TOADLIQUOR – août 2003


Bien que le peu d’informations disponibles sur le net indiquaient que Toadliquor était mort, il me fallait interviewer un membre de ce groupe. J’éprouvais le besoin d’en savoir davantage sur les gars qui avaient composé un disque aussi sublime et désespéré que « The Hortator’s lament ». Après avoir franchi un certain nombre de barrages, j’ai finalement eu accès à leur batteur, Guff, qui m’a tout d’abord appris que la formation était toujours en activité. Divine nouvelle. Cependant, n’est il pas curieux qu’un groupe existant depuis plus d’une décennie ne dispose d’aucune photo de presse ? Ce n’est pas le moindre des énigmes qui entoure ce groupe hors du commun. En effet, il se trouve que le gars Guff a soigneusement évité de répondre à certaines de mes questions. Qu’il veille à préserver un certain halo de mystère autour du groupe ne serait pas étonnant. L’imposante fresque sonore que les membres de Toadliquor ont réussi à édifier ne se décrypte pas aussi aisément, quand bien même on s’adresse à l’un de ses concepteurs. Voici néanmoins ce que j’ai pu tirer de nos conversations.

 

Pour commencer, peux-tu présenter le groupe s’il te plait ?

Rex est le chanteur, Luther et Seth sont aux guitares, Durk joue de la basse et moi-même, Guff me tiens derrière la batterie.

Hormis votre CD, je n’ai trouvé aucune info vous concernant, peux-tu me faire un résumé de la carrière du groupe ?

J’ai du mal à m’en souvenir. Nous avons commencé il y a longtemps sous des line-up différents. Le Toadliquor moderne naît à la fin des années 80. En 1990, un truc comme ça. Nous avons perdu Cain, notre premier chanteur en route. Rex nous a rejoint en 1991. Et nous avons sorti quelques enregistrements dans la foulée.

Que fait Rex aujourd’hui ?

Il n’est plus avec nous, je ne peux pas en dire beaucoup plus.

D’où venez-vous ?

Pas certain que je sache. J’ai une meilleure idée de l’endroit où nous allons, quoiqu’il me soit impossible de savoir quelle serait la destination finale. Le temps vient à nous en même temps qu’il nous échappe. De ce mouvement naît le savoir, et, je l’espère, la sagesse. Notre progression en découle. [Ma question concernait évidemment la localisation géographique du groupe. Tout ce que j’ai réussi à savoir, c’est que Guff habite Olympia, dans l’Etat de Washington].

Si j’en crois les informations que j’ai pu trouver sur votre CD, vos premiers enregistrements datent d’octobre 1993. Cela signifie que votre discographie démarre sensiblement en même temps que celles d’Eyehategod ou de Grief. Est-ce que tu confirmes ?

Nous avons commencé un peu avant cela comme je te l’ai déjà précisé auparavant. Nous avons enregistré plusieurs démos et avons donné beaucoup de concerts avant d’avoir enregistré cet album. Le temps lui-même n’a que peu d’importance. Les choses que le temps nous enseigne sont par contre beaucoup plus importantes. Et j’espère qu’elles se révèlent au travers de la musique elle-même.

Vous semblez avoir un rythme de travail relativement lent, vous n’avez enregistré qu’un seul album depuis le début de votre carrière. Quelles en sont raisons ?

Nous ne sommes pas pressés. Nous habitons vraiment loin les uns des autres et il ne nous est possible de nous retrouver que pendant quelques jours de temps à autre, assez rarement en fait.

Comment se fait-il que nous n’ayons jamais entendu parler de vous avant la sortie de votre disque ? J’étais aux Etats-Unis au mois de juin, j’y ai rencontré pas mal de metalheads et aucun d’entre eux n’a jamais entendu parler de vous. Comment expliques-tu cela ?

Je ne suis pas certain que notre musique rentre dans un cadre metal. Il fallait chercher très fort avant que Southern Lord ne sorte le disque. Surtout si tu cherchais dans ce qui a trait à la culture metal.

Ok, alors selon toi, quel type de musique jouez-vous ? Pensez vous appartenir à une scène musicale particulière ?

C’est la question la plus redoutable pour un groupe. Je ne sais pas exactement comment appeler notre musique. Nous produisons une musique que les gens qualifient de heavy , mais qui selon moi, tente également de transcender son propre poids.

« The Hortator’s lament » exerce un très gros effet sur moi. C’est assez incroyable. Jamais je n’ai entendu de voix aussi désespérée. Les hurlements sur Charred sont si effroyablement humains. Réellement éblouissant. Quel est votre état d’esprit lorsque votre processus créatif est enclenché ?

Merci beaucoup. Notre état d’esprit et la relation que nous entretenons à notre créativité a évolué avec le temps. Lorsque nous étions plus jeunes, nous étions traversé par beaucoup d’énergie et quantité d’émotions incontrôlées. Progressivement, nous somme parvenus à mieux canaliser ces éléments. Dans le même temps, nos relations interpersonnelles se sont enrichies d’un sens nouveau. Il y a beaucoup d’amour et d’excitation créatrice qui se libère lorsque nous nous retrouvons pour composer ou pour enregistrer. Les concerts en reflètent la réalité. Tout dépend de l’énergie présente dans la salle.

