Avec désormais dans leur CV un album aussi solide que Soma (il y a trois ans), proposé dans le cadre d’une relation apparemment mutuellement bénéfique avec les incontournables et efficaces Napalm Records, puis une série de concerts notables (festivals, têtes d’affiches, petites tournées européennes), les allemands de My Sleeping Karma n’ont pas franchement de pression ni quoi que ce soit à démontrer à l’heure de proposer leur nouvelle production à la face du monde. “Moksha”, donc, titré d’après un concept une nouvelle fois issu de l’hindouisme, qui définit un état de libération, de relâchement… Comme si le groupe, qui a pourtant toujours su prouver sa complète émancipation du moindre carcan stylistique ou méthodique, prétendait à encore plus de liberté… A moins qu’il ne s’agisse de montrer, insolemment, le type de production musicale qu’il est possible d’attendre d’un groupe passionné, talentueux, qui ne subit aucune entrave à son inspiration.
Tant et souvent fut décrite dans ces pages la nécessité d’attendre plusieurs écoutes d’un album pour vraiment en capter la teneur ; jamais plus qu’ici ce ne fut le cas. La première écoute en effet donne presque une impression de “mollesse”, une sensation cotonneuse pas désagréable, mais avec la crainte d’un manque de relief. Il faut très peu de temps pour apprécier la pleine dimension du disque, et pour se faire écraser par un véritable déferlement sensitif ensuite. Pour qui a déjà vu le quatuor teuton live, cette sensation n’est pas étrangère, cette idée de se sentir embarqué dans un trip musical dont on ignore à chaque minute où il va bien nous emmener au détour du riff suivant. Moksha reste complètement dans cette veine… mais en encore mieux que Soma. Et largement (et on l’aime, Soma…).
Pourtant “Prithvi”, son premier titre, aurait pu nous induire en erreur : sorte de quintessence du savoir-faire du groupe, ce titre impeccablement construit et exécuté (déjà un classique en live) ne laisse pourtant pas supposer de l’évolution de MSK sur ce disque. Ce n’est qu’à partir des compositions suivantes que l’on saisit mieux que l’on a affaire à du lourd. A l’image de “Vayu”, un titre qui commence dans une sorte de torpeur (baignée de claviers un peu mièvres…), pour atteindre dès son premier tiers une montée en puissance à travers un break sorti de nulle part. Frissons. On notera dès ce titre le jeu de batterie de Steffen, riche et robuste à la fois. “Akasha” plus loin renoue avec cette tradition pour le groupe de ces titres fondés pour l’essentiel sur une mélodie clé, sorte de riff évolutif, tiré dans tous les sens au fil de la chanson. Pas de surprise, mais une vraie démonstration de composition. Plus loin, le morceau-titre de l’album, à l’image de “Vayu”, prend son temps avant de dévoiler son vrai visage : ce n’est qu’après un break impeccable que sa toute puissance se fait jour, et c’est quasiment un nouveau titre qui nous est proposé après trois minutes, pour s’apaiser à nouveau ensuite, puis regagner en force émotionnelle à nouveau, avec le concours notamment d’un arrangement de violoncelles tout simplement impeccable. Même chose pour “Jalam”, véritable montagne russe rythmique, qui embarque l’auditeur d’un environnement space apaisant à des élans heavy rugueux. Enfin, “Agni” montre si besoin que MSK est avant tout un groupe de rock : une accroche directe bien râpeuse, avec cette fois un petit lick de guitare bien infectieux pour garder en tension… Et pour le reste, une trame mélodique à nouveau étirée dans tous les sens, étayée de lignes de guitare travaillées, un pur délice.
Notons que le groupe n’a pas rechigné sur “l’objet disque” et tout ce qui peut conditionner l’expérience d’écoute par l’auditeur : l’artwork, tout d’abord, est tout simplement sublime, riche en détails et parfaitement intégré à la musique. Par ailleurs, pour mieux organiser le cheminement du disque, le groupe a recours comme à son habitude à des interludes, systématiques… Sauf qu’au lieu de développer des mini-compos ou des transitions “passe-plat”, ils ont demandé à des potes musiciens (Rene de Wight, David de The Machine, Christof de The Intersphere, etc…) de leur proposer des séquences instrumentales libres, selon leur inspiration : ces interludes, effectivement plus variés, s’intègrent parfaitement au corps du disque, et y apportent encore un peu de richesse.
Avec Moksha, My Sleeping Karma propose sans ambiguïté son meilleur disque à ce jour, et en profite pour se poster en pionnier, unique représentant d’un genre musical qui, certes, puise ses racines dans le rock psychédélique et le space rock, mais y adjoint une qualité de composition qui fait souvent défaut au genre, ainsi qu’un effort d’arrangement inédit. Une sorte de heavy rock instrumental psychédélique épique… en gros… Mais plus fondamentalement, c’est un disque aussi passionnant qu’intelligent et généreux. Un incontournable.
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