Les lève-tôt que nous sommes constatent que le ciel de Berlin s’est quelque peu chargé de nuages alors que nous échangeons au sujet de la soirée d’hier et nous mettons d’accord sur le format du résumé visuel à balancer sur la toile (celui du troisième jour est par ici : https://www.youtube.com/watch?v=6THedjPEbLo). Après un petit-déj des moins équilibré, nous arpentons à nouveau les rues de cette formidable cité et effectuons notre pèlerinage annuel chez Core Tex Records pour procéder à quelques acquisitions indispensables au rayon pas stoner du tout. Un burger – dans le meilleur estaminet spécialisé de la capitale teutonne – bâfré sous le soleil qui a repris ses droits dans les cieux et nous filons à l’Astra sans tarder car la journée – qui débute à 14 heures – s’annonce des plus chargée.
TAU
La veille, l’orga avait fait le pari de l’énergie pour introduire la journée et réveiller un peu les festivaliers. Aujourd’hui, probablement pour nous préparer à une journée chargée en sensations, le Foyer est baigné d’une ambiance psyché cool, avec le groupe-projet-concept (??) berlinois TAU. Le public arrive tranquillement, la salle étant à moitié pleine pendant le concert (le groupe remercie d’ailleurs les “real hardcore people” qui arrivent si tôt). L’approche musicale du quintette, inspirée par des musiques folkloriques indigènes mexicaines, est compliquée à retranscrire live, d’autant plus que nous assistons– selon les dires du groupe – à leur premier concert. Autour de Shaun Mulrooney, leader et créateur du groupe, tout n’est pas fluide : une sorte de mandoline passe de main en main entre chaque titre, tout le monde agite ses maracas intempestivement… Mais au final, la musique tient la route, les titres sont carrés, et l’ambiance, parfaitement trippante, est impeccablement retranscrite. Une bonne intro pour cette journée.
MOTHER ENGINE
On entend parler de Mother Engine depuis quelques années (et notamment depuis leur mémorable concert dans le camping du Stoned From The Underground 2013) mais on n’avait pas eu la chance de les voir sur scène jusqu’ici. Et bien on n’est pas déçus ! Le trio de stoner instrumental (qui accueillera quand même deux vocalistes invités sur deux titres) délivre en ce début d’après-midi un set de toute beauté. Tour à tour énergique ou planant, le souriant trio déroule des ambiances parfaitement ciselées pendant 45 minutes devant un public aux anges. Les allemands ont un talent évident pour évoluer continuellement sur le fil entre compos impeccables et impros. Tant et si bien que lorsque Chris Trautenbach – guitariste et frontman naturel du groupe – rencontre un problème de tête d’ampli en milieu de set (qui l’amènera à aller en chercher une autre en backstage, rebrancher, etc…) ses deux compères n’hésitent même pas et engagent une impro basse-batterie quand ils comprennent que ça risque de prendre du temps… Le public, connaisseur, célèbre la performance d’une ovation méritée, avant que le set ne reprenne comme si de rien n’était. Une belle claque.
CIGALE
On était assez impatients de voir Cigale, pour retrouver deux anciens de Sungrazer sur les planches… Mais on a très vite compris qu’il était inutile d’espérer y trouver la seconde incarnation du trio hollandais : Cigale n’en a gardé que les plans les plus planants et les ambiances psyche, en sacrifiant un peu de puissance instrumentale au passage. Ambiances calmes, rythmiques posées, sourires, musiciens nonchalants et introspectifs, silences, chœurs aériens… On est même mal à l’aise pour le groupe quand, allant decrescendo sur la fin d’un de ses titre, il voit son “silence” complètement ravagé par le soundcheck des tarés de Dopethrone qui bastonnent sur la main stage à côté… Sourire en coin des musiciens qui sont de toute façon sur leur nuage. Rien de déshonorant dans cette musique ou cette prestation, mais ce set apparaît très décalé aujourd’hui…
DOPETHRONE
Il faut dire que passer de Cigale à Dopethrone, c’est un peu comme se faire ouvrir le crâne en deux par un coup de hache de bûcheron juste après avoir bénéficié d’un subtil massage des tempes… Les québécois bénéficient d’une belle exposition en héritant de ce slot sur la main stage, et ils ne sont pas prêts à gâcher ça. Le trio investit donc la vaste scène avec la bave aux lèvres, et dès les premiers riffs on comprend qu’on va manger du gras pendant trois quarts d’heure, et rien d’autre. Ca n’a pas l’air de déranger quiconque, lorsque l’on constate que la salle est presque pleine et que tout le monde est à fond dedans, jusque dans les derniers rangs. Première fois que nous les voyons depuis la sortie du délectable “Hochelaga”, nous étions impatients de voir ces titres passer l’épreuve du live. Comme une lettre à la poste ! Mentions spéciales pour “Scum Fuck Blues” qui démantèle quelques cervicales au passage, ou encore “Chameleon Witch” et son insolent et dévastateur break en milieu de morceau. Vincent mène clairement les hostilités, mais derrière ça ne joue pas petits bras, avec Carl qui bastonne comme un cinglé sur ses fûts et Vyk grand s(a)eigneur à la basse. On a évidemment droit à la reprise de Bill Withers “Ain’t No Sunshine” (“Anal Sunshine” ?…) vandalisée comme il se doit… On a pris notre pied !
