Les sudistes de Frank Sabbath tracent leur route musicale depuis plus de quatre ans sur un chemin caillouteux et… un peu chaotique reconnaissons-le. Enfanté à Paris, le trio murit sa conception bien spécifique de la musique, avant de se retrouver quelque peu atomisé géographiquement dans l’hexagone. Mu à la fois par une démarche musicale commune et par des contraintes techniques et logistiques, leur production musicale se matérialise naturellement par l’expression de longues séquences jam et autres improvisations, généralement enregistrées d’une traite. Parfois gravées sur vinyl (leur premier album, composé de 2 sets distincts), parfois plus « informellement » (voir leur bandcamp, qui collecte plusieurs de leurs enregistrements), ces bandes ont comme point commun une liberté musicale et instrumentale que l’on sent inspirée du free jazz, déclinée au fuzz rock heavy tendance psyche. Frank Sabbath, sobriquet parfait, donc (Black Zappa sonnait moins bien, reconnaissons-le). Cette nouvelle production s’inscrit complètement dans cette veine.
Le premier contact déstabilise un peu, en tous les cas, et il faut un peu s’accrocher pour rentrer dans l’univers bien barré de nos gugusses. Les écoutes défilent sans déplaisir, et on pense ici ou là à Frank Zappa (c’est inévitable), mais aussi parfois à Mister Bungle, à Domadora pour les passages les plus incisifs, et plus largement à Tia Carrera. On y est : on l’a notre power trio de jam music français, notre Tia Carrera à nous ! Un groupe pour lequel l’exécution d’un morceau à l’identique d’une fois à l’autre est une sorte de non-sens, un groupe qui privilégie l’osmose instrumentale et le dialogue sonore entre musiciens. Domadora tenait bien la barre, un peu seul, avec une approche musicale et instrumentale proche. Sans l’ombre d’une posture concurrentielle, les deux approches, proches mais non identiques, satisferont chacune les aficionados et esthètes du bon son.
EP ? LP ? Autre ? L’objet du jour se retranscrit en quatre séquences plus ou moins carrées dans leur structure, quatre morceaux de 6 à 11 min en gros. Chacun a son identité, ses multiples reflets et rebondissements. « Goat » est bondissant et vif et amène son riff fondateur dans des chemins de traverse passionnants, dont un final de pure jouissance. « Lazarus » est plus lent, plus accrocheur aussi, glissant ses mélodies lancinantes et ses lignes de chant incantatoires dans nos cervelles enfumées. « Take the Lead », plus atypique encore, propose une intro d’ambiance s’étirant et se construisant sur plus de cinq minutes ( !) qui déroule ensuite gentiment sur la seconde moitié. Pas le morceau le plus intéressant, mais déstabilisant, pour sûr. Le comble du barré clôture la galette : « Sasume », avec son riffing sur-fuzzé sur fond de dialogues de films nippons old school, déroule sa rythmique galopante, sans jamais oublier de laisser une bonne place aux soli. Le titre offre une conclusion complètement WTF à un album qui en avait pourtant déjà une bonne dose.
Frank Sabbath est un groupe à découvrir si ce n’est pas déjà fait, et ce disque est un excellent point d’entrée pour pénétrer leur univers. Maintenant, il leur reste à surmonter les difficultés qui les empêchent de déverser plus largement leur savoir-faire sur nos scènes hexagonales (et européennes) car clairement, c’est là qu’on veut les voir.
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