Ne nous voilons pas la face : depuis la (salvatrice) reprise d’activité de Small Stone, on a du mal à cerner la ligne directrice du label américain, devenue peu lisible ces derniers mois. Même si l’ami Scott avait toujours soutenu les productions européennes, on a le sentiment désormais qu’elles occupent les premiers rangs de son roster – resserré aussi en terme de quantité, il faut le dire : Them Bulls (Italie), Miss Lava (Portugal), Captain Crimson (Suède aussi)… C’est donc avec un œil (et une oreille) toujours curieux mais circonspect que l’on aborde cet album des suédois de Långfinger – leur troisième, mais le premier sous le drapeau du label de Detroit.
Långfinger, donc, ou « doigt d’honneur » dans un suédois un peu simplifié. Mais point de rébellion acharnée dans cet opus, pourtant, contrairement à ce que pourrait laisser penser ce patronyme « contestataire » : sans baigner dans le consensuel gnan-gnan non plus, les 45 minutes de musique proposées (décidément, le format 45 min / 10 chansons est devenu le standard) tournent allègrement au heavy rock, parfois nerveux certes, mais on est bien loin du punk bave-aux-lèvres, ou même du high-energy rock que d’autres groupes suédois peuvent proposer (genre Hellacopters, Backyard Babies…). Ce n’est pas un indice qualitatif en revanche : ce que propose le groupe est intéressant et très bien fait.
Mais est-ce que ça casse trois pattes à un canard ? Pas vraiment non plus. Si le trio s’en tire bien, c’est effectivement dans sa qualité intrinsèque : compos soignées, exécution sans faille, prod exemplaire, mise en son impeccable… Même le format du power trio, le plus souvent un facteur de dénuement instrumental appréciable, est ici souvent aseptisé par un travail d’enregistrement recourant à des plans de guitare en plus, des claviers, percus… Assez loin du “raw and dirty” habituel chez les power trio. On est plus sur une autoroute stylistique qui balaye large que sur des sentiers de traverse à défricher de nouveaux territoires musicaux. On est aussi amené à la conclusion que le combo scandinave verse en fait vers un paysage musical complètement “américanisé”, sa spécificité géographique n’étant pas vraiment mise en avant. On pense occasionnellement à Van Halen (“Say Jupiter”) et plein d’autres groupes clés de l’americana / hard rock old school. Mais encore une fois, le trio ne rentre jamais franchement dans une case, et au final la synthèse prévaut.
En bref, Crossyears est factuellement un très bon disque, foutrement bien foutu et blindé de compos réjouissantes. Pour autant, et aussi méritant et talentueux que soit son trio d’auteurs-interprètes, on a du mal à l’imaginer laisser une trace indélébile dans l’histoire du rock. Ça ne l’empêchera probablement pas de donner sa ration de plaisir coupable à bon nombre de fans de gros rock graisseux (ils auraient bien tort de se priver) ainsi que sur scène où on imagine sans peine l’énergie déployée par leurs prestations.
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