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John Garcia – John Garcia

 

Personnalité tortueuse que celle de John Garcia. Il est certainement le vocaliste le plus célèbre du petit monde du stoner, ayant atteint un statut proche du culte, un statut entretenu par le comportement toujours mystérieux et ténébreux du personnage. Ce statut, il ne l’a pas volé, ses performances vocales ayant marqué à vie plusieurs milliers d’entre nous via son implication dans des groupes majeurs. Ces dernières années toutefois, ses choix de carrière ont pu faire froncer les sourcils de certains, en particulier lorsqu’ils ont empiété sur la sphère juridique (le contentieux sur le nom « Kyuss »…), voire morale (les pass VIP payants pour Vista Chino…). Le lui reprocher basiquement serait oublier au moins deux facteurs. D’une part, nous autres desert-rockers avons cette vision de Garcia comme d’une diva, une rock star… C’est un peu vite oublier le contexte, à savoir une notoriété limitée à notre « petit monde musical » (minuscule sur le grand échiquier mondial), et une tendance du marché du disque proche de la sinistrose, où les maigres revenus proviennent désormais quasi exclusivement des concerts. Or sachant que le gars enquille à peine quelques dizaines de concerts par an au mieux, autant dire qu’il ne roule pas sur l’or, et que sa retraite n’est pas assurée… Ses décisions de carrière doivent donc être mises en perspective : tout le monde n’a pas la même pyramide de Maslow…  Autre facteur à prendre en compte : Garcia a souvent vu sa carrière largement freinée ou bousculée par des événements imputables à d’autres personnes que lui : Kyuss s’est arrêté sur la seule décision de Josh Homme alors que le groupe commençait à avoir du succès. Plus tard, le disque de Unida, signé sur une major encore plus grosse que QOTSA à l’époque, a vu sa sortie annulée suite au rachat du label, qui a gelé toutes les sorties planifiées. Enfin, le premier album d’Hermano a été bloqué plusieurs années du fait du contrat d’exclusivité qui liait Garcia au label de Unida (même s’ils ne voulaient pas sortir l’album…). Clairement, le gars a toujours été victime d’éléments externes et n’a jamais pu développer la carrière qu’il a voulue. On peut donc comprendre la farouche volonté du bonhomme à prendre son avenir en main tout seul (cf. notre interview dans ces pages). Dans tous les cas, et malgré les réserves que l’on pourra formuler dans certains cas, on n’a jamais pris le chanteur à défaut artistiquement : il a toujours été au niveau des attentes, délivrant des prestations vinyliques généralement impeccables, ou scéniques purement habitées. La question du jour doit donc être uniquement : ce disque solo est-il à la hauteur des attentes ?

Pour le choc, en tout cas, on repassera : « My Mind » qui introduit le disque ressemble fort à une émanation de ce que serait Hermano aujourd’hui si le groupe était toujours actif. Et rien d’étonnant à ça, étant donné que Dave Angstrom et Dandy Brown sont les deux grands ordonnanceurs « de l’ombre » de ce disque : ayant respectivement assuré la plupart des guitares et des basses (même si leur implication n’est pas forcément mise en avant par un Garcia qui veut donner l’image de l’acteur principal), ils ont aussi assuré la plupart des arrangements des compos. La filiation est donc naturelle. Une intro plaisante, à prise de risque modérée, donc, et un choix de premier single logique. « Rolling Stoned » qui vient ensuite surprend plus : compo intelligente, travail mélodique remarquable, cette chanson des petits protégés de Garcia, le groupe Black Mastiff, montre d’une part que Garcia sait faire des choix uniquement motivés par la dimension artistique, mais aussi qu’il fait de bons choix tout court. « Flower », « The Blvd », « His Bullets Energy », « Argleben » ou « Saddleback » qui viennent ensuite au fil de l’album reprennent un peu / beaucoup  la veine Hermano, avec ce groove tout à fait caractéristique sur les rythmiques et les riffs, qui a toujours fait que Hermano n’était pas un pur groupe de headbanging, à l’image de Unida. Notons que Garcia n’hésite pas à atténuer  son chant derrière une barrière d’effets si le titre le justifie, signe aussi qu’il préfère mettre en avant les compos ou les instrus plutôt que lui-même uniquement. Lesdits effets sont toutefois peut-être un peu trop récurrents sur les titres, mais au final ça ne dénote pas trop.

« 5000 Miles », la compo de Danko Jones pour son pote Garcia, est un mid-tempo qui ne surprendra pas les afficionados du canadien : complètement charpenté sur deux très gros riffs (respectivement de deux et quatre notes !), le titre déroule sa rythmique sournoise avec une belle efficacité. « Confusion » vient ensuite un peu perturber l’auditeur : ce titre lent est porté à 99% uniquement par un riff pachydermique craché d’une gratte blindée de disto et la voix entêtante de Garcia (basse fantomatique, et batterie quasi-absente). Perturbant, mais encore une fois, pari payant. On ne pourra pas le taxer de se la jouer facile. Avec « All These Walls », il a voulu réhabiliter le « Cactus Jumper » des trop tôt disparus Slo Burn (un titre qui n’avait jamais connu de sortie vinylique), et il a bien fait, injectant une qualité de production réjuvénatrice à ce titre qui avait déjà un gros potentiel en l’état : gros son de guitare, arrangements  et effets bienvenus, la basse brute et saturée de Nick Oliveri en guest, et pour le reste le chant net, percutant et maîtrisé du maître, jamais plus efficace que quand il ne laisse pas ses vocaux traîner en longueur. Un choix qui fera plaisir aux puristes, bien sûr, mais aussi aux autres. La conclusion de l’album revient un peu opportunément à ze ballade, un titre dont tout le monde a entendu parler, « Her Bullets Energy », le titre accueillant le jeu de guitare acoustique de Robby Krieger, le guitariste des Doors. Même si le titre n’est pas inintéressant, il faut relativiser la contribution de Krieger, qui n’apporte rien à la composition ou la structure du morceau (la plupart des guitares ne sont pas jouées par lui), mais effectivement des petites impros solo qui contribuent bien à l’identité de la chanson.

Trois petit quarts d’heure et vient donc l’heure du bilan : c’est un bon album. Il va être de bon ton dans les prochains mois de cracher sur le disque juste parce que – ô surprise – ça ne ressemble pas à Kyuss ou même à Unida ou autre. Que les choses soient claires, effectivement il n’y a rien de Kyuss là-dedans, le seul rappel constant sur la plupart de l’album le lie à Hermano, un lien souhaité par Garcia (même si manifestement il a tendance à cacher ce point dans sa promo) puisqu’il a réuni deux tiers du groupe sur la quasi-totalité de l’album… Ainsi épaulé, et en choisissant très intelligemment ses invités sur l’album, Garcia développe un disque où les rythmiques groovy propices à son type de chant sont omniprésentes, le tout sur des compos globalement bien foutues. Il y a très peu de choses à jeter sur ce disque. Même si consciemment ou inconsciemment on aurait chacun aimé y retrouver “autre chose”, ce qui est proposé ici est d’un bon niveau, et constitue un excellent album.

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