Los Natas. Le nom du trio argentin réveille chez les plus vieux d’entre nous des souvenirs plein les oreilles. A l’époque, les années 2000 paraissaient encore loin, les groupes de stoner se comptaient sur les doigts d’une main (OK, de quelques mains…), mais personne ne savait encore qu’ils jouaient du “stoner”. Los Natas était de cette engeance, et a abreuvé nos jeunes années d’une discographie pleine d’un rock riche et sableux, aventureux et débridé, à la fois respectueux des codes et faisant preuve d’une liberté exaltante. Un peu plus d’une demi-douzaine d’albums plus ou moins déstructurés, des splits, des EP, des apparitions dans des compils obscures… Le groupe fut pour le moins productif, proposant en 2006 et 2009 ses deux derniers albums, les plus solides (pas forcément les plus aventureux), chez Small Stone Records. Et puis pschitt, disparus. Quelques années plus tard, en 2012, le split est entériné.
Depuis, le “grand public” est passé à autre chose, pensant la cause perdue. Pourtant, comme depuis leurs débuts, le groupe est resté actif. Enfin, pas le groupe, mais surtout Sergio Chotsourian (Sergio Ch.) son leader et fondateur. Depuis la fin de Los Natas, le bonhomme a lancé son petit label, où il offre le gîte et le couvert à des groupes argentins de toutes natures, allant des artistes folk locaux jusqu’aux délires bruitistes… N’étant jamais si bien servi que par soi-même, il propose régulièrement des sorties pour ses propres projets musicaux personnels, qu’il s’agisse de ses productions solo (sous son nom Sergio CH.) ou de son groupe-projet… Soldati ! Depuis quatre ans, le bougre dissémine des bribes ou brouillons de ce qui constituera son tant attendu premier album, que nous retrouvons enfin dans nos petites mains numériques, les yeux brillants et les lèvres tremblantes (j’en fais trop là ? Vous me dites hein…).
Dès les premières notes, les saveurs complexes mais primitives de Los Natas nous reviennent rapidement en bouche – et en premier lieu cette production brute de décoffrage, qui laisse juste assez d’espace à quelques très modestes effets, pour dérouler un tapis rouge aux nappes fuzzées dressées par la gratte de Sergio. Plus de dix ans après Nuevo Orden de la Libertad, son chant apparaît plus rauque et plus “nasillard” (même si dans les faits cette évolution fut plus progressive), en tout cas plus frontal et assumé (voir à cet effet l’intro de l’album, “From Skulls”, lancé presque a capella – un choix presque déstabilisant). Tout comme pour Los Natas avec son compère Walter, c’est avec Lucas Cassinelli à la 4-cordes que Sergio mène la barque Soldati (nous ne nous pencherons pas plus avant sur la volatilité des batteurs dans l’ensemble des formations de Sergio…) depuis les débuts. Manifestement un choix décisif au vu de la lourdeur du son de cette galette.
Après de très nombreuses écoutes, il est évident que Soldati n’est pas une vilaine résurgence de Los Natas, et c’est aussi remarquable qu’honorable. Pourtant les différences sont difficiles à cerner. Fondamentalement, Doom Nacional (quel titre d’album, bon sang !) est un album solide, cohérent et dense (là où Los Natas pouvait glisser ici un instrumental planant, là une décharge punk, pour ponctuer ses disques). Ses compos sont malines, efficaces, mises en son avec intelligence et anticonformisme. On est souvent déstabilisé par l’originalité du mix, en particulier par la mise en exergue de ce chant espagnol si marquant, même si au final ce sont les séquences musicales qui sont le plus nombreuses. Il faut dire que le guitariste n’a pas oublié la science du riff, loin s’en faut : “Suicide Girl”, “La Electricidad Del Arbol Caido”,… le mid-tempo qui bastonne n’a plus de secret pour lui. Sans parler de ce groove, probablement la touche sud-américaine, qui pousse au headbanging tridimensionnel… En tout cas, aucun titre n’affaiblit la galette, tous ont leur place (il n’y en a que 7 en même temps…) et participent à développer une ambiance à la fois confortable et atypique dans le paysage sonore des albums de ces dernières années.
Pour autant, l’album ne plaira pas qu’aux nostalgiques (et pourtant, quel ravissement de se plonger dans les très Kyuss-iens “Solar Tse” ou “Un Tren al Sol”…) mais fondamentalement aux amateurs de stoner pour ce qu’il a de plus pur, hors mode, à l’esprit libre et frondeur.
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