Mon pote Flaux vous avait présenté la première trace gravée dans le sillon par cette jeune formation composée de vétérans (c’est plus élégant que vieux) de la scène rock helvétique en 2015 ici : lien. Huit ans plus tard, des cheveux blancs et un hurleur en plus, le désormais quatuor nous rappelle à son bon souvenir après une livraison discrète en 2018 (le long format Horde) commercialisée en circuit-court par Tenacity Music qui a propagé une palanquée de productions rock romandes qualitatives durant de longues années.
C’est auprès d’Argonauta que les riverains du Léman (ils sont du coin où on ne dit pas trop Lac de Genève) se retrouvent pour ce troisième, et magnifique, album comptant de nombreux featurings de leur cru. Les invités du quatuor apportant aux titres sur lesquels ils évoluent une teinte unique transportant ceux-ci à un niveau supérieur. Leur transposition pour l’exercice live sera un défi de taille pour les Romands expérimentés. Le challenge de la production de ce long format étant lui-même relevé de belle manière et l’essai foutrement transformé.
Le soin apporté par les artisans de cette sortie frise la magie et ce bordel a été magnifiquement capté et mixé par Raphaël Bovey (entendu à la batterie dans Kruger ou Sweet Disease pour ceux qui s’en souviennent) ainsi que masterisé par Ladislav Agabekov (Le Lad encore fréquentable sur scène à la basse dans Nostromo). Clairement à classer dans la catégorie sludge pour bourrins à incursions vocales gutturales, cet opus a été très finement fignolé pour ne pas se vautrer à plat ventre dans le bayou dégueulasse en se contentant simplement de balancer des bûches.
Au sommaire de cette succulente production, outre une prélude interlope au déluge sonore, nous retrouvons 10 plages à la fois cohérentes dans leur ensemble et singulières notamment en raison de la latitude artistique que se sont autorisés les reptiles en poussant l’exercice à fond avec les contributeurs conviés à la fête. Ces derniers étant au générique de 6 titres.
« Crater », qui entame les hostilités, voit Michael d’Impure Wilhelmina se joindre au quatuor en accompagnant la bagarre générale avec un chant clair qui transpose le déluge sonore ralenti en un brulot presqu’emprunt d’urgence aux relents connexes à l’œuvre de Soundgarden. C’est clairement un des gros coups de cœur de cette sortie avec « Cuts » qui balance du stoner fuzzé durant un peu plus de 3 minutes avec l’artiste hip hop La Gale qui place des chants précis sur un tempo rapide martelé par la rythmique qui se place devant un énorme mur de guitares saturées. Ce dernier titre contrastant avec les vocaux gutturaux mixés aux chants clairs qui se répondent sur « Impetus » tel un dialogue entre le groupe et son invité Danek. On citera encore la présence de Yonni de Rorcal sur « Silver Lakes » (le deuxième single issu de cette prod) qui partage la présence de Denis à la trompette aussi présent sur « Taenia ». L’apport de cuivre au sludge, ou au post machin truc, est clairement le truc en plus de cette production rutilante qui la rapproche d’artistes comme The Progerians. Je vous incite toutes et tous à aller vous cogner les 6 minutes de « Taenia » qui constituent une des deux pièces maîtresses de « Conjure » : c’est lent, puissant, visqueux, halluciné, hallucinant et terriblement addictif.
Hormis la présence de guest, Maude, Fabrice, Randy et Guy font un job de groupe sur des compositions généralement plus pugnaces comme les 3 minutes et demi de « Ecorce » où les guitares dissonantes viennent sonner magistralement au milieu de vocaux étouffés inscrits dans une structure rythmique martiale. Sur « Back Cat », le groupe déroule avec le frein à main tiré à fond pour appuyer plus amplement sur le rendu sombre et torturé de son art dissonant : ça laisse présager des gros mouvements de nuques en public (les physios se frottent les pognes). Après avoir multiplié les écoutes pour m’immerger jusqu’à l’abrutissement total (j’avais déjà quelques coups d’avance…), je rejoins le choix des artistes qui ont opté pour envoyer « La Boue » en éclaireur afin de teaser la chose. Un titre concis, carré, qui se déploie autour d’un riff central répété durant un peu plus de 3 minutes à l’ambiance malsaine qui colle à l’auditeur comme la fange sur les mocassins.
Conjure s’inscrit dans les plaques qui vont compter cette année en se cognant des codes, en fédérant des talents de sa région même quand la filiation musicale n’est pas évidente et en se torchant avec la convenance qui voudrait voir les groupes pratiquer une démarche artistique hyper redondante (même si Motörhead est cité comme influence). Cette production est d’une noirceur jouissive, je remercie tous les protagonistes de m’avoir procuré un tel bonheur. Bisous baveux !
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