Tout le monde connaît Doom, le groupe, combo de… death-crust bien crade des années 80 en Angleterre, qui vivote toujours aujourd’hui à l’occasion de quelques concerts plus rémunérateurs que fondamentalement excitants. Au début des années 90, deux des membres de Doom (le groupe qui ne fait pas de doom, donc, vous suivez ?) décident de monter un projet pour… faire du doom ! Et du coup ils l’appellent… Cain ! (vous les sentez, les génies du marketing aux manettes ?). Jon Pickering et Pete Nash, donc, s’en vont recruter une paire de potes (eux aussi issus du metal extreme, pas la panacée à l’époque, mais une voie musicale pourvoyeuse de pas mal de glorieux groupes anglais de fin du siècle) et se retrouvent autour de quelques pintes et quelques ustensiles électroniques divers (pédales d’effets, samplers…) pour bidouiller et expérimenter. Quelques concerts autour de leur charmant patelin (la joyeuse et luxuriante Birmingham) leur permettent de dégoter un deal vinylique pour un premier album, qui marche pas mal. Malheureusement, le groupe se disperse, et malgré une poignée de concerts supplémentaires, se sépare… Et (attention : surprise) ils ne se sont jamais reformés depuis ! (avouez-le : celle-là, vous ne vous y attendiez pas).
Lee Dorrian, maître-activiste du doom anglais depuis quelques décennies (à travers Cathedral ou son honorable label Rise Above) décide en 2019 de mettre ses moyens au service du souvenir perdu de ces trop méconnues vieilles gloires locales, et propose donc une re-sortie de leur unique album, initialement sorti en 1993 mais jamais réédité, sur un support qualitatif, mais fidèle à la vision du groupe de l’époque.
Et au final, inutile de tergiverser, on a pour partie exactement ce à quoi on s’attendait dans la platine : un vieux doom sous influences directes des années 70-80. C’est-à-dire qu’à l’époque, les groupes de doom se comptaient sur les doigts de la main : Trouble, Candlemass, St Vitus, Pentagram… Du old school absolu. Même Pentagram, lancé sur les mêmes bases d’influences, n’est encore qu’en phase embryonnaire à l’époque. Mais plus que tout, l’origine matricielle de tout ce bazar est à retrouver derrière l’AUTRE groupe de Birmingham, tant l’ombre du maître Iommi se retrouve derrière la plupart des riffs de ce disque, et tant le premier album du Sabbath Noir a teinté l’ambiance lugubre de ce disque.
Il faut dire d’ailleurs que l’ambiance est probablement le point fort autant que la pierre angulaire de ce disque : tout repose dessus. Le schéma de chaque titre se résume à un riff (les riffs y sont d’ailleurs fort bons, en général) et à une quantité d’effets et arrangements divers visant à constituer une texture sinistre, froide et glauque autant que possible. Il y a en effet beaucoup de machines sur ce disque : des samples, des effets sur les voix (echo a minima), de la reverb sur les grattes, etc…
Quelques titres viendront directement caresser l’oreille des vrais esthètes du bon vieux doom old school, à l’image du gracieux « Screams of the Reaper » et son riff en résurgence de « Symptom of the Universe » en plus lent, ou bien un « Crucify » qui rappellera les meilleurs riffs de Pentagram ou de Candlemass.
En revanche, une autre part de ce disque, résolument expérimentale, laisse plus circonspect : on pense à ce « Masters of Death » construit sur un sample gimmick de plus de cinq minutes avec des nappes et samples divers tout du long, ou ce « Lone Wolf » où les hurlements d’un loup entendus loin en fond se voient agrémentés pendant presque 10 minutes (!!) de délires bruitistes divers et variés, rappelant aléatoirement une ambiance de forêt nocturne, une usine de sidérurgie ou un vieux délire space robotique…
Et entre les deux, des titres « hybrides » proposent quelques riffs ou portions de structures intéressantes, larvés de sections noise avant l’heure, pseudo-indus ou space (comme sur « Bleeding » ou le lancinant et très intéressant « Ultimate Elevation »).
La synthèse de ce déluge peu contrôlé de sons et de riffs se retrouve dans l’épique « Oberon : Desolate One », premier titre de la galette, qui va titiller le quart d’heure de riffs épiques, nourris de nappes sonores chelou et d’un chant évanescent.
La ressortie de l’unique album de Cain va donc au-delà du simple travail de mémoire : il s’agit d’une réhabilitation en bonne et due forme. Car ce groupe aurait pu (dû ?) avoir une reconnaissance supérieure. Il y avait du talent et de l’inspiration, des influences assumées mais un champ très propice à une évolution qui aurait pu être très excitante : en voyant ce disque comme la matrice un peu brouillonne d’une carrière qui n’aura pas eu lieu, on se dit que le potentiel pour une « nouvelle branche » du doom était présent à ce moment-là. Et si cette hybridation avait eu lieu, qui sait de quoi le paysage du doom actuel aurait l’air ? En tous les cas, l’écoute du disque nous ramène à une époque où le doom n’était pas encore un genre aussi codifié, où il était plus une question d’état d’esprit et d’ambiance qu’un travail sur le son, la technique ou les rythmiques. Une époque que les moins de 30 voire 40 ans ne peuvent pas connaître… Rarement voyage dans le temps aura été si vivifiant.
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