Dans le métal avoir deux batteurs c’est comme avoir un Hummer avec 6 roues. Ça fait costaud et ça impressionne mais ça ne sert à rien. Voilà ce qu’aurait pu être mon postulat de base si à l’origine on m’avait vendu The Lumberjack Feedback par ce biais. Il faut dire que lors de mes premières écoutes je n’ai pas tout de suite réalisé la présence de 2 batteurs puis je me suis dit qu’un poulpe ne pouvait pas tenir de baguettes et qu’il fallait revenir à la raison. Après l’excellent Blackened Visions, voici revenus les doomeux Lillois pour leur seconde plaque long format, Mere Mortal, tremblez faibles créatures que vous êtes!
Si l’attaque est puissante (“Therapy” et “Kill! Kill! Kill! Die! Die! Die!”) Mere Mortals est surtout hypnotique et organique, telle est ma vision de ce que le Doom français fait de mieux en ce moment. The Lumberjack Feedback prend aux tripes et à l’âme. Il ne s’agit pas d’un Doom monomaniaque et vulgaire, non, les temps, les compositions, la fluidité des notes plongent l’auditeur dans un bain unique. S’il est visqueux il est également apaisant et redonne de l’énergie, “New Order (Of the Ages) Part 1” en est l’exemple parfait. L’art des bienfaits du mal-être en somme.
Les cordes se tendent, gémissent comme à l’agonie. Mere Mortals est un champ de bataille particulier où tout est harmonieux et terrible. Les titres les uns après les autres montent à l’assaut, sans crainte, avec détermination et seule point dans leur chant la mélancolie de ces notes condamnées à s’éteindre au service d’une cause qui les dépasse. La facture martiale de l’œuvre de The Lumberjack Feedback est certes notable mais il y a bien plus que cela. C’est une œuvre vivante et intelligente qui puise dans les sentiments de l’auditeur autant que dans ceux des interprètes, à n’en pas douter.
The Lumberjack feedback parle de la mort mais aussi de l’univers. Il est de ces groupes qui attendent la fin des temps et embrassent pleinement cette perspective en simples mortels (Mere Mortals) qu’ils sont. Ne s’encombrant toujours pas de chant, le groupe tourne son Doom vers un Post Métal d’excellente facture, plus sombre encore qu’un Russian Circles mais tout aussi prenant. La musique y est obsédante et l’avalanche déclenchée par les deux batteurs semble ne vouloir jamais s’arrêter. Les cordes viennent apporter une tension insoutenable, laissant entrevoir l’explosion qui se prépare et respecte ainsi les préceptes d’un Alfred Hitchcock en matière de suspens. Mere Mortals s’écoute de bout en bout, chaque titre étant indissociable des autres.
Bien que l’œuvre soit sombre, elle s’ouvre vers quelque chose de plus lumineux vers sa conclusion, sur “A White Horse Called Death” en particulier. Une apogée en oxymore musical où les notes se font de plus en plus rares et où les accords plaqués vibrent longtemps comme dissociés des temps des batteries, comme deux partitions distinctes qui s’allient par un heureux hasard. Puis la clôture se fait avec “Kobe (Doors of Spirit)” et un retour à des coups de fouets rapides et étoffés. La fin du monde se sera faite en 48 minutes avant que ce dernier ne revienne à la vie. Le temps est une illusion, cela n’aura duré que l’espace d’un éclair et il faudra vite se rejouer le film encore et encore.
Une fois de plus The Lumberjack Feedback conquiert son auditoire avec un style particulier naviguant entre deux eaux. Mere Mortals est une œuvre faite d’âme et de cœur. En Sept pistes on retrouve déchaînement de violence et calme en faux semblants, mobilisant chacun des sens de l’auditeur. Ce dernier ressort de l’expérience augmenté et comblé. Il s’agit là d’un album à acquérir, à faire revivre aussi souvent que possible jusqu’à l’usure tant est qu’il soit possible d’en sonder l’entièreté!
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