HERMANO – juin 2005


Les rencontres avec Dandy Brown sont toujours des moments privilégiés, le véritable leader de Hermano étant autant affable que sincère. Chaque interview réserve donc son lot de révélations et d’aveux courageux. Cette interview ne fait pas exception. Un bilan est le bienvenu après la sortie de « Dare I Say » et la tournée qui l’a suivi.

 

« Dare I Say » est sorti il y a plus de 6 mois, vous l’avez donc enregistré il y a environ un an aujourd’hui… Comment le vois-tu avec le recul ? je pense surtout à votre manière pour le moins originale de l’avoir enregistré (ndlr : tous les musiciens ont enregistré leurs parties séparément et échangeaient les fichiers par internet !)…

Pour être honnête, avec tous les albums sur lesquels j’ai travaillé, il y a toujours une période durant laquelle je ne l’écoute pas une seule fois. Là par exemple, cela doit bien faire 6 ou 4 mois que je n’ai pas écouté « Dare I Say », donc ce n’est pas facile de répondre à ta question…

Durant l’enregistrement de chaque album, on écoute chaque chanson tant de fois qu’au bout du compte on est vraiment « usé », il devient vital e prendre un peu de recul par rapport aux chansons, avant de pouvoir les écouter à nouveau. Et cela a été le cas pour toutes les sessions auxquelles j’ai participé. Quand on a eu enregistré « Only A Suggestion », je crois que je n’ai pas réécouté les bandes pendant au moins 2 ans, et quand je l’ai finalement fait, j’avais une approche totalement « fraîche » de la musique… comme si elle était toute neuve.

Bien sûr, Hermano n’est pas un groupe comme les autres, comme tu le sais, et on ne pouvait pas faire autrement que d’enregistrer de différents endroits. Il faut vraiment que les gens gardent à l’esprit que Hermano est un groupe « indépendant », sur un label indépendant, alors autant te dire qu’il n’y a pas de budget de 5 millions de dollars disponible pour les enregistrements. On ne peut tout simplement pas se permettre le luxe de des douzaines de voyages tous les week ends à travers le pays dans le but d’être tous dans le même studio pour composer, arranger et enregistrer. Notre approche pour « Dare I Say » a donc été pour le moins pragmatique pour parvenir à finaliser ce projet. Mais finalement, j’ai beau être particulièrement tatillon pour tout ce qui concerne la qualité de la production de mes disques, je pense qu’on a sorti quelque chose de plutôt incroyable, quand tu penses à la logistique mise en œuvre et au budget utilisé, et la manière dont on est parvenus à mener à bien ces sessions. Bien entendu, il y a des petits détails sur chaque album, quelles qu’aient été les circonstances dans lesquelles il a été enregistré, que je vais remarquer après coup en me disant que j’aurais bien aimé les changer. Je ne pense pas qu’il y ait un seul musicien au monde qui soit complètement satisfait de chaque seconde de chacun de ses disques…

 

Ca ressemble quand même à un sacré cauchemar, tu penses que le prochain album sera aussi enregistré ainsi ?

Et bien, d’une certaine manière, le prochain album est déjà enregistré ! Il s’agit d’un album live ! Nous l’avons enregistré à Den Bosch en Hollande, en décembre 2004, et il sonne super bien. Je suis vraiment très excité à l’idée de sortir ces enregistrements, parce que c’est vraiment du pur « live », tu vois ce que je veux dire, pas d’over-dub, d’arrangement ou autres améliorations, on a simplement masterisé le tout pour augmenter le volume général. Au début, on avait simplement filmé plein de choses au cours de la tournée Angry American en novembre et décembre 2004, et puis on a décidé d’enregistrer notre dernier concert pour rajouter au DVD. Alors quand les mecs de notre label Suburban Records ainsi que notre management en Europe m’ont dit que la qualité des enregistrements étaient excellentes, au delà de leurs espérances, j’avoue que j’étais dubitatif… J’ai vraiment écouté des douzaines d’albums live de plein de groupes, et j’ai rarement été impressionné. Mais finalement, quand j’ai reçu le CDR de l’enregistrement, je peux t’assurer que j’ai eu un sourire béat sur le visage pendant plusieurs heures ensuite ! Ca m’a vraiment chamboulé, et je pense que ça fera le même effet sur tous ceux qui l’écouteront. Tous ceux qui connaissent Hermano savent que c’est vraiment seulement au cours des performances live que le groupe retrouve sa vraie identité. C’est quelque chose qui est apparent à travers ces enregistrements live. Il me tarde vraiment que ça sorte en septembre. Je me répète, mais comme tu vois, je suis vraiment excité par ce projet !

C’est vrai que j’ai eu la chance d’écouter cet enregistrement, je confirme qu’il est excellent. Ma question concernait plutôt l’album studio à venir, mais tu l’as habilement détournée pour faire de la promo éhontée !

