Bio télégramme : trio, Nantes (puis Paris), lancé en 2013, EP, quelques captations / jam dispo online et pouf ! Premier album, ce The Lord is Gone, avec l’aide des jeunes More Fuzz Records. Enfin “album”… Trois titres et une demi-heure de musique : leur premier EP était plus long et contenait plus de chansons, or c’était bien un “EP”… On m’aurait menti ?? Du coup inutile de maintenir un suspense intenable, autant l’avouer immédiatement : le format trouble la perception du disque. Ou dit autrement : il manque un titre et on avait un bel album. Jugement hâtif (et gratuit) : après quatre ans de carrière et – on va le voir ci-dessous – du talent à la pelle, le groupe ne pouvait-il pas proposer plus de trente minutes de musique inédite sur son premier disque, un marqueur clé dans la carrière d’un groupe ? Quoi qu’il en soit, plongeons-nous corps et âme dans l’objet pour voir ce qu’il a dans le ventre.
Les premières écoutes sont compliquées : la musique de Decasia ne s’inscrit pas dans la mouvance cool / sable chaud / pétard autour du feu de camps. Le son est rêche, pas chaleureux, plus travaillé. Les compos viennent ensuite perdre un peu plus l’auditeur : loin de jams décérébrées, sans fil conducteur, les titres de Decasia sont construits, étriqués, tracent chacun plusieurs chemins, faits de points de recoupement paisibles puis de fuites et jaillissements… Au bout de plusieurs dizaines d’écoutes, il reste difficile de retracer la ligne directrice et la structure de chacun des titres. C’est très fort. Enfin, c’est pas du Meshuggah non plus, côté structure, il y a des plans lancinants et jammés ici ou là, comme semblent l’être le tronçon médian de “Eden” et de “The Ancient” par exemple, ou la seconde moitié de “Sun Kingdom”… Mais globalement, reste cette richesse de structures et d’écriture qui rend l’écoute du disque appréciable sur la longueur, et pas forcément dans l’immédiateté. Ça change et ça fait plaisir…
Côté son et genre musical, bon courage pour cerner la bête : ça commence par des plans de gros metal très “années 2000” sur les premières mesures de “Eden” mais ça diverge vite dans des environnements qui empruntent ici au noise, là au grunge, avec des plans jam bands fuzzés, etc… On se surprend même à ré-entendre les meilleurs groupes de la scène scandinave de la fin du siècle dernier (notamment le chant, typique). Des lignes de chant un peu perturbantes au début, d’ailleurs, car plutôt éloignées des “standards stoner” en vigueur, par la tessiture du vocaliste mais aussi par sa place dans le mix, atypique : de point rédhibitoire lors des premières écoutes, le chant devient petit à petit un point fort du disque. A l’image de ces quelques lignes de basse complètement essentielles qui ponctuent le disque sur ses meilleurs breaks et distinguent encore un peu le disque du “tout venant”.
Avec The Lord is Gone, Decasia fait montre d’une maturité remarquable, discrète jusqu’ici faute d’un disque à la hauteur. Ce triptyque permet de remettre les pendules à l’heure : il va falloir compter avec eux désormais. Reste ce délicat problème de la durée du disque, que certains jugeront anecdotique, mais qui reste perturbant, voire regrettable dans un environnement si concurrentiel. Mais en passant outre, ce disque est un très bel objet, et la trace vinylique qui manquait au trio.
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