Quel superbe plateau, digne d’un mini-festival itinérant, que celui qui arpente le pays et l’Europe en ce mois d’octobre. Trois groupes différents, tous les trois intéressants et à des niveaux de notoriété variables. Trois groupes en tout cas qui, chacun, justifierait seul le déplacement !
On n’est donc logiquement pas seuls au Krakatoa ce soir : la salle de l’agglomération bordelaise ne fait pas complètement le plein, mais son remplissage est loin d’être ridicule. Lorsque le set de Death Alley commence, la première partie de cette tournée, déjà quelques centaines de personnes se rassemblent devant la scène pour assister au set des bataves. Scéniquement, Death Alley c’est un peu l’assurance tous risques : même si l’on n’est pas fan du genre musical pratiqué par nos quatre lascars (oui, c’est encore du hard rock vintage 70’s, version amphétaminée cependant), force est de constater que sur scène les compos prennent une toute autre dimension, grâce à l’énergie déployée. C’est clairement Douwe Truijens, frontman emblématique du groupe, qui attire tous les regards et génère bonne humeur et dynamisme à l’ensemble : le chanteur, véritable cliché sur pattes (longs cheveux blonds, veste à franges sans manche sur torse nu, grosse moustache…), mène le jeu de scène et incarne le groupe, arpentant la scène de long en large, dansant, le tout avec un sourire ultra-brite et surtout un chant impeccable, juste et puissant ! Derrière, ça joue solide, et en particulier le MVP de l’ombre, Oeds Beydals : l’ancien guitariste des cultes The Devil’s Blood se fait plaisir, dégaine des sons de guitare venus de nulle part et crache les soli par pack de 12. Le groupe termine son généreux set par l’épique “Supernatural Predator”, qui démontre au moins deux choses : le talent des zicos déjà (qui s’y entendent impeccablement pour animer ce gros morceau retors qui repose sur une apothéose instrumentale / jam space rock), mais aussi le potentiel du groupe à se frotter à d’autres genres musicaux “annexes” (et donc un potentiel d’évolution que d’autres n’ont pas forcément). Espérons que le groupe parvienne à solidifier son line up et enfin décoller sur la scène européenne, après quelques années ponctuées par des ratés et faux démarrages.
L’humeur est donc au beau fixe quand Mantar monte sur scène. Niveau ambiance musicale, en revanche, le sourire laisse vite sa place aux mâchoires serrées, pour faire face à l’énergie brute du groupe. Faire très vite très mal très fort, le leitmotiv du duo paraît clair. Hanno est déchaîné, une boule d’énergie pure. Toujours aussi maigre, crâne rasé, le chétif guitariste est phénoménal ce soir, encore une fois serait-on tenté de dire. Fusionnant avec sa six-cordes, il se crampe au micro à la moindre ligne de chant, monte à pied joint sur ses pédales d’effet, manipule son rack d’effets avec tous les membres disponibles (!) dans toutes les positions imaginables (!!), et dès qu’il a une seconde vient délivrer quelques riffs purulents au public, comme autant d’insultes crachées au visage. Jouissif. Erinc est fatalement plus sobre scéniquement, mais le taf enquillé derrière son kit de batterie est énorme. Terrassés au milieu de set, le filet de bave au coin de la bouche, on se retourne pour constater un léger problème : un léger décalage (euphémisme) entre la puissance délivrée sur scène et la réaction du public, modérée (euphémisme). Pourtant la set list est imparable, les plus grosses cartouches du groupe y passent, le groupe bénéficiant de plus de 45 minutes de jeu : “Praise the Plague”, “Era Borealis”, un très fat “Cross The Cross”… Le duo ne faiblit pas un instant malgré un accueil vaguement enthousiaste (euphémisme), là où d’autres auraient levé la pédale ; nouveau signe s’il en fallait un que Mantar est une bête de live. Bref, une très grosse claque… pour qui était disposé à la recevoir et la déguster.
Clairement, c’est Kadavar qui a rameuté le monde ce soir, et il suffit que le groupe dégaine les premiers accords du pourtant moyen “Rough Times” pour susciter sourires et premiers hochements de têtes dans le public. Le son est énorme, clair, massif, aux petits oignons. Et scéniquement, le groupe a encore fait un pas vers la maîtrise absolue : on peut louvoyer comme on veut, on peut, derrière la meute, crier à qui veut l’entendre que les derniers albums sont mauvais, ce qu’on veut. Mais il est un terrain sur lequel il serait malhonnête de faire preuve de la même mauvaise foi : sur scène, le groupe est impérial. Lupus est toujours impeccable : même si pas démonstratif pour un sou (un comble pour un frontman), statique qu’il est derrière son muret de retours, il enquille les soli avec une virtuosité remarquable, et son chant puissant et juste fait mouche. Sur le côté, le français Simon “Dragon”, anciennement plutôt introverti, est déchaîné, martelant sa basse avec une vigueur inédite, bien aidé en cela par une mise en son royale, ronde et claire, rendant honneur à son jeu, trop souvent sous-estimé. Mais le maître de la soirée est clairement – qui l’eut cru – Tiger : le filiforme batteur, posté devant au ras du bord de scène, monté sur piédestal, haut perché sur son tabouret fait bien plus que le job. Le barbu chevelu développe un jeu particulièrement visuel (avec un kit transparent, effet garanti), grimace, toise le public, sourit… Expressif jusqu’à l’outrance, il focalise tous les regards, et il se trouve que le gaillard est solide techniquement, donc on serait bien en peine de le critiquer sur son comportement.
Niveau set list, le choix est malin : bénéficiant d’un bon temps de jeu, le trio ne pousse pas le bouchon comme il l’avait fait à la sortie de “Berlin”, quand il composait sa set list avec une large part de son dernier album en date. Certes, le groupe joue ce soir quatre ou cinq extraits de Rough Times (dont de bonnes versions de “Die Baby Die” ou “Tribulation Nation”) mais il joue la carte séduction en dégainant à peu près autant de titres issus… de son premier album ! Grand plaisir d’entendre “Black Sun” ou encore “Forgotten Past”. Berlin en revanche ne sera représenté qu’à une occasion ce soir, à travers “Old Man”, pourtant pas son meilleur titre loin s’en faut. On notera un “Purple Sage” étiré et trituré, restructuré en une orgie jam parfaitement maîtrisée, qui voit le groupe quitter la scène dans une atmosphère encore baignée de son space rock le plus remarquable.
Le trio remonte sur scène quelques instants plus tard pour un rappel un peu attendu : on était impatient d’entendre leur version de ce classique punk des Damned, “New Rose”. Agréable surprise ! Loin de se couvrir de ridicule, les allemands en délivrent une version fidèle mélodiquement, respectueuse, et s’appropriant son énergie à leur sauce. Une agréable surprise ! Le set se termine sur le classique “Come Back Life”, et le public quitte gentiment la salle, ravi.
On restera donc à l’issue de cette soirée sur un constat mi figue mi raisin : une prestation remarquable de Kadavar, une prestation énorme de Mantar, mais un public un peu apathique, coincé comme Bordeaux sait parfois en proposer (on se rappelle de Clutch dans la même salle il y a quelques années à peine…). La fête n’était pas complète, mais du haut de la scène, le plateau proposé a tenu toutes ses promesses, et au delà.
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