Loin de souffrir de leurs nombreuses tournées, ou des réguliers changements de line-up, la créativité du trio Ukrainien semble intarissable. À moins qu’elle ne puise justement dans ces mouvements perpétuels pour produire encore. Toujours est-il que trois ans après le succès de The Harvest, Stoned Jesus profite de la rentrée musicale pour sortir chez Napalm Record son quatrième album : Pilgrims. Et, une fois n’est pas coutume, le groupe nous prend à revers.
On le sait désormais, la force du trio réside dans sa capacité à se réinventer en permanence ; à capter l’influence de ses pairs pour en extraire une essence qu’il transforme en d’audacieuses compositions se démarquant tant par leur richesse que par leur originalité. Ce qui le rend particulièrement difficile à catégoriser. Et c’est tant mieux ! De cette façon, si Seven Thunders Roar se démarquait par sa beauté, la profondeur de sa narration, suggérant le conte d’un vieux chaman narré sous un ciel étoilé et rempli d’animaux mystiques, Pilgrims dénote par la tension qu’il véhicule et cette sensation permanente de mélancolie.
Après le percutant « Excited » d’introduction, qui propose des riffs vigoureux, un rythme dynamique et une énergie indéniable, on plonge vite dans la sombre mer de « Thessalia ». Et dès l’intro, on sent toute la lancinance du morceau. Une tension instaurée de bout en bout. D’un côté, la ligne de basse simple et redondante installe un climat d’urgence, renforcé par une batterie discrète mais pressante. D’un autre côté, les riffs d’Igor qui débutent en palm mute se hissent ensuite crescendo vers les hauteurs explosives. Tandis qu’en dernier lieu, vient sa voix qui s’étire, qui se perche comme une épée de Damoclès au-dessus du protagoniste et le menace.
On ressent le même malaise durant « Distant Light », qui bénéficie d’une construction similaire, avec un refrain peut-être plus mou encore. Et pour « Feel », la tension lancinante nous englue tant dans l’apathie qu’elle transforme presque la musique en un appel à l’aide. Et à l’approche du refrain final, c’est une prière de miséricorde…
« Hand Resist Him », d’abord assez évocateur de Mars Red Sky (réminiscence, s’il en est, de la tournée du trio de Kiev en compagnie de nos amis bordelais), rattrape le coup par son envolée finale vers les cieux intangibles du psychédélisme déluré. Altitude salvatrice également atteinte à la sortie de « Water me ». Même si durant les sept premières minutes du morceau, il s’agit d’une pièce lente, incantatoire et épurée à souhait. Le retour au doom du premier album. Mais un doom trop propre. Un doom sans graisse ajoutée. Un doom bio.
Au cours de l’écoute de ces sept pistes, on évolue donc bien loin de l’énergie habituelle du groupe. Le groove à faire chavirer de « Wound » ou d’«I’m an Indian » brille ici par son absence. Mais on y découvre à la place une substance nouvelle. Un style aussi subtil qu’auparavant mais avec une approche bien différente de ce qui fait leur musique. Et lorsque l’on constate le nom du titre clôturant l’album (« Apathy »), on se dit qu’il ne s’agit guère d’un hasard. Stoned Jesus se renouvelle, sort de sa zone de confort et expérimente encore, afin que le moment venu, le trio transcende une nouvelle fois ses créations sur scène et leurs offre ainsi la valeur qu’elles méritent.
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