Hahaha, je sais, désolé ! En ce qui concerne le prochain album studio, tout ce que je peux te dire c’est qu’on a déjà échangé pas mal de riffs ces derniers mois, et on a organisé nos emplois du temps pour enregistrer en décembre. Il y aura certes quelques fichiers sonores qui passeront via internet, ou autres DVD envoyés des uns aux autres, mais l’idée c’est quand même de rassembler tout le monde dans un studio pour enregistrer les chansons, cette fois. Ca répond mieux à ta question ?

Oui ! Mais tu pourrais pas nous en dire un peu plus ? Sur le line up par exemple, des invités ?

Le line up pour cet album sera à peu près le même qu’aujourd’hui, à une exception près : Mike Callahan (ndlr : le guitariste rythmique originel de Hermano, qui a joué sur « Only a Suggestion » puis a quitté le groupe lorsqu’il a pu rejoindre le groupe Earshot, aujourd’hui au bord du split si on en croît les rumeurs) fera à nouveau partie du groupe pour ces sessions. En fait, on a fait un concert il y a quatre mois environ avec Mike, et c’était une expérience incroyable de jouer à ses cotés à nouveau après une interruption de presque six ans ! On est tous très heureux de le voir rejoindre le groupe à nouveau, pas seulement parce que c’est un musicien et un compositeur hors pair, mais surtout parce que c’est génial de retrouver un copain.

Et en ce qui concerne les invités, et bien, je ne devrais pas vraiment mentionner qui que ce soit, mais je peux juste te dire qu’il y aura un certain nombre de surprises sur cet album, et il me tarde vraiment !

 

Bon, je te retrouve aujourd’hui au Festimad… Encore un festival en Europe… Comment expliques-tu le fait que tu joues autant de concerts en Europe et si peu finalement dans ton propre pays ?

Si tu demandes à n’importe quelle personne qui suit un peu l’évolution de la musique aux Etats-Unis, elle te dira forcément que pour les 10 dernières années environ l’état de la musique et l’appréciation qu’en a le public est déplorable. La sensibilité des gens et leur appréciation de toute musique un tant soit peu créative, imaginative et intègre a totalement disparu depuis au moins 10 ans. Je n’ai vraiment pas l’intention de manquer de respect tous les publics et les artistes aux Etats-Unis en disant ça, mais ce n’est un secret pour personne si je dis que tout ce qui ne rentre pas dans le moule du rock formaté, de la R&B aseptisée, ou de cette merde infâme qu’ils appellent « country moderne », a bien du mal à rencontrer un minimum de succès public aux USA. Pour une raison que j’ignore, la plupart des gens qui achètent des disques et vont voir des concerts ne sont pas intéressés par le fait de découvrir quelque chose de frais et nouveau. C’est un peu comme si tout le monde voulait entendre les mêmes sons chez tous les groupes, et que les publics ont peur de prendre des risques en essayant d’écouter quoi que ce soit qui sorte de cette « formule magique ». Je trouve ça terriblement triste personnellement. On vient donc en Europe plus souvent qu’on ne joue aux USA tout simplement parce qu’il semble qu’il y ait ici un plus grand pourcentage de personnes qui sont prêtes à s’ouvrir l’esprit sur quelque chose de neuf, quelque chose de différent de ce que toutes les grosses maisons de disques leur font bouffer à longueur de journée. Ce n’est pas plus compliqué !

En plus, autant cette fois c’est encore un grand festival, autant la dernière tournée se déroulait dans des clubs plus confidentiels. Quelle configuration préfères-tu, festival ou clubs ?

Je m’en moque, mec ! J’aime juste jouer ! Peu importe où c’est.

Tu as vu l’affiche du Festimad j’imagine, quels groupes as-tu déjà vus et as-tu apprécié, et lesquels te tarde-t-il de voir aujourd’hui ?

Franchement, en arrivant, je peux te dire que plus de la moitié des groupes m’intéressaient beaucoup ! J’attends impatiemment Mondo Generator, je ne les ai encore jamais vus, je ne les raterai pas. Même chose pour Marylin Manson hier soir, j’ai trouvé qu’il proposait un spectacle très sympa, divertissant. Clutch est incroyable. Nightwish hier, c’était un peu too much, par contre… J’ai pas vraiment accroché. Pas trop à mon goût, tout simplement.

 

Une question qui me trotte depuis pas mal d’années : qu’est-ce qu’il y a de spécial entre Dandy et l’Espagne ? Tes deux projets principaux ont des noms espagnols (Hermano et Orquesta Del Desierto), tu as joué dans plusieurs gros festivals espagnols, tu y as fait plein de concerts, tu as un label espagnol pour Orquesta… Etrange ! Pure coïncidence ou passion cachée ?

Oh, je ne fais pas de mystère de mon amour pour l’Espagne, tu sais. J’ai été frappé il y a très longtemps par cette attirance envers l’Espagne, et on dirait que ça m’a suivi au cours des années. J’aimerais d’ailleurs parler la langue un peu plus que les quelques centaines de mots et expressions que je connaisse ! C’est vraiment un superbe pays, et je suis vraiment honoré du fait qu’ils aient montré à ce jour autant d’intérêt envers la musique que j’ai créée ces dernières années.

Avec les années, vu de l’extérieur, il apparaît que peu à peu Hermano et ODD paraissent de moins en moins « les projets de Dandy », et de plus en plus des groupes à part entière. On remarque d’ailleurs que pour le second album de chaque projet, d’autres musiciens sont devenus les compositeurs principaux (Mike Riley et Mark Engel sur ODD, Dave Angstrom sur Hermano). Est-ce voulu ? Le ressens-tu ainsi toi aussi ?

Et bien ce que je peux te dire, c’est que les deux groupes sont devenus exactement ce que j’avais toujours souhaité (et prévu) qu’ils deviennent, depuis le commencement. Aux débuts des deux groupes, je n’avais qu’une vision, et un paquet de chansons pour démarrer. Mais une fois qu’ils se sont mis en place et ont commencé à évoluer, ça m’a paru évident qu’il fallait encourager les autres à contribuer plus, l’inverse aurait été stupide ! Je suis entouré par non seulement d’excellents musiciens, mais aussi d’excellents compositeurs ! Quoi qu’il advienne, en tout cas, je pense que la vision originale restera toujours attachée aux deux groupes, et que même si je ne contribue pas à la moindre chanson sur un disque, je pourrais toujours ressentir ma présence dans le groupe.

 

Dis-m’en plus sur le DVD sur lequel vous travaillez, auquel tu faisais allusion tout à l’heure…

Je pense qu’il sortira début 2006. Le mec qui a filmé le contenu s’est retrouvé avec 30 à 40 heures de bandes vidéos, et ça prend un certain temps de visionner et sélectionner tout ça ! Mais bon, je peux en imaginer la teneur, et je pense que ça ressemblera grosso modo à une sorte d’étude appliquée sur l’ivresse et la débauche… Enfin, en tout cas c’est ce dont je me souviens quand la caméra tournait !

A quoi peut-on s’attendre de la part d’Orquesta dans les mois qui viennent ?

Avec Orquesta on va enregistrer notre troisième album en août, et on a l’intention de le sortir avec Alone Records début 2006. Je crois qu’on a écrit nos meilleures chansons à ce jour, et tous les musiciens impliqués sont aussi excités que moi à l’idée de se retrouver dans le studio ! Je crois qu’avec la sortie de « Dos », Orquesta s’est vraiment révélé en tant que groupe. Le prochain album marquera clairement un ancrage dans ce confort d’une part, et une progression dans ce sens.

Une question générale, maintenant : on se connaît depuis plusieurs années, et je me demandais si, connaissant ta passion pour la musique, tu souhaiterais aujourd’hui que ça soit ton métier à plein temps ? Etre capable d’en vivre, c’est bien, mais aimerais-tu perdre ton vrai métier et ta vie actuelle, plus « terre à terre » ?

Et bien, j’imagine que ça dépend de ce que tu entends par « en vivre », finalement. Je peux simplement te dire que durant les 3-4 années passées, on a eu l’opportunité avec Hermano de s’engager et de tourner à temps plein, et dans ces conditions tu peux arriver à en vivre. D’un autre coté, je pense qu’il y a un lourd prix à payer pour vivre cette vie. La plus grande joie dans ma vie est la possibilité de voir mes enfants grandir. Donc à chaque fois qu’on a eu ces propositions, il y a toujours une forte hésitation, parce que ça signifie de longues périodes de temps durant lesquelles je manquerai des moments importants dans la croissance de mes enfants. Rien que ça, ça rend cette décision difficile… Une décision qui revient à envisager à quel point cette option est « lucrative », de passer tant de temps sur la route. Bien sûr, je vais être totalement honnête avec toi, si on nous proposait une somme d’argent énorme, je serai obligé d’y voir aussi la possibilité de rendre la vie plus facile, généralement, et aussi de voir le champ des opportunités grandir concernant mes enfants et leur éducation, par exemple. Mais la question ne se pose pas, de toute façon : à l’heure actuelle, ce qu’on peut me proposer pour vivre de la musique correspond peu ou prou à mon salaire d’enseignant de lycée, et ce n’est donc pas une raison suffisante pour me faire rater ces moments passés avec mes enfants. Mais ne te méprends pas sur mes propos, j’adore jouer de la musique, mais dans la vie je pense qu’il y a certaines priorités qui doivent rester en haut de la liste ! Une chose est sûre, c’est que ma famille et son bien-être sont, et de loin, plus importants que la possibilité pour moi de jouer de la musique tous les soirs…

juin 2005 par Laurent.

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