Quatre titres. Ou plutôt quatre imprécations. Quatre saillies réflexes. Réactions épidermiques aux blessures infligées par le quotidien dans ce qu’il a de plus abject. Orchestration idiosyncrasique d’une hypersensibilité au monde. Khanate vient une nouvelle fois de repousser les limites de l’extrême. Et de quelle manière ! Le rythme est plus lent que jamais. Les guitares assènent d’imperturbables drone riffs. Libèrent des harmoniques grinçants. Egrènent des larsens menaçants. Les fûts, imprévisibles, sont martelés avec force et retenue. Les cymbales, choquées, résonnent, puis s’arrêtent. Net ! Avec une économie de moyens, Khanate ne décrit pas la tragédie contemporaine, Khanate EST la tragédie. Telle une éponge, le groupe absorbe les chocs, les drames, la folie, la barbarie, les lacérations mentales et les meurtrissures physiques. Puis les retraduit. Que les amateurs de musiques festives passent leur chemin. Nous avons affaire ici à un disque rude et âpre. Sombre et cérébral. N’allez pas croire que Khanate se retranche derrière un autisme protecteur. Loin de là. Sans complaisance ni sentimentalisme, il est un canal de transmission de l’expérience humaine. « Is there hope ? » s’interroge Alan Dubin de sa voix habitée par le désespoir le plus noir, mais aussi le plus sublime. Il dit les mots comme personne avant lui. Dans une tonalité tragique absolument unique. D’une intensité sans équivalent. « Est-ce ainsi que vivent les hommes ? » nous demande-t-il. « Things viral » est le documentaire impitoyable de l’insondable. La justesse de son témoignage est d’une effroyable beauté. Ses rythmes possédés renferment les ultimes parcelles d’humanité non encore corrompue. Préfiguration de leur chute. Khanate réinvente le blues moderne. Un blues extrême. Celui des dominés et des écorchés auquel il ne reste plus que l’art pour éviter de sombrer, et dans un dernier sursaut, dénoncer. Parce que l’Histoire enseigne bien peu. On peut néanmoins douter que la contribution de Khanate recueille grand écho en ce début de siècle. Parce qu’il représente typiquement le groupe que l’humanité aura à cœur de haïr, ou pire, d’ignorer. Et pourtant, « Things viral » est tout simplement LE disque le plus marquant de l’année 2003. Alan Dubin, Stephen O’Malley, James Plotkin et Tim Wyskida ne sont rien moins que des Génies.
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