Lord Dying était déjà un bel exemple de groupe difficilement « cataloguable », et ce n’est pas ce Clandestine Transcendence qui va changer cela. Tandis qu’on était tenté de positionner le groupe de Portland sur une sorte de doom sludge progressif et subtilement déviant (déjà assez loin des étiquettes classiques) sur la base de leurs deux premiers LP, leur troisième album, Mysterium Tremendum, avait un peu rebattu les cartes : le groupe s’y permettait des excursions musicales plus audacieuses, pour un aspect expérimental qui venait enrichir et complexifier leur musique. Un peu confusant, mais cela a apporté une profondeur supplémentaire à ce disque qui continuait à distinguer Lord Dying du « tout-venant ». Il semble que le groupe ait maturé cette vision, qui vient (dé)structurer fondamentalement son nouvel opus.
En effet, il est vraiment difficile de faire émerger la tonalité musicale de Clandestine Transcendence. Les racines sludge-doom du combo sont bien là, elles constituent même en réalité le fil rouge musical du disque… mais ce n’est plus son socle désormais, chaque titre proposant une « couleur » particulière. Les lister serait stérile, mais le propos peut très bien s’illustrer avec quelques exemples. Prenons le bourrin « I AM NOTHING I AM EVERYTHING », qui opère comme un répertoire par le menu du doom-metal extreme : plans sludge, funeral doom, post-metal, black metal, le tout introduit par un stoner doom lourd et martial (à la sauce des premiers Conan)… Tout y est, naturellement amené, et parfaitement exécuté. Un peu plus loin « Final Push Into the Sun », s’il évoque Mastodon en bien des points (l’aspect démonstratif en moins), voit débarquer un break en mode chant crooner à-la-Mike Patton, puis des évocations de musique circassienne (ce n’est pas la seule fois où l’on pense à Mr Bungle – voir aussi « A Bond Broken by Death ») et un long final où viennent s’enchevêtrer des leads de guitare épiques et envoutants. On notera aussi la paire de titres qui clôturent la galette (« Swimming in the Absence » / « The Endless Road Home »), deux mid-tempo très mélodiques, chacun foisonnant d’arrangements divers et variés (guitares, chœurs féminins…) apportant densité ou finesse selon les besoins… (l’occasion de saluer la production de Kurt Ballou, ici bien efficace) Et c’est la même histoire sur tout le reste de l’album : on pense à QOTSA avant d’entendre du High on Fire, un peu plus loin un refrain fait penser à Faith No More, balayé par un riff Power Metal, qui introduit un break à la Bell Witch…
Le duo créatif à la tête de la bête (les guitaristes Erik Olson et Chris Evans) s’est entouré d’une nouvelle section rythmique avec les locaux Kevin Schwartz et Alyssa Mocere (madame Pike à la ville – c’était l’instant tabloïd), deux musiciens qui, s’ils n’ont pas beaucoup contribué aux compos, apportent une belle matière à l’ensemble, à travers un jeu de batterie riche et dynamique, et un jeu de basse efficace et robuste. Il fallait en tout cas trouver les bons instrumentistes pour soutenir un tel fatras musical, et c’est chose faite. Mention spéciale au chant de Olson, qui déploie un spectre vocal remarquable (en gros il peut passer par toutes les nuances de bourrin entre les borborygmes vocaux les plus extrêmes jusqu’au chant clair chaleureux type crooner), élément clé de la musicalité déployée par ce Clandestine Transcendence.
Alors, génie ? fraude ? disque en avance sur son temps ? branlette intellectuello-bordélique ? S’il est difficile de prendre de la hauteur, fions nous à notre intuition : Clandestine Transcendence est un disque vers lequel on revient, longtemps, souvent et un peu inéluctablement. Un disque qui, une fois terminé, laisse son auditeur convaincu qu’il y a « quelque chose d’autre à gratter », déclenchant, encore, une nouvelle écoute. Sa densité musicale, la diversité de ses propositions, contribuent beaucoup à cet état de fait, en cela qu’elles évitent l’impression d’avoir jamais fait le tour du disque. Mais fondamentalement, les compos sont efficaces, le travail mélodique en particulier est remarquable, et c’est avec envie qu’on souhaite ré-entendre ce disque. Une minuscule réserve : deuxième segment d’un triptyque entamé avec Mysterium Tremendum, sur la thématique de la mort, Clandestine Transcendence est si « bariolé » qu’il est difficile de faire émerger un sentiment de fond autour d’une même thématique (même si avec le prisme des paroles, le filigrane est plus clair). Bref, un très bon disque. Un grand disque ? Les années le diront.
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