On va se le dire : on est tombé des nues il y a quelques mois, lors de l’annonce de la signature chez Small Stone de The Socks, un groupe français, avant tout, mais surtout… peu connu ! Etrange sentiment que cette fierté de voir décidément, après Abrahma, un autre groupe de l’hexagone ainsi reconnu, mais une fierté mélangée d’une vraie surprise : on ne peut pas dire que ce combo ait beaucoup fait parler de lui avant de remporter ainsi la timbale. Peu de concerts en France, peu de “buzz” (le groupe originaire de Lyon ne bénéficie pas du petit microcosme bien dynamique centré sur Paris et quelques autres villes), un nom du groupe franchement ridicule… Pourtant, le quatuor s’est construit une petite carrière modeste mais robuste, traçant sa route et travaillant sa musique pour aboutir à son premier album après plus de quatre ans de carrière… direct chez Small Stone, donc, excusez du peu !
Une fois engloutie la galette donc, là aussi, surprise : le groupe évolue dans un hard rock complètement 70’s, ils se vautrent dans un blues-rock graisseux nappé de stoner old school, un genre musical qui clairement les place dans la mouvance très porteuse de tous ces groupes “revival” (Graveyard, Uncle Acid, Horisont, Kadavar, etc…), dont on ignorait avoir un représentant en France. Pour autant, nos frenchies ne copient pas : leur musique détonne par ses orientations plus rock, plus brutes parfois. Tout en gardant cette chaleur et cette prestance polie toute british vieille école du rock (genre Zeppelin milieu de carrière), on sent poindre quelques débordements plus violents ici ou là, qui laissent penser que la carrosserie nickel de cette vieille Rolls anglaise sobre et distinguée cache en fait un gros V8 trafiqué bien crasseux.
Mais le plus étonnant encore – et ce constat n’intervient que passées plusieurs écoutes – c’est la maturité de ces compositions. Impossible pour autant de les catégoriser, tant l’on évolue entre diverses ambiances et trames musicales. On prendra pour exemple “Some Kind Of Sorcery”, qui entame sur une première moitié complètement stoogienne, avant de verser dans une tonalité plus heavy à la Sabbath et de finir sur des ambiances psyche. Chaque titre, sans jamais virer au “fourre-tout”, peut ainsi se frotter à plusieurs sonorités, sans jamais perdre en cohérence ni en efficacité. Musicalement, l’album est marqué par la personnalité du vocaliste Julien, développant cette tessiture délicieusement éraillée et occasionnellement nasillarde, impeccablement puissante, qui laisse sa trace sur chaque morceau (sans accent français pourrave, précisons-le). Ca ne cache pas le travail remarquable du duo de gratteux (dont Julien) qui enquillent leads et riffs comme s’il en pleuvait, et jamais dans la démonstration. Ecouter par exemple le redoutable “New Kings”, emmené par un gimmick de guitare de quelques secondes (intro et outro) en trois malheureuses notes, jouées de manière presque tremblante, voire hésitante – ce détail montre un parti pris couillu, là où la plupart des combos plus “classiques” auraient fignolé ce passage pour le rendre complètement lisse et aseptisé. Le reste du morceau contient par ailleurs quelques succulents passages de wah wah. On pourra aussi citer, parmi d’autres, l’excellente “Gypsy Lady”, lardée de nappes de claviers qui nous renvoient direct au début des années 70 – des claviers que l’on retrouve tout aussi pertinemment sur l’avant dernière section du colossal “The Last Dragon”.
A noter un autre point fort, lui aussi assez subtil pour ne pas en jeter plein les yeux : la production. Classieuse et intelligente, elle fait en sorte que tous les titres se voient agencés de manière à développer, l’air de rien, un processus immersif presque vicieux : l’ordre et l’enchaînement des morceaux sont si bien travaillés (dont quelques transitions particulièrement habiles) que l’auditeur se laisse porter inconsciemment et déroule chaque étape de ce disque sans en réalité le sentir défiler. Sentiment bluffant au final de constater que l’on est parti du léger et insouciant “Lords of Illusion” en intro en se laissant porter de titre en titre, pour clôturer le disque avec le puissant, épique et sombre “The Last Dragon”, lui-même porteur d’une outro grandiloquente, solennelle puis presque triste.
Bref, vous l’aurez compris, même si le facteur “surprise” (le maître mot de cette expérience vinylique, vraiment) y est pour beaucoup, on est indubitablement là devant un vrai bon disque. Un disque ramassé (moins de trois quarts d’heure), paradoxalement rempli de plein de choses, un disque bien construit, bien écrit, bien interprété, et dans un genre musical qui ne trouvait jusqu’ici pas de réelle incarnation dans le paysage français. Remarquable.
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