Généralement, les groupes de doom, et cela est finalement valable pour tous les autres genres, se divisent en deux catégories : ceux reprenant les codes et clichés installés et ne cherchant pas vraiment à s’affranchir des bases posées par leurs ainées, proposant une sorte de pastiche de groupe, puis ceux qui se construisent en dehors des carcans définis par les stéréotypes pour trouver leur propre identité et livrer une œuvre plus personnel et inspiré. Autant vous dire qu’à la vue des feuilles de cannabis et des pentacles sur la pochette de Sigillum Luciferi, premier album de Cough sorti en 2008, on sautait à pied joint dans la première catégorie. Au menu, une confiture sludge/doom étalée sur des tartines de 10 minutes d’épaisseur environ. Un album fort appréciable mais pas vraiment révolutionnaire. Deux ans plus tard, Ritual Abuse pointait dans une direction plus intéressante, rajoutant une dose de psychédélisme à la recette initiale. Aujourd’hui, Cough revient avec Still They Pray, produit et enregistré par Jus Oborn, leur album le plus introspectif et la suite logique d’une discographie qui est comme le bon vin.
Pour Parker Chandler, bassiste, chanteur et membre fondateur de Cough, les dernières années ont été assez chargées, puisque le Monsieur gratte également la basse au sein de Windhand, groupe assez prolifique avec déjà 3 albums à son actif en seulement 4 ans. Cela explique surement le silence radio de 6 ans ayant précédé Still They Pray. Allant et venant d’un groupe à l’autre, inutile de préciser que Parker Chandler est désormais titulaire d’un doctorat en doom avec mention poutrelle. “Mais pourquoi s’importuner de deux groupes si c’est pour faire du doom dans les deux?”, me demanderont les plus malins d’entre vous. Et bien parce que les deux sont très différents. Si Windhand et la douce voix de sa chanteuse laisse passer une légère clarté à travers la fenêtre, Cough s’occupe de fermer les volets. Il creuse profondément les abîmes du genre humain, et ce qu’il y trouve pourrait convaincre le plus philanthrope des hommes de la laideur du monde.
Comme sur ses deux précédents opus, Still They Pray s’ouvre en grand apparat avec “Haunter Of The Dark” et son riff inoubliable, véritable débauche d’élégance sordide. “Possession” pousse lui aussi le bouchon de l’ignominie avec cette voix si caractéristique qui semble littéralement rendre toute sa haine au visage de l’auditeur, avec des vrais morceaux de rage dans le vomi.
Au milieu de toute cette animosité, on trouve aussi des moments où la vigueur baisse les bras et laisse la mélancolie s’installer, comme sur la ballade acoustique “Still They Pray”, douce mais toujours entachée par le chagrin. “Let It Bleed”, sorte de chanson 2 en 1, est la parfaite synthèse de cette fluctuation entre deux univers : Parker chante d’une voix claire et bancale sur des guitares saturées, rappelant presque l’âge d’or du shoegaze, avant de repartir dans un tourbillon de larsens torturés. Impossible aussi de ne pas évoquer la pépite “The Wounding Hours” et son orgue apportant une grâce divine à la monstruosité générale.
Le titre “Dead Among The Roses” résume bien de quoi Cough est le nom. Cough, c’est exactement ça: la mort au milieu des roses. L’immonde au sein du merveilleux. Le macabre élevé au rang du beau. Cette réunion du superbe et de l’abject est présente tout au long de Still They Pray. Avec cet album, Cough s’est intellectualisé et nous propose une œuvre plus spirituelle, parfois un peu épaisse (8 morceaux pour plus d’une heure), mais tellement bien pensée qu’il serait idiot de ne pas faire l’effort de s’y plonger. Cough a enfin trouvé la pierre philosophale qui a transformé sa musique en substance sonore précieuse. En somme, un album taillé d’une pierre de Cough.
L’ego flatté par ce jeu de mot dont le placement est de loin ce qui m’aura pris le plus de temps dans l’écriture de cette chronique, il ne me reste plus qu’à vous conseiller une dernière fois l’écoute de ce splendide album. Dans le noir, évidemment.
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