Cinq ans pour accoucher d’une nouvelle production, là où ils n’avaient jamais dépassé les trois ans d’écart entre deux albums, c’est un peu beaucoup. Surtout pour 35 petites minutes de musique… Et en plus, difficile à trouver, ce disque, obligé de le commander chez le disquaire, d’attendre… Une fois la galette entre les mains, enfin, notre estomac ne fait qu’un tour devant le vomitif artwork qui orne sa pochette. Bref, vous le sentez, on n’entame pas cette chronique avec la plus naïve bienveillance.
Premières écoutes, bon, on revient un peu à la raison : on retrouve nos emblématiques californiens là où on les attendait, et ce constat en soit est finalement confortant. Fu Manchu c’est un peu le gardien du temple, le phare qui guide les âmes perdues vers le chemin de la perpétuelle rédemption musicale… Pas de guests, pas de perturbation externe (ils produisent eux-mêmes le disque, en composent l’intégralité…), les bonhommes se retrouvent, font un nouveau disque de Fu Manchu et partent sur la route. Rien de criticable en soi.
Les premières écoutes de ce Gigantoid, passé donc le petit sourire en coin (“ah les cons, ils nous l’ont refait”…), laisse quelque peu circonspect. On a beau les aimer de manière irrationnelle, nos Fu, on aimerait aussi inconsciemment les trouver à la pointe du genre, en leaders innovants, capables de “tracer” la voie. Or là, rien de bien neuf a priori. Mais au bout du compte, les écoutes suivantes se révèlent plus satisfaisantes, car insidieusement on retrouve des choses très intéressantes sur ce disque. Même si “Dimension Shifter” figure probablement dans les meilleurs titres de la galette, il n’apporte pas grand-chose de neuf, au-delà d’une paire de riffs bien patauds, de soli impeccables, et globalement d’un son fuzzé qui fait plaisir. “Invaders on my back” en revanche entame une passerelle que finira de renforcer plus loin le brutal et expéditif “No Warning” (1 min 25) : un pas bien tranché vers un skate punk californien typique des productions du début des années 80 du côté de Venice et Long Beach. Certains titres plus dispensables (le pitoyablement titré “Anxiety Reducer”, le trop mid-tempo “Radio Source Sagittarius”) alternent avec des morceaux plus intéressants (l’alambiqué “Mutant”, un titre plus couillu qu’il n’y paraît, ou encore le groovy “Evolution Machine” et le puissant “Triplanetary”). Le tout se conclue avec talent par un titre de presque huit minutes, “The Last Question”, un titre nonchalant dans sa rythmique mais qui ne manque pas d’une certaine audace : on y trouve notamment un saxo en appui du refrain, et une seconde section où la basse de Davis dresse une nappe d’un groove incroyable pour porter des grattes en son clair ou aux sons spacy du meilleur goût.
Au final donc, Fu Manchu ne déçoit pas, mais ne révolutionne rien non plus. On a l’impression de dresser le même constat depuis les quinze dernières années du groupe, ce qui peut désarçonner au premier abord. Pourtant, la musique du quatuor se porte bien, on sent les musiciens challengés et impliqués dans ce qu’ils jouent, disposant d’un espace de création balisé, certes (par eux-mêmes), mais propice à des surprises subtiles et bel et bien présentes, là où on n’en attendait plus trop. Gigantoid n’est pas le meilleur album du groupe, mais il est sans doute le premier depuis une grosse décennie qui nous laisse croire et espérer que leur meilleur album n’est peut-être pas encore sorti, ce qui en soi est une petite révolution.
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