Les plus vieux d’entre nous se souviennent probablement, il y a une trentaine d’années, comme le stoner rock transalpin était vif et précurseur en bien des points. Luttant à l’époque (à armes inégales) avec les meilleures formations du genre essentiellement américaines et scandinaves, les groupes de la botte étaient soutenus par une poignée de vaillants labels, parvenant parfois, après d’irrationnels efforts, jusqu’aux oreilles enthousiastes des amateurs d’accords fuzzés. Parmi ces formations « cultes » figuraient That’s All Folks, et dans une moindre mesure les non-moins-intéressants Colt 38. Le frontman de ces formations, Claudio Colaianni, a lancé un groupe, Anuseye, en 2010. Du fait d’une distribution famélique et d’une promotion DIY qui ne sera pas parvenue jusqu’à nos oreilles (et pourtant, avec un tel patronyme, notre curiosité aurait été piquée !), c’est par le biais de son 3ème album, ce Right Place Wrong Time, que nous faisons connaissance avec ce quatuor.
Musicalement, Anuseye ne présente pas ce visage frondeur, un peu insouciant et débridé, que l’on pouvait retrouver chez les formations italiennes susmentionnées. Il y a plus de maturité et de maîtrise dans la musique proposée, qui en réalité se positionne plus dans l’aspiration/l’inspiration du canal le plus historique du desert-rock séminal, quelque chose qui balance entre Masters Of Reality, les premiers QOTSA, les premières Desert Sessions… Chaque compo, tout en apportant un son bien spécifique, rappelle quelques reflets de cette tendance musicale un peu surannée aujourd’hui – mais pour autant indémodable. « Odessa » par exemple, toute en guitare son clair, oscille souvent entre Yawning Man et le early-QOTSA. « Sagres”, elle, propose notamment un refrain qui fait très directement écho à Masters of Reality (robot rock, chœurs…). Le meilleur titre de la galette, « Churchofchrist » déploie une mélodie super catchy imparable, et fait montre d’une superbe qualité d’écriture (riff impeccable sur base rythmique entêtante, petit emballement opportun sur double solo…).
Les autres titres viennent renforcer et confirmer certains aspects de la musique de Anuseye, à l’image de « Vancouver », en mode mid tempo riffu et groovy, ou encore « Kyoto » et « Stockholm » en synthèses parfaites : mélodie accrocheuse, rythmique emballante, leads aguicheurs pour aérer le tout…
D’une durée 43 min sans les bonus, l’album se tient bien en l’état. En version digitale, trois titres bonus sont donc proposés, mais qui n’apportent pas beaucoup à l’ensemble, pas de regret à avoir pour celles et ceux qui optent pour la version vinyle : « Addis Abeba » se positionne en transition instrumentale sombre et oppressante, ce qui détonne un peu de l’ensemble. « Santiago » ne montre pas un nouveau visage du groupe et rajoute une pièce à l’ensemble, avec un chant très Brant Bjorkien. Quant à « Berlin », il s’agit d’une modeste mais gentille bluette mélodique instrumentale.
En conclusion, Right Place Wrong Time est riche, foisonnant même, et délicieusement foutraque. Inspiré, créatif et écrit avec sérieux (on n’est pas dans le heavy psych barré de That’s All Folks…), l’exubérance propre aux formations italiennes de référence dans le stoner trouve ici une autre incarnation : aucune limite stylistique, pas de dogme, ça écrit, ça tente… et du coup côté auditeur, ça passe ou ça casse ! Ici ça passe, le plus souvent : on alterne le bon, le très bon, et quelques passages moyens. Mais les très bons passages l’emportent et rendent l’écoute de ce disque très enthousiasmante. Et donc recommandable.
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