Depuis une dizaine d’années, de nombreuses formations, souvent américaines, synthétisent le son et la mélancolie des 90’s (Type O Negative, Life Of Agony, Paradise Lost) avec un riffing et des arpèges rappelant la décennie précédente. Souvent classées dans le Doom mélancolique, elles brassent de nombreuses influences (emprunts aux styles extrêmes, formats et structures purement heavy, voix plaintives, thèmes et artworks renvoyant au années 80 etc.). Ces groupes se nomment Pallbearer, Spirit Adrift, Summerlands, Atlantean Kodex (voire Inter Arma quoique plus énervé) et Khemmis donc, formation qui semble faire consensus de l’autre côté de l’atlantique, poussée notamment par Decibel Magazine. Il faut dire que si ses albums ont à mon sens été plus encensés que ce que leur musique mérite, la démarche elle est incontestablement sincère et les visuels des albums (tous signés par Sam Turner) superbes. Khemmis est de ces groupes que l’on a envie d’aimer mais qui nous tombent malheureusement trop des oreilles. Trop d’albums, trop peu de bons riffs derrière la jolie façade et le plaisir affiché. Mais les quatre de Denver (enfin temporairement trio suite au départ récent du bassiste) ont tout de même une intéressante tendance à s’améliorer avec le temps et Desolation, paru en 2018, dépasse d’une tête ses deux prédécesseurs, peut-être aussi parce qu’il s’enfonce – comme son nom l’indique – un peu plus dans la noirceur. Plus doom que heavy quoi.
Et sur ce terrain-là, Deceiver est roi. La pochette, avec ce chevalier s’enlisant inexorablement dans des marais où règnent mort et regrets, ne trompe pas sur la marchandise. Deceiver est un disque plein de tristesse. Composé lors du confinement (la grande constante des albums de 2021, il faut s’y faire), le quatrième long du groupe est un abysse de noirceur. L’ombre de Tom Waits plane sur les paroles de Phil Pendergast et le riffing quitte les terres maideniennes des débuts pour quelque chose de plus gros, de plus lent, de plus au fond du temps. Cette recherche de solennité a de quoi séduire, même si le groupe paye sur cet album un lourd tribut à ses influences, Paradise Lost (« House of Cadmus », « Obsidian Crown ») et Yob (le riff de « Living Pyre » est clairement celui de « Quantum Mystic ») en tête. Force est de constater que de nombreux riffs, de nombreux refrains accrochent et que l’album a une jolie durée de vie, plus que ses trois prédécesseurs. Les lignes vocales de Pendergast – le point faible du groupe jusque-là par leur aspect monocorde – sont plus travaillées et certains refrains ici sont de vrais bijoux (« Shroud of Lethe », « The Astral Road »).
Deceiver est une sorte de Medusa (Paradise Lost/2017) en plus sophistiqué, mais moins attachant. Parsemé de moments forts et de quelques passages un poil indigestes (la ligne vocale de « Shroud of Lethe », quel enfer), l’album – qui a l’élégance de ne faire que 40 minutes – propose enfin une musique à la hauteur de son visuel. Reste que Khemmis gagnerait franchement à moins chercher la majesté (il n’en a pas le talent) et à explorer le mélange des genres qu’il effleure sans avoir trouvé la formule qui lui va le mieux. Et si le prochain était le bon ?
Point Vinyle : La sortie vinyle, sans cesse repoussée (avez-vous remarqué les problèmes d’approvisionnement terribles qui ont bouleversé tous les calendriers de livraison cette fin d’année ?) arrive à priori pour fin décembre. Outre la version noire, une version blanc os avec splatter rose – plutôt jolie – est dispo dans toutes les bonnes VPC metal, Nuclear Blast en tête. Mais le Graal reste la version limitée grise avec splatter noir, surtout parce qu’elle est accompagnée d’un booklet avec les paroles et de nombreuses illustrations additionnelles de Turner.
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