La scène Sludge américaine regorge de formations cultes à la musique aussi radicalement poisseuse que dangereusement indispensable. De Weedeater à Sourvein, le moindre Redneck, racaille du sud des Etats fédérés, paye un lourd tribu à l’un des plus illustres précurseurs de cette coulée de boue empruntant au punk hardcore autant qu’au heavy metal ou au southern rock : EyeHateGod (EHG). Un groupe pour qui il ne sera pas vain d’utiliser le mot gang, eut égard aux casiers judiciaires de ses protagonistes. La formation de NOLA est la quintessence de ce que l’on appelle un groupe culte : après avoir dessiné dès 1988 les contours d’un genre musical, le quintet livre trois opus considérés comme des références et reste l’un des groupes les plus créatifs des 90’s, jouissant d’un succès critique honorable mais d’un rayonnement trop discret. Installés comme l’un des fleurons de la scène metal alternative américaine, EHG se torpille à l’aube du siècle nouveau, la faute à l’ouragan Katrina, aux démêlés judiciaires et narcotiques de Williams ainsi qu’aux incessantes tournées de Down pour Bower auront plongé la misanthropie musicale de ce fabuleux combo dans un coma narcotique sans réveil programmé. Il était écrit qu’EyeHateGod ne devait pas voir les années 2000.
Pourtant, après la sortie de prison de Mike Williams le combo donna quelques shows éparse et il fallut que le Hellfest en 2009 réunissent tout un tas d’improbables conditions (incluant une dérogation à l’ambassade des Etats-Unis et l’invitations de tous les groupes de la scène NOLA) pour permettre à l’improbable éventualité d’un concert d’EHG en Europe de devenir une réalité.
Lorsque l’annonce d’une tournée et d’un nouveau single (« New Orleans is the new Vietnam » ) en 2012 finirent de réveiller une bête depuis trop longtemps assoupie et les espoirs d’un retour définitif des maîtres du sludge sur le devant de la scène devenait enfin une réalité. Malheureusement, le décès brutal du batteur Joey LaCaze au lendemain d’une tournée Européenne qui a sillonné la France plus que décemment, semblait porter l’estocade à un combo jusque là habitué à changer seulement de bassiste.
Reste que la meilleure façon de rendre hommage à un musicien est encore de continuer à faire vivre ce à quoi il a contribué. Ainsi, alors que les pistes enregistrés avec Billy Anderson l’année passée ne semblaient pas convaincre Mike Williams et sa clique, il fut confié à Stephan Berrigan de reprendre l’affaire en main, le tout dans le studio d’Anselmo, qui publiera d’ailleurs aussi l’album via Housecore Records. Les parties de batterie de LaCaze seront conservées, parfois retouchées par son remplaçant Aaron Hill mais les autres pistes seront revues par celui qui est derrière les deux derniers Ep de Down ou les enregistrements d’Anselmo & The Illegals. Nommé sobrement du nom du groupe, comme un testament mais pas seulement, ce nouvel album, 18 ans après le monument Dopesick, est une bénédiction, d’autant plus lorsque l’on se remémore toutes ces péripéties.
A l’image de la force de frappe déployée par « Agitation ! Propaganda ! » (EHG a toujours eu du goût lorsqu’il s’agit de débuter ses opus avec brutalité), cette quatrième livraison est un concentré de savoir faire made in bayou. Enchainant breaks massifs (« Worthless Rescue ») et saillies marécageuses en terrain doom (« Robitussin and Rejection » rhabille la dernière décennie de Down), EyeHateGod se permet même d’envoyer quelques riffs originaux (« Nobody Told Me ») dans un genre qui n’est pas voué à se renouveler, se replaçant tranquillement en patron, écrasant la concurrence de son évidence supériorité. Puisqu’il est d’usage de mettre un titre plus en avant que les autres, « Parish Motel Sickness » a des allures de chefs de gang, épais comme une peau d’alligator tannée et vicieux comme une cuite au bourbon.
Résonnant comme un hommage post mortem à l’une de ses pièces maitresses tragiquement disparue, cette nouvelle livraison apparait également comme une renaissance, tel que son titre – tout en sobriété – et son écrin permet de l’envisager. EyeHateGod démontre avec brio que l’on peut être classieux sans perdre une once de hargne, exercice qui ici relève du génie.
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