En dix ans d’existence, les cinq graisseux d’Ilsa ont roulé leur bosse dans des sphères essentiellement underground, pondant quatre galettes bitumeuses pour des labels obscurs, ainsi qu’une poignée de splits, avec des invités qui donnent un peu le ton de leur musique (Hooded Menace, Seven Sisters of Sleep, Coffins…). Les voir atterrir direct chez les seigneurs Relapse a quelque chose d’étonnant, et en même temps (!) pas illégitime.
Pour leur première sortie “exposée”, sur un gros label, les gaillards veulent en mettre plein la gueule et ne laissent rien au hasard : Corpse Fortress est à la fois l’album-somme et la quintessence de leur parcours musical. Se l’enfiler d’une traite est un effort : le disque nous embarque comme si on était accroché au pare-choc d’un gros camion de chantier lancé dans un terrain boueux et rocailleux, dont on finirait démembré après trois gros quarts d’heure de dérapages au frein à main dans la boue et le gravier. Chaotique, sombre, graisseux, sale, physique… L’expérience est marquante.
Musicalement, la musique d’Ilsa n’est pas monolithique : on y côtoie une large proportion de doom bien froid (à la Hooded Menace, on y revient…), de bonnes doses de sludge plombé (tendance Noothgrush), mais on peut aussi y rencontrer Mantar (le terrible “Ruckenfigur”, parfait, le riff de “Nasty, Bruitish”, évidence, ou “Old Maid”), ou encore des groupes comme Winter pour les plans les plus death/doom (“Cosmos Antinomos”, lardée de blast beats, “Polly Vaughn” aux relents de My Dying Bride), voire des thrasheux pur jus (“Prosector” démarre pas trop loin des vieux Slayer, tout comme le refrain de “Long Lost Friend”). Aucune linéarité, on se laisse bousculer par chaque titre comme une nouvelle expérience, aux rythmiques variées, au service de compos matures.
Ça ratisse large, mais ce n’est quand même pas pour tout le monde. Le growl d’Orion, par exemple, va clairement rebuter les inconditionnels de Blues Pills. Soit ; c’est sûr que ça décape un peu. De même, les assauts de guitare, notamment les segments les plus incisifs en harmonie, devraient défriser les inconditionnels mono-maniaques de jam bands psyche. Soit. Enfin, la prod, au service du gras avant tout, risque de ne pas satisfaire les amateurs de jazz prog au son cristallin. Soit encore. Mais si on aime le côté obscur de la force, si on aime pousser l’expérience doom dans ses retranchements, que les pans musicaux les plus extrêmes ne font pas peur… Alors là, le terrain est propice et on peut se considérer prêt à encaisser ce disque. L’expérience vaut d’être tentée. On n’en ressort pas complètement indemne, évidemment, mais on a hâte d’y revenir. Du lourd.
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