Quelques mois après la sortie de ce disque, on apprenait qu’il s’agissait du chant du cygne. Ce sont ces mêmes mois qui ont accompagné ma découverte de Kyuss, car j’ai acheté l’album à sa sortie, et que je faisais la connaissance du groupe par la même occasion. Petit traumatisme que de sentir la qualité du groupe s’affirmer d’écoute en écoute, de constater que Kyuss était manifestement un groupe d’exception, pour apprendre immédiatement ensuite qu’il se sépare. Stupeur, déception… Dès lors, l’objectivité de ma chronique sera toute relative (c’est un euphémisme), mais existe-t-il quelqu’un sur ce site qui soit vraiment objectif concernant Kyuss ?
Après coup, en revanche, on comprend tout. Elektra (l’une des plus grosses majors ricaines) leur déroule le tapis rouge suite au succès de “Sky Valley”, qui a sorti les 4 gamins californiens de l’underground. Chris Goss produit la galette dans un fauteuil en cuir, Joe Barresi est derrière une table de mixage dernier cri aux potards dorés, et au final, tout se beau monde se lâche sans retenue (et si l’on en croît les rumeurs, le groupe ne tourne pas qu’au lait fraise et à la nicotine). Là où “Sky Valley” était d’une homogénéité “mastoc”, un rouleau compresseur d’une densité émotionnelle forçant l’admiration, “…Circus…” part dans tous les sens. Pas de censure, on enregistre tout ce qui sort des instruments du quatuor. Forcément, on se retrouve avec quelques brûlots qui auraient pu se retrouver sur “Sky Valley”, on ne change pas une équipe qui gagne (notamment le trio d’intro “Hurricane”, “One Inch Man”, et l’instru “Thee Ol’ Boozeroony”).
Mais dès “Gloria Lewis”, le ton change : le riff est si lourd qu’il est à mi-chemin entre l’évidence musicale et le ridiculement simpliste. John Garcia chante comme une caresse du tympan, et lorsqu’il se prend à monter le ton, la prod a la décence de le coller derrière le son de gratte (faut pas déconner, qui c’est qui tient le morceau ?). L’instru “Phototropic” et “El Rodeo” confirment la tendance : pas une tonalité spéciale, DES tonalités ! Encore un instru plus tard (il semblerait que les trips hallucinogènes de Garcia l’aient un peu mis hors jeu sur cet album…), on retombe sur une bombe Kyuss-esque de premier ordre avec “Tangy Zizzle”. Le riff est cinglant, le morceau est court et percutant, et Alfredo Hernandez (le remplaçant de Brant Bjork, qui était plus enclin au jeu plein de “feeling”) déclenche une cascade de cymbales étourdissante pour soutenir sa frappe de mulet, régulier comme un métronome.
“Size Queen” déboule ensuite pour mieux désorienter encore l’auditeur, avec des mélodies que l’on croiraient inspirées d’un vieux ska-reggae mou du genou, contre-balancé par un refrain bien pataud… Etrange, surtout qu’il ouvre la voie au somptueux “Catamaran” (qu’ils ont emprunté à leurs potes de Yawning Man, en y ajoutant par la même occasion des paroles), qui lui-même attire dans son aspiration (inspiration ?) le redoutable “Spaceship Landing”.
Ce dernier titre, qui clôt l’album, représente probablement l’apogée du “style Kyuss”, et incidemment de leur carrière : sur 11 minutes, le groupe déroule un simili-instrumental (le terme est bien choisi, tant les paroles presque stupides de Garcia ne sont qu’un prétexte pour accoler les vibrations de son organe majestueux à cette avalanche de guitares) sans temps mort, qui vous prend aux tripes sans vous lâcher. Montagnes russes émotionnelles, le morceau se fait d’abord lourd et arrassant, puis menaçant, pour laisser une éclaircie pointer le bout du nez au bout de 2 minutes. Scott Reeder porte ce morceau comme si sa vie en dépendait, burinant ses riffs à la basse comme on n’avait jamais entendu aucun bassiste le faire (depuis Lemmy), permettant ainsi à Homme de lâcher des soli aériens, avant de venir l’épauler à nouveau en rythmique. 4 minutes sont passées et déja le morceau est redevenu “aéré”, plein d’espoir, d’ouverture vers l’inconnu. Mais d’interrogation aussi, au bout de 7 minutes : on ne sait pas à quelle sauce l’on va être mangés,jusqu’à ce rebond final, qui nous mène vers un torrent de guitares, un enchevêtrement de riffs et de soli, dans une orgie électrique qui rend le morceau tout à fait impossible à jouer en concert : plusieurs lignes de guitares sont superposées, pour mieux ajouter en combats de soli enchevêtrés à l’infini, si bien que le morceau, s’il ne décédait pas par un fondu regrettable, pourrait continuer à tourner des heures entières.
C’est un peu la carrière du groupe, finalement, qui est résumée dans cette seule chanson : partis sur des bases underground, incertaines, Kyuss s’est affirmé, jusqu’à atteindre un point culminant, qui les mènera tel un Icare des temps modernes qui se rapproche trop au soleil du music business, jusqu’à l’auto-destruction. Le titre de l’album aussi, avec le recul, était cyniquement limpide.
J’ignore si cet album est le meilleur album de Kyuss. Objectivement, je crains que non. Objectivement, en revanche, ne pas le posséder me semble relever de la plus crasse hérésie.
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