Vous avez repris l’intro du Also Sprach Zarathustra de Richard Strauss. Etes-vous des amateurs de Strauss ou des lecteurs assidus de Nietzsche ?

Les idées de Nietzsche sont devenues inséparables d’un certain nombre d’événements historiques. Il est difficile pour moi d’en être un fan. Comme cela est le cas pour beaucoup de philosophies, il a tenté d’isoler certaines caractéristiques humaines et historiques pour en faire des vérités définitives. C’est une tentative pour réduire l’histoire et la canaliser. L’histoire part plutôt dans la direction inverse. Elle ouvre des perspectives multiples, faisant de notre existence quelques chose d’indéfinissable et d’illimité. Cela me semble bien plus exaltant que ses visions réductrices.

Je pense que tu fais référence à la manière dont les nazis se sont emparés de la philosophie de Nietzsche. Mais il ne faut pas oublier que Nietzche est mort en 1900. C’est sa sœur, son beau-frère et leurs enfants qui ont construit cette association qui se trouve être totalement erronée. Les philosophes contemporains ont définitivement établi ce fait.

Je sais que Nietzsche est mort avant que le nazisme ne s’établisse, mais ce spectre lui ôte cependant toute légitimité à mes yeux.

Pardonnes-moi d’insister Guff, mais certains de tes propos me semblent s’inscrire directement dans une filiation nietzschéienne, mais passons. Tu me sembles avoir un point de vue sur la condition humaine, peux-tu m’en dire davantage à ce sujet ? Apprécies-tu quelques penseurs ou libres-penseurs particuliers ?

Vraiment ? J’ai l’impression que son concept d’avènement du surhomme est une manière de réduire l’histoire de l’humanité à un événement prévisible. C’est dur à décrire, mais cela me laisse un goût amer dans la bouche. Je ne lis pas tellement de philosophie, mais il y a quantité d’auteurs que j’apprécie. As-tu lu Ishmael ? Je crois que son auteur est Daniel Quinn ou un nom comme ça [Paru aux éditions J’ai lu en 2000]. Il développe un point de vue passionnant et très éclairant quant à l’histoire humaine. Il est relativement léger en philosophie, mais très fort pour reconstruire l’histoire au travers des mythes et des légendes. Pour en revenir à Nietzsche, j’adore Dostoïevski. Crimes et châtiments est probablement mon livre favori. Il réfute résolument l’existence de surhommes. Personne n’y est supérieur à autrui. Quoique je sois très éloigné de la religion, la lecture de ce livre peut potentiellement conduire au développement d’une spiritualité. En tout cas, le livre me transporte à chaque fois que je le lis. Quant à la musique de Strauss, quel que soit son élan, elle est indéniablement triomphante et magnifique. Peut être notre reprise reprend-elle ces éléments en y ajoutant une touche d’infinitude ?

Probablement, mais vous me semblez évoluer sur un versant beaucoup plus tragique. Selon moi, Strauss cherche à atteindre un point de transcendance tandis que vous tendez à l’immanence. La nature de l’élan qui vous anime est identique. Seule la direction diverge. Strauss va vers la lumière, tandis que vous vous dirigez vers l’obscurité. Il va vers les anges tandis que vous cherchez à être des humains. Au final, dans les deux cas nous arrivons à un projet romantique. Partages-tu ce point de vue ?

Je ne vois pas le côté tragique de notre musique et nous n’avons aucune attirance pour l’obscurité. Nous essayons d’échapper à cette face sombre au travers de notre musique et de notre son et plus encore à travers nos relations amicales et de la collaboration qui en découle, tout comme par notre engagement physique dans la musique qui est extrêmement important à mes yeux. Peut être est-ce une manière différente de percevoir la beauté. Toutes les formes d’art que j’apprécie contiennent de la beauté. J’essaie moi-même d’esthétiser les choses que je crée, mais cela peut être interprété très différemment selon les individus. Le bruit peut être somptueux. Alors oui, je dirais que nous tendons vers la même fin, mais que nos approches sont probablement différentes.

Le titre The Hortator’s lament qui clôt l’album semble aller dans une direction différente des autres morceaux. Je l’adore. Peut-on en déduire qu’il s’agit du point actuel de votre évolution artistique ?

Les quatre derniers morceaux du CD montrent où nous en sommes depuis qu’il est sorti. Je suis très satisfait du titre que tu mentionnes. Que tu l’apprécies est assez significatif. J’espère que nos enregistrements à venir pourront faire la synthèse de l’ensemble notre production pour nous permettre d’aller plus loin encore.

Moi qui pensais Toadliquor mort, j’apprends avec plaisir que le groupe est toujours en activité. Excellente nouvelle. Quand aurons-nous la chance d’écouter du nouveau matériel ?

Nous avons un morceau qui devrait sortir bientôt. Il s’agit d’une reprise du Flower Travelling Band [groupe psychédélique japonais des seventies]. Pour le reste, je n’en ai aucune idée. Cela dépend de qui voudra publier de nouveaux morceaux.

Penses-tu que cette reprise sera facile à dégotter pour vos fans français ? Je peux te dire que vous en avez un bon nombre depuis que votre disque est sorti.

Rien de planifié pour l’instant. Mais c’est fantastique de savoir qu’il y a des gens qui apprécient notre travail, c’est vraiment génial à entendre.

août 2003 par brotherfab.

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