour toutes tes productions précédentes, tu n’étais qu’un des membres du groupe, désormais c’est ton propre disque. Ressens-tu à ce titre une pression particulière ?

Non, pas la moindre pression, au contraire, en réalité je trouve que c’est même une sorte de libération. Il y a une sorte de liberté à se retrouver assis dans le siège du conducteur, à devoir prendre soi-même les décisions nécessaires, sans avoir à parlementer ou consulter quiconque. Et pourtant, tu as raison, il y a quelque chose de spécial pour moi évidemment sur cet album. Je n’ai pas l’intention de changer la face du rock’n’roll, ni même l’égratigner. J’ai passé ma vie à rassembler cet ensemble de chansons, des chansons avec lesquelles j’ai créé un lien personnel, et cela m’a littéralement passionné. Je les ai toutes rangées les unes après les autres au fil du temps dans mon coffre-fort – en réalité il s’agit d’une boîte en carton dans ma chambre – mais je me sentais de plus en plus mal de les regarder stagner là. Je me sentais si attaché émotionnellement à chacune de ces chansons que ça me faisait mal, ça me rendait triste, de les avoir toutes laissées là, de les abandonner en quelque sorte : en les négligeant, j’avais le sentiment de me négliger moi-même. Je ne veux pas que ça paraisse égoïste, mais il m’a semblé qu’enfin le temps de faire quelque chose que j’ai toujours voulu faire était venu.

Quand as-tu commencé à penser à l’éventualité de faire un disque solo ?

Quand j’avais dix-neuf ans.

Vraiment ? Et concrètement tu avais déjà des chansons pour ce disque à l’époque ?

Oui, je suis sérieux ! J’ai écrit la chanson sur laquelle joue Robby Krieger [ndlr : « Her Bullets Energy »] quand j’avais dix-neuf ans.

Les paroles et la musique ?

Non, les paroles sont venues plus tard.

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On a senti les prémices de ce disque il y a quelques années alors que tu en avais lancé une incarnation via le concept-projet « Garcia vs. Garcia ». J’imagine que la concrétisation du disque dans ton esprit a bien avancé depuis ce temps. Lorsque tu écoutes ton disque aujourd’hui, comment le comparerais-tu avec la façon dont tu l’envisageais à l’époque ?

C’est une bonne question. Il est bien meilleur que je ne l’avais espéré à l’époque, en fait. Je pense que c’est lié au fait que j’ai eu beaucoup de temps pour le laisser mûrir, « mariner » en quelque sorte. Mes producteurs, Harper Hug et Trevor Whatever ont facilité ce processus : j’ai passé de super moments dans le studio, à créer et à injecter une nouvelle vie dans ces chansons qui pour certaines – comme « Her Bullets Energy », la plus ancienne dont je te parlais tout à l’heure – existent depuis plusieurs années. Et puis je me dois de rendre honneur à qui de droit : quelqu’un comme Danko Jones m’a écrit une chanson, quel honneur ! C’est vraiment génial. De même, je suis récemment tombé amoureux d’un jeune groupe appelé Black Mastiff, et j’ai repris l’une de leurs chansons appelée « Rolling Stoned ». Donc, tu vois, de nouvelles choses ont été injectées tandis que je m’apprêtais à redonner vie à ces chansons issues de ma vieille boîte en carton. On s’est donc retrouvés – moi, Harper et Trevor – à écouter toutes ces chansons et à sélectionner un par un tous les musiciens pour chaque titre, c’était vraiment cool !

Tu dis que ces chansons et l’idée du projet sont très anciennes, pourtant j’ai l’impression que le processus d’enregistrement a été très rapide, que les choses se sont concrétisées rapidement…

Absolument.

Qu’est-ce qui t’a donné ce coup d’accélérateur ?

Je pense juste que c’était le bon moment, tu vois… Vista Chino voulait enregistrer un nouveau disque, et j’ai dû dire non. « Maintenant c’est à mon tour »… Tous ceux qui connaissent un peu ma carrière savent que je ne reste jamais au même endroit très longtemps. Je suis toujours dans une sorte de processus d’exploration. Mais pour autant il faut toujours être actif, rester dans la partie : j’adore chanter, j’adore monter sur scène, aucun doute là-dessus. Mais on attend de moi des comportements ou des décisions qui ne sont pas forcément ceux que je souhaite adopter. Si tu es un « artiste » [ndlr : fais de gros guillemets avec les doigts en grimaçant…], un véritable « artiste », pourquoi ne restes-tu pas dans ta putain de chambre pour te chanter des sérénades à toi-même ?… Ce n’est pas un trip égoïste « moi moi moi moi moi », mais j’ai une relation avec ces chansons, j’ai une relation avec tous ces gens qui m’ont encouragé durant toutes ces années et sincèrement j’adore toujours autant chanter ! Que ça soit devant cinq personnes ou cinq cents personnes. Regarde : Unida joue ce soir en même temps que Black Sabbath, il est donc très probable que je joue devant moins de cinq personnes, mais je le ferai quand même, ça ne changera rien !

J’imagine qu’on a dû te dire, dans ton entourage, que privilégier ton projet solo n’était pas forcément un choix logique, étant donné que Vista Chino et Unida semblent avoir actuellement un bon potentiel commercial…

[Silence] On m’a dit parfois que ça pouvait nuire à une sorte d’héritage… Mais… Y a t-il des règles ?! Y a t-il des règles pour protéger « l’héritage » de quelqu’un ? Quel est ce putain d’héritage ? Comment quelqu’un peut-il sérieusement dire que je ne devrais pas faire ça pour ne pas nuire à mon « héritage » ?! Je n’arrive même pas à concevoir que quiconque puisse penser ainsi ! « Ca va nuire à ton héritage »… Putain, est-ce que tu as perdu ta putain de tête ?? [ndlr : difficile de retranscrire une phrase avec quatre « fucking »…] Tu es sérieux ?? Tu es en train de me dire que tu te considères comme une putain de légende et que tu vas détruire ton pseudo-héritage… Arrête de déconner… Enfin bref, j’arrête de déblatérer, je pourrai disserter pendant des heures sur tout çà…

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Qui ont été les musiciens avec lesquels tu as enregistré l’album ? Considèrerais-tu cela comme un groupe ?

Non, ce n’était pas du tout un groupe. Tous ces musiciens individuellement très talentueux ont été sélectionnés un par un par Harper Hug, Trevor Whatever et moi-même, spécifiquement pour chacune des chansons. Tom Brayton, le batteur-percussionniste a joué sur tout le disque, et pour l’anecdote, il a tout fait en deux jours ; il l’aurait même fait en un seul jour, mais c’est nous qui n’étions pas prêts ! Mais sinon, tous ces gens, à l’image de Robby Krieger, Nick Oliveri, Mark Diamond et Tom Brayton des Dwarves, Chris Hale et Damon Garrison de Slo Burn, Dave Angstrom et Dandy Brown de Hermano… – je ne t’en cite que quelques uns – sont des gens dont nous nous sommes entourés pour nous aider à créer cette vision que j’avais.

Tu as annoncé il y a quelques semaines à peine le nom des musiciens qui allaient t’accompagner en tournée. Peux-tu nous les présenter brièvement et nous dire comment tu les vois prendre place dans ton projet musical ?

Bien sûr : il s’agit de Greg Saenz à la batterie, Mike Pygmie à la basse et Ehren Groban à la guitare. Et j’espère bien qu’ils continueront avec moi après cette tournée, en tout cas c’est mon but. Ils habitent tous dans le désert comme moi, ils ont tous des parcours et des profils différents, ils ont tous joué dans plusieurs groupes auparavant. On a commencé à répéter et ça fait du bien d’avoir un groupe local ! Unida est mon seul autre groupe dont les musiciens habitent les uns près des autres. Les mecs d’Hermano sont éclatés dans tout le pays, et c’est pareil pour Vista Chino et Kyuss Lives !… Etre capable un jeudi soir ou un vendredi soir de se dire « j’ai un nouveau riff, allons jouer là-dessus et jammer » – « OK, j’amène le barbecue et on mange sur place »… C’est un super feeling.

Dans quelle situation est-ce que cela place tes autres projets, dont tu viens de parler ?

C’est un peu le côté doux-amer de la situation pour moi : cette tournée de Unida sera la dernière que je ferai avant… un bon moment.

Ca fait combien « un bon moment » ?

Un long moment, un très long moment. J’ai garé Vista Chino dans un garage, Hermano est aussi dans le garage, et Unida va bientôt y atterrir aussi.

Et est-ce qu’ils vont tous être dans le même « garage » ou bien l’un d’eux est susceptible d’en sortir plus tôt ?

Je ne me pose même pas la question.

C’est vraiment « John Garcia » en priorité.

Absolument. Je suis très satisfait de ma situation actuelle. J’aime être à la place du conducteur, je m’y sens bien. Tu sais, j’ai toujours voulu faire ça, et c’est génial, enfin ! Ahhhh, la liberté…

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J’aimerais maintenant discuter de quatre chansons un peu spéciales de ton album, à commencer par « Rolling Stoned » dont tu nous as parlé précédemment. On peut imaginer que ton album était susceptible d’intéresser pas mal de musiciens renommés, et pourtant tu as choisi de faire une reprise d’un groupe canadien peu connu…

Le statut ne veut rien dire pour moi. Leur attitude, leur tempérament et leur comportement ne sont pas « cools », et j’aime ça : ils sont vrais, ils sont normaux, on peut les toucher, on peut les approcher et leur parler. Ils ne font pas partie du petit monde « cool », et moi non plus : je ne traîne pas backstage en me la jouant rockstar, parce que je n’en suis pas une et ils ont exactement le même type d’attitude. Je n’ai aucune envie d’être cool, et eux non plus : ils ont juste envie d’être des maris, des pères de famille, des amis… Ce sont des gens normaux ! Ils ont fait la première partie de Vista Chino au Canada, à Edmonton, et ils ont joué cette chanson « Rolling Stoned ». Je n’avais aucune idée de qui il s’agissait, je rentrais juste dans la salle à ce moment-là, et je me suis dit : « Holy shit ! Mais qui sont ces gars ? Je veux reprendre ce titre, je me fous de qui il s’agit, je veux reprendre cette chanson ». Je suis allé les voir après le concert et je leur ai dit : « Je n’ai jamais dit ça à personne d’autre de toute ma vie, mais je vous adore, j’aimerais que vous veniez dans le désert et j’aimerais m’impliquer dans votre prochain album ». Alors ils m’ont regardé et m’ont dit : « tu as probablement bu quelques verres de trop, va faire un tour et passe une bonne nuit ». Et le lendemain, je leur ai dit que je n’avais pas changé d’avis, et mieux encore : je voulais reprendre « Rolling Stoned ».

Parlons de « 5 000 Miles » : tu connais Danko Jones depuis longtemps, tu as chanté sur plusieurs de ses chansons en studio, tu as chanté en live sur certains de ses concerts… Est-ce simplement un juste retour des choses que de le retrouver sur ton album ?

Mais quel honneur, vraiment, je suis un fan de Danko. C’est un ami, et un gars super. Quand « Sleep Is The Enemy » est sorti [ndlr : le troisième album de Danko Jones] et que j’ai fait cette chanson avec lui [ndlr : « Invisible »], il m’a emmené en tournée avec lui juste pour chanter cette chanson avec lui. Quant à « 5000 Miles », on parlait énormément ensemble, de relations : nous avions nos femmes, je venais d’avoir ma fille, nous échangions beaucoup sur tout ça. Et ça m’a rappelé l’émotion que l’on ressent lorsque l’on rentre de tournée pour retrouver sa famille. Par ailleurs, il a aussi enregistré les parties de guitare pour cette chanson, chez lui à Toronto. Mais c’était une super expérience, un honneur, quel mec super…

« All These Walls » est une sorte de nouvelle incarnation de « Cactus Jumper », un titre un peu obscur de Slo Burn. Pourquoi avoir choisi de reprendre ce titre méconnu ?

Bien vu [Sourire]. Cette chanson me parle, plus que d’autres… Je ne sais pas pour quelle raison, je ne connais pas la formule qui fait qu’elle me touche au cœur plus que les autres, mais en tout cas elle est toujours sortie du lot pour moi, je l’ai toujours adorée. C’est un peu comme si je lui avais dit : « J’ai une idée te concernant : je vais te mettre de côté et je te ressortirai plus tard ». Ce n’est pas une nouvelle version améliorée, c’est juste une version différente.

En as-tu changé les paroles ? On dirait que tu l’as fait partiellement…

Tu as raison, je ne les ai pas toutes changées. Pour tout dire, j’ai retiré les parties qui contenaient des grossièretés, je voulais que l’album au global ait une certaine « tenue », pour ne pas dire une certaine classe. J’ai donc changé quelques paroles et je lui ai donné un titre qui me parlait plus.

Le dernier titre dont je voulais parler bien sûr est « Her Bullets Energy ». Comment Bobby Krieger [ndlr : guitariste des Doors] s’est retrouvé dessus ?

La base c’est ça : j’ai toujours adoré les Doors. Tu sais quoi, je ne connais personne qui ne soit pas un fan des Doors, personne qui ne soit un jour venu me dire un truc du genre : « Tu sais quoi : je n’arrive vraiment pas à apprécier ce groupe ». Quand j’ai écrit cette chanson, en 1989, si quelqu’un m’avait dit alors: « Hey, quand tu auras quarante-trois ans tu enregistreras cette chanson et Bobby Krieger viendra jouer de la guitare flamenco dessus », j’aurais répondu : « Tu as pété un plomb, t’es complètement cinglé ! ». Il y a quelques mois, en écoutant cette chanson, ce sont mes producteurs qui m’ont fait la remarque : « J’imagine bien une guitare hispanique sur ce titre » – « J’aime bien cette idée Harper, mais qui connais-tu qui joue de la guitare hispanique ? » – « Et bien, il y a Robby Krieger par exemple » et j’ai répondu : « Arrête tes putains de connerie… Haha, ça serait bien hein, super, wouhou ! Bon, et sinon, sérieusement, t’as des noms ? ». [rires] Mais il m’a dit qu’il connaissait Robby, et a proposé de lui faire écouter la chanson, pour voir s’il l’aimait… Et la première pièce du puzzle était posée. La seconde pièce c’est quand on nous a dit qu’il aimait la chanson, et on s’est donc retrouvés dans son studio à Glendale [ndlr : en banlieue de Los Angeles] pour l’enregistrer…

Mais il ne joue pas toutes les guitares de cette chanson, qui joue le reste ?

C’est vrai. Monique Caravello et Dandy Brown ont tous les deux joué les parties de guitare acoustique sur cette chanson, tandis que Robby a fait toutes les parties solo sur la chanson : c’est comme s’il avait fait des soli et improvisé sur tout le long de la chanson. C’était un moment monumental d’être dans le studio avec lui pendant qu’il jouait ses parties…

Ca filait la chair de poule, j’imagine…

La chair de poule, tu parles : je me chiais littéralement dessus oui [rires] ! Et puis c’est un mec vraiment sympa. Je ne joue pas au golf, mais lui si, beaucoup, et on a parlé de golf bien plus qu’on n’a parlé de la chanson ! Étant donné que j’habite dans un coin où il y a plein de golfs, il vient souvent y jouer, en fait, c’est rigolo…

As-tu déjà réfléchi à quoi vont ressembler tes setlists sur la tournée à venir, quels morceaux tu vas jouer ?

Oui. Évidemment je vais jouer des morceaux issus de mon album, une large part de l’album même. C’est normal. Mais je voudrais rajeunir un peu le set… Par exemple, je voudrais y mettre du Slo Burn. On va aussi bien sûr jouer quelques titres de Kyuss, mais des chansons que ni Vista Chino, ni Kyuss Lives, n’ont jamais jouées, et que même Kyuss, à l’époque, a peu ou pas jouées : des chansons que j’aime et que les fans ont rarement entendues. « Thong Song », « Gloria Lewis » et même des instrumentaux comme « 800 »… Des titres un peu en dehors même de ce que Kyuss avait l’habitude de jouer, des chansons auxquelles les gens ne s’attendent pas. Tu sais, j’adore toujours autant un bon vieux « Green Machine » et les autres… Donc on va bien jouer quelques classiques, mais on va aussi injecter pas mal de nouveautés.

 

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