Début 2019, Magnetic Eye records a lancé un appel à contribution (les jeunes appellent ça crowdfunding) pour financer / pré-commander une version “[Redux]” (leur concept de tributes sur des albums cultes) du Vol. 4 de Black Sabbath. Au bout de quelques semaines, comme il est désormais assez courant, un “stretch goal” a été mis en place, proposant en complément un second disque moins conceptuel, un “simple” best of de Sabbath toujours en mode tribute. Ce disque, au même titre que le [Redux] auquel il est originellement rattaché, sort donc maintenant, près de deux ans après le lancement de la pré-commande. Naturellement, il ne va pas savonner la planche de son frère siamois, et ne comporte donc aucun titre issu de Vol. 4. Pour le reste, les 6 premiers albums de la sainte discographie sont ponctionnés, avec même une incursion dans Never Say Die. A noter aussi, la moitié des groupes contributeurs au disque sont des artistes “in house”, déjà signés sur le label, donc par nature pas trop difficiles à choisir et ferrer…
On l’a dit et re-dit : il n’existe pas de vision unique à l’aune de laquelle évaluer la qualité et (surtout) la pertinence d’un tribute album. De fait, pour les groupes impliqués, la qualité du résultat dépend d’une savante mixture entre l’intention du groupe, le respect du groupe originel, la fidélité de la reprise, la qualité intrinsèque du groupe interprète, la prise de risque, le facteur surprise, etc… Toutes les composantes de la machine à perdre sont donc réunis au moment d’écouter un tribute album, ce qui en rend l’appréciation systématiquement compliquée. L’affaire est d’autant plus complexe quand on se frotte à l’icône, le parangon, le mètre-étalon de tout ce qui a été produit de saturé depuis plus d’une génération : reprendre du Black Sabbath c’est comme tenter de repeindre la Joconde avec des stylos Bic ou sculpter la Pieta avec un vieux chewing gum sec. L’exercice est aussi vain qu’il est casse-gueule, et il faut se détacher des originaux pour vraiment évaluer leur interprétation. Quasiment impossible…
On choisit donc d’encaisser cette galette par le menu, sans idée préconçue ni contextualisation. Les gars de Magnetic Eye ne sont pas nés de la dernière pluie et savent que le “facteur Wow” est toujours efficace : ils calent donc dès l’intro l’une des plus belles pièces, avec rien moins que la vision de “Never Say Die” par Earthless. Les vétérans du jam rock ne se font pas piéger dans cet exercice et la jouent super fidèle : chant nasillard, rythmique débridée, break décalqué sur l’original, faible prise de risque sur le beau solo… Solide. D’autres “valeurs sûres” contribuent au track listing du disque, avec notamment le “Electric Funeral” de Solace – petit hold up de l’album néanmoins, le label ayant simplement récupéré cette onctueuse mais ancienne reprise (dispo dans Sweet Leaf, le tribute à Sabbath publié en 2015). L’une des meilleures du disque, bien sûr, mais néanmoins incorporée en douce un peu à la hussarde. On ne salue pas l’effort, mais on apprécie de la réécouter. Autre curiosité : une sorte de “super groupe” est monté avec les musiciens de CKY et la moitié de Fireball Ministry, propice à déguster la brillante ligne de basse de “N.I.B.” sublimée par Scott Reeder, sur une interprétation solide et respectueuse de ce titre.
Pour la suite, on alterne le bon et le moyen. On passera rapidement sur les correctes interprétations de Black Electric (“Sweet Leaf” avec grosses guitares et chant nonchalant – ce qui peut être vu ironiquement au regarde de la thématique du titre – ainsi que quelques arrangements originaux mais discrets) ou encore de Hippie Death Cult, fidèle et (donc) efficace. Howling Giant brille aussi dans le même exercice avec un “Lord of this World” au final épique. De même, Caustic Casanova, bons élèves appliqués, déroulent gentiment leur “Wicked World”, mais prennent quelques copieuses libertés sur le break en milieu de titre qui dégénère en torrent de leads. Pas inintéressant en soi, mais sans lien avec Sabbath, et du coup un peu vain. Dès lors, la première question fondamentale se pose : ne devrait-il pas être illégal de se faire briller sur le dos du grand Sabbath ? La question est légitime.
Si ce n’est Thou, c’est donc Rwake, au rendez-vous de la reprise bourrin, passage obligé de tout tribute désormais. Le groupe sludge-ise bien comme il faut “The Writ” (plus lent, plus gras, plus trappu en guitares) pour une interprétation plutôt sympa (dont 50% de l’intérêt tient dans le jeu de mot du titre proposé, “The Rwrit”). Plus loin les bourrins de Leather Lung s’en sortent pas mal en développant l’aspect sautillant de la rythmique de “Hole in the Sky” mais ruinent un peu le tout avec son chant mi-sludge du coup encore plus décalé.
Mooner adapte “The Wizard” à son moule, ça marche plutôt bien (l’harmonica remplacé par la flûte c’est quand même un peu capillotracté mais pourquoi pas). Même approche pour Brume, qui s’attaque au planant “Solitude” à grands renforts de piano et de violoncelle, pour un final charpenté en mode post-metal atmosphérique. Moui.
Enfin, les grands gagnants de l’opération… L’un des meilleurs titres du disque est le fait d’Elephant Tree, qui reprend “Paranoid” en posant ses cojones sur la table, ré-interprétant complètement ce joyau brut, sans en changer la substantifique moelle. La rythmique est étirée pour lui donner une tonalité doom (évidemment) pachydermique, et l’impact de l’original, percutant car contenu sur moins de trois minutes, est maintenu en sacrifiant une paire de couplets ici ou là ; mais le résultat vaut bien cet humble sacrifice. Dans la même veine, les jeunes norvégiens de Saint Karloff parviennent à surfer sur “Sleeping Village” pour déployer de copieuses lampées de leur proto doom psychédélique, en prenant de larges libertés sur l’original, calant des plages instru entières ici ou là pour l’étirer sur presque 8 minutes. On est finalement dans l’esprit chaotique de l’original, et ça passe bien ! Autre bonne surprise : Year of the Cobra et sa très bonne ré-interprétation doom atmosphérique et aérien de “Planet Caravan”.
Difficile avec tout ça de se faire un avis global cohérent. Point à noter néanmoins : il n’y a pas de gros plantage, d’interprétations irrespectueuses et honteuses, ou de prise de risque à côté de la plaque (avouons-le : ça arrive pourtant souvent dans les albums de reprises). De fait, on retrouve aléatoirement des titres oscillant entre le moyen et le bon (et de rares très bons), ce qui en soit est une plutôt bonne surprise au regard de nos attentes plutôt modestes par rapport à l’objet. Reste la question “avait-on vraiment besoin d’un nouveau tribute à Black Sabbath ?”… dont la réponse appartient à chacun.
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