BUSHFIRE
Après la baffe monumentale que nous venons de nous prendre sur la Main Stage, nous nous enfilons dans le Foyer pour pouvoir enfin découvrir live les « Allemands » de Bushfire. La bande de Darmstadt venant de terminer une tournée avec nos potes de Bright Curse, ils sont encore en pleine dynamique routarde. Bill, l’imposant frontman de la bande qui peut se targuer de voir Ben d’Orange Goblin de dessus lorsqu’ils se font face, nous ayant teasé depuis la veille au sujet de leur performance à venir, nous nous massons devant la scène. Le vocaliste anglophone domine de la tête et des épaules ses comparses à casquettes placés sur ses flancs avec, s’il vous plaît, une snap des Saints de New Orleans nous rappelant les influences du son de cette ville sur leur musique (tout comme sur celle du trio les ayant précédé dans le running order). Des affichettes à l’effigie du batteur – absent pour des raisons médicales – ornent la batterie. Le quidam derrières les fûts assumera son rôle avec brio et l’absence du titulaire ne sera pas perceptible durant ce set des plus heavy. C’t’équipe aux origines multiples nous aura livré un putain de bon show et si la foule s’est agglutinée dans la salle ce n’est en aucun cas à cause de la pluie qui tombe au-dehors (et ce n’est pas le chant du géant qui a provoqué ce phénomène météorologique, médisants que vous êtes !). Le charismatique vocaliste ira partager quelques lignes de chant dans la fosse avec le public, comme il le fait souvent, dans une ambiance excellente. Ces gars nous ont mis une branlée sérieuse en tapant dans le registre le plus lourd de leur répertoire laissant de côté leurs plans les plus bluesy.
THE ATOMIC BITCHWAX
Après une prestation pugnace menée en mode guerrier, c’est autour du trio de vétérans US de prendre place sur les planches. Rompus aux exercices scéniques, ces types au CV qui en impose (qui a dit Monster Magnet ?) envoient le son le sourires aux lèvres. L’ambiance est positive ainsi que fort dynamique, la prestation rehaussée par des images défilant en arrière plan bénéficie d’un rendu visuel du plus bel effet, lequel accompagne à merveille la démonstration technique que déploie le groupe du New Jersey. Attention, nous ne sommes pas soumis non plus à un clinic genre salon de la musique et restons dans une ambiance bien rock’n’roll qui envoûte le public compact aux abords des crash barrières. La formation aura survolé la totalité de sa discographie en débutant les hostilités par « Hope You Die » de leur premier – et légendaire – opus et en terminant sur une autre vieillerie (« The Destroyer ») tout en étant aller piocher trois extraits du petit dernier, Gravitron. Le tout envoyé dans la plus grande simplicité avec les deux permanents de l’avant-scène qui se succèdent au micro. L’incroyable « Forty-Five » joué en début de set constitue un des moments les plus intense de cette démonstration qui s’achèvera au bout de 45 minutes par une débauche de décibels tandis que le batteur Bob Pantella au masque de cochon accompagnera l’annonce prochaine de l’arrivée de Red Fang. Mais il faudra encore patienter en excellente compagnie vu le programme extraordinaire qui nous est proposé pour ce – déjà – dernier jour de festival.
MOUNTAIN WITCH
Les allemands de Mountain Witch (à ne pas confondre avec les ricains de Witch Mountain, déjà vus au Desertfest il y a deux ans) prennent la petite scène du Foyer après la grosse machine TAB, à l’heure de l’apéro… Exercice peu aisé, reconnaissons-le, et pourtant le trio de Hamburg s’en sort plutôt bien, en décidant de laisser parler la musique. Le heavy rock subtilement daté du trio fait mouche assez facilement : pour se démarquer de la quantité de groupes surfant sur la vague “revival”, Mountain Witch privilégie des titres carrés, des rythmiques cintrées, et dynamise le tout par sa formule de power trio, qui ne laