Le florilège d’envolées lyriques qui entoure la sortie de ce disque incite à rationaliser un peu quelques éléments de contexte, pour dépassionner le débat en quelque sorte. Commençons par préciser ce qu’est, et ce que n’est pas, Vista Chino. Vista Chino déjà, rappelons le, a adopté ce sobriquet en remplacement de son nom initial Kyuss Lives!, forcés par une décision de justice ; sans cela, ce disque aurait été celui de Kyuss Lives!. Derrière ce patronyme, le béotien aurait pu penser retrouver la majorité de Kyuss, sauf que n’y figure en fait que 75% du line up… de “Blues For The Red Sun” ! Oliveri se fera virer juste après, et Brant Bjork un peu plus tard… “Blues…”, donc, un album qui, s’il est excellent, n’est pas pour autant le plus connu ni le plus intéressant de Kyuss, loin s’en faut. Par ailleurs sur cet album, notons que Seul Brant Bjork (batterie…) avait participé au travail de composition (sur environ un quart des titres) et Oliveri sur un seul morceau. Garcia n’a contribué pour sa part aux paroles que de quatre des chansons qu’il y interprète. Quant aux albums suivants, qui ont créé et scellé le succès de Kyuss, notons que seul Brant Bjork apparaît timidement sur Sky Valley (15% du travail de composition), Garcia étant absent des crédits (et à peine présent sur “… Circus”). Voilà donc pour mieux caractériser les inputs de cet album : clairement, et factuellement, ce sont les seconds couteaux de feu-Kyuss qui se sont retrouvés dans Kyuss Lives!, il est important de s’en souvenir. Ces gars là n’ont jamais écrit quoi que ce soit ensemble depuis plus de vingt ans avant cet album, et dans tous les cas, peu de choses décisives dans la carrière de Kyuss. On retrouve donc sur ce disque nos trois lascars (ou plutôt deux, le père Oliveri ne faisant plus partie du projet, ayant quitté le navire quand ça commençait à sentir pas très bon…), avec leur guitariste belge Bruno Fevery, qui co-compose la quasi entièreté du disque avec Brant Bjork (ce dernier produisant et enregistrant la galette dans son propre home studio). Voilà, le paysage est dressé, on décompresse, on se sent mieux, on peut commencer à écouter l’album.
Après une intro bouche-trou, difficile d’entendre “Dargona Dragona” en la liant aux éléments de contexte ci-dessus. On passe de “Allen’s Wrench” à “Green Machine”, puis à “Thumb” sur le couplet, et des vocalises de Garcia sur le refrain déjà entendues sur “Tangy Zizzle”… Ca commence bien ! Pour la distanciation avec le groupe-matrice, on repassera… Que Vista Chino ait choisi de mettre le focus sur ce titre pour engager la promo de leur album est soit un acte manqué qui ne dit pas son nom, soit une décision stratégique qu’il convient de bien peser. Petit malaise, donc, passées les cinq premières minutes du disque. Satisfaction en revanche dès les premiers titres sur la bonne performance de John Garcia : le chant du gaillard ne s’est jamais rapproché autant de Kyuss (qualitativement) que sur cette galette. Une technique vocale, d’ailleurs, qu’il avait mise de côté pour d’autres tessitures sur ses autres projets. On revient à l’écoute du disque pour constater que la faute de goût introductive se résorbe petit à petit avec “Sweet Remain” puis “As you wish”, des titres moins empreints de la touche Kyuss (si ce n’est – et c’est une dominante sur l’album – ce son de batterie typique des premiers albums de Kyuss). Malheureusement, une seconde erreur est commise par l’intermédiaire du bicéphale “Planets 1 & 2” : son riff principal sonne comme un ersatz un peu glauque de “Green Machine”, jumelé à celui de “Odyssey”. Le chant de Brant Bjork sur la première partie de cette chanson n’apporte pas grand-chose (si ce n’est quelques souvenirs d’une carrière solo qu’on aimerait lui voir réactiver). Dommage pour le groupe d’avoir gardé sur ce titre cette séquence outrageusement pompée, sans laquelle on aurait pu apprécier un titre par ailleurs pas inintéressant – difficile de comprendre leur mode de pensée à ce stade… S’ensuivent comme précédemment une série de titres plutôt sympas, originaux, qui s’éloignent de l’ombre Kyussienne, notamment les assez originaux “Dark and lovely” et “Barcelonian” (le refrain de ce dernier et son break pourront même rappeler comme un clin d’œil les guitares aériennes et lancinantes des superbes Fatso Jetson), dont la fin est vraiment réussie. Puis vient l’autre double titre, “Acidize – The Gambling Moose”, morceau fleuve de plus de treize minutes trop hétérogène pour remporter la timbale. Clairement sa première section supplante la seconde (notons d’ailleurs que scinder ces deux titres aurait eu plus de sens, musicalement parlant, leur lien supposé ne sautant pas vraiment aux yeux).
Il est néanmoins insuffisant d’apporter uniquement à cet album un regard passé par le prisme de Kyuss. Si l’on approche la musique du combo dans une perspective complètement neutralisée, un œil neuf et un esprit non encombré de l’engrammage kyussien qui est fatalement le nôtre, on peut alors proposer un constat plus nuancé. Car ce disque est bon, agréable même. Les morceaux sont variés, il y a des passages audacieux (on n’ira pas jusqu’à parler de prise de risque, n’exagérons rien, mais il y a de vraies nouveautés sur les lignes vocales de Garcia par exemple). Les compos ne sont pas l’œuvre de bras cassés, et les titres sont accrocheurs. En complète transparence, on pourra déplorer le manque de “finition” de l’objet : on n’a pas un festival d’arrangements audacieux et de compos ciselées au scalpel (“Dark and Lovely”, franchement, il manque quelque chose pour que ça devienne une chanson…). La prod de Bjork est brute, ce qui n’est pas complètement négatif, et apporte un charme particulier à l’objet, une authenticité bienvenue. A titre personnel, je trouve le son de caisse claire en carton un peu daté pour un disque affichant si haut ses ambitions, un peu comme le mix de certaines lignes vocales (“Adara”), mais bon, ça passe bien…
En revanche, on a beau tourner autour du pot, le principal défaut de ce disque, si l’on s’attendait à du Kyuss (d’une manière ou d’une autre c’est forcément le cas), c’est son affligeant manque de lourdeur, que tout le monde semble avoir oublié dans les composantes principales du groupe originel : où est le riff pachydermique qui nous cueillait dès les premières secondes de “Gardenia” sur Sky Valley ? Le mur de grattes infranchissable de “Odyssey” ? Le riff monolithique sur-saturé physiquement éprouvant de “Tangy Zizzle” ? La ligne de basse tellurique qui nous plaquait au sol dès les premières mesures de “Spaceship Landing” ? Au lieu de ça, on retrouve la basse famélique de Oliveri (qu’on adore par ailleurs, mais pas forcément dans cet exercice stylistique) et la guitare de Fevery ; on est loin du compte. Le belge est un bon guitariste, mais en tant que membre non originel, son approche de la musique via ce projet laisse quand même dubitatif : son intention musicale intime en tant que musicien et en tant qu’artiste se matérialise via un mimétisme sonore et stylistique avec Josh Homme. Une approche artistique un peu embarrassante pour l’auditeur, car elle se traduit par la composition de riffs “presque déjà entendus”, et des sons de gratte qu’il est parfois gênant d’entendre vingt ans après sur un disque récent, par un autre musicien… Difficile de concevoir qu’artistiquement copiage et réalisation de soi font bon ménage – et ce même si l’on est fan absolu du musicien originel, ce qui est probablement son cas.
Bref, ce disque suscite, à juste titre, passions et avis tranchés. Mon avis ne l’est pas, tranché, tant l’on sent dans les propos ci-dessus contradictions occasionnelles et circonspection générale. Le malaise en revanche (qui est trop peu mis en avant par les différentes chroniques déjà proposées sur ce disque) tient non seulement dans l’intention de l’album (trop peu abordée ou questionnée), mais surtout dans la cible marketing du disque : tout le monde se force à rappeler, en substance, “Vista Chino est un nouveau groupe, il faut le juger en tant que tel”, sauf que non ! Vista Chino, c’est Kyuss Lives!, déjà, mais surtout, qui achètera ce disque sans connaître Kyuss ? Personne, évidemment : tout le monde l’achètera “pour savoir” en quoi il répond ou pas à son attente personnelle (naufrage musical, espoir retrouvé, nostalgie…). Faire abstraction de ce facteur est une erreur que l’on essaye de nous refourguer sous couvert de pseudo-neutralité journalistique or il est rigoureusement impossible de l’éluder dans la considération de ce disque en tant qu’œuvre musicale.
Mais passés ces constats, rappelons-le, la musique proposée par le groupe, dans l’absolu, est très intéressante. Les compos proposent des choses surprenantes, il y a de bonnes idées, et le matériau de base est bon, très bon même. C’est un bon album. Entendre ces musiciens, que l’on adore, jouer ensemble et être complètement inscrits dans le présent fait sincèrement plaisir : la musique n’est pas datée, et les musiciens jouent bien ensemble. Malheureusement, et l’oublier serait malhonnête, la raison d’être du disque suscite plus d’intérêt et de troubles que la musique elle-même, ce qui n’est jamais de bon augure. Nous verrons si après quatre albums le constat sera le même…
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Belle grosse branlette intellectuelle que cette chronique... La migraine me guette désormais... Je note cet album 8/10... Le clic sur les cactus ne fonctionne pas...