L’élément eaux est une intarissable source d’inspiration au sein du microcosme des musiques énervées. Entre Ahab et ses obsessions pour l’œuvre d’Herman Melville, Sulphur Aeon, l’album Leviathan de Mastodon (d’aucun diront leur meilleur) et bien évidemment toutes les références à Cthulu, les exemples ne manquent pas. A sa façon, Messa fait partie du club, calquant son tempo doom et ses préoccupations jazzy sur l’inquiétant clapotis d’une eau endormie. La pochette de Belfry, leur premier album, montrait d’ailleurs le beffroi du lac de Resia, édifice dressé au milieu de la vaste étendue liquide.
Formé en 2014 à Cittadella, le quatuor italien honore les grands aînés du doom, avec des riffs bas du tempo et, par la voix envoutante de sa chanteuse, s’invite à la table de ceux et celles qui parent l’occulte de pourtours enchanteurs, aux côté de Jex Thoth, Windhand ou Mammoth Weed Wizard Bastards. Mais ce n’est pas tout. Quelque chose attend, tapi dans les profondeurs. Quelque chose de jazz. Le saxophone sur « Blood », l’une des grandes réussites de Belfry annonçait déjà la couleur et Feast For Water se retrouve à l’exacte confluence des genres.
L’album s’ouvre sur « Naunet » (déesse égyptienne de l’eau) et suit le cours agité d’un fleuve en crue, amarrant son talent le temps de deux grands moments, mêlant le doom le plus pur à un irrésistible torrent de jazz : « Leah » et « The Seer » (ce riff mais ce riff !). Deux perles qui ne sauraient pourtant masquer la profondeur de ce disque, que Messa inonde de sa classe morceau après morceau. Serpentant agilement entre nos émotions, « She Knows » s’écoule paisiblement puis débouche sur « Tulsi » alternant entre cascades métalliques et ruissèlement jazz, écoulant son émotion par quelques jets discrets de saxophone en fin de titre. Loin des berges de la tradition, la musique de Messa est un geyser de libertés jazz, parfois drone, souvent heavy, toujours brillant. « Da Tariki Tariqat », instrumental s’égrainant sur quelques notes sensibles, clôture ce superbe album par les parfums d’un ailleurs, par delà l’estuaire, apaisant le bouillonnement d’idées par lequel Feast For Water est traversé.
Qui aurait cru que le doom, musique sédimentaire réticente à toute idée de modernité s’offrirait une telle jouvence et qui aurait cru que la vague viendrait d’Italie ? Qui aurait pensé que c’est traversé par le jazz que ce genre si conservateur s’offrirait un nouveau (ultime ?) tourbillon artistique ? Feast For Water est un album que l’on peut placer, sans trop se mouiller, parmi les plus grandes réussites de l’année.
Point Vinyle :
Aural music l’a joué sobre : 200 disques en orange/black. Le reste en orange. De quoi nager dans le bonheur.
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