Voici enfin le premier LP de Wormsand, trio du sud-est, frénétiques activistes de la scène depuis longtemps (label, organisation de concerts…). Après trois ans d’existence (depuis la (re)naissance sur les cendres encore chaudes de Clystone, pour 2/3 du trio) et un petit EP pour se chauffer, il était temps de transformer l’essai par un véritable album, ce qui nous amène ce Shapeless Mass.
On rentre dans ce disque avec en mémoire les prestations live du groupe (oui, c’était il y a longtemps), féroces et nerveuses, où des plans de stoner psyche limite space rock venaient très vite être bousculés par des assauts de gros sludge, ou des bourrasques de gros doom. On présume donc qu’on ne rentrera pas dans cette galette comme dans un disque de rock bas du front. Euphémisme en réalité : les premières écoutes sont froides et âpres. La musique du trio est exigeante, on le savait, mais on se fait quand même cueillir comme des bleus : dès que la machine à riffs commence à tourner à plein régime, elle se prend les pieds dans des breaks venus de nulle part… Et sitôt le headbang prêt à déclencher, les gars viennent nous coller dessus des rythmiques saugrenues, genre mesures asymétriques… Pas évident en première approche. Or la frontière est étroite entre la musique prétentieuse, souvent à grands renforts de compos complexes et techniques, et la musique audacieuse, où le travail d’écriture vient servir un propos et une musicalité originales. Avec Wormsand, on est plutôt dans la seconde catégorie, vous l’aurez compris.
Quelques compos plus “immédiates” captent assez rapidement l’attention (“Unlit Sun”, “Deprivers” qui rappellera même ici ou là quelques plans de Mars Red Sky – c’est un compliment) avant de nous amener dans le piège des autres titres, plus complexes (“Collapsing”, “Shapeless Mass”…), l’ensemble donnant à l’album cette densité qui fait qu’on s’en lasse difficilement. Avec 45 minutes au compteur, Wormsand évite le piège des disques du genre qui s’étendent et dissolvent le propos. Le groupe n’a pas de dogme de compo et peut proposer une bonne claque en 2min20 (“Escaping”, qu’on aurait presque apprécié de voir continuer un peu !) et un peu plus loin un bon gros titre de presque 10 min (le colossal “Shapeless Mass”). On n’est pas sur des jams improvisées la veille, tout ça a été bien travaillé.
La richesse de sons en œuvre sur la galette est notable : les vocaux complémentaires de Julien (sombre et guttural) et de Clément (plus clair) viennent enrichir les chansons, les effets de guitare et de basse sont utilisés à bon escient pour apporter qui de la densité, qui de la légèreté… Quoi qu’il en soit, cette richesse ne vient jamais nuire à l’homogénéité du disque et à son identité, tangible de bout en bout.
Même si le disque n’est pas parfait, ses choix (d’écriture, de son) sont revendiqués par le trio comme marque profonde de leur identité musicale. On ressort en effet de ce disque avec l’impression d’avoir affaire à un groupe à l’identité forte et unique, dont les références et influences sont suffisamment digérées pour ne jamais venir perturber le propos. L’album est dense et complexe, à déconseiller aux amateurs indécrottables de stoner classique ; mais c’est avant tout un disque audacieux, de la part d’un groupe qui ne manque ni d’idées ni d’ambitions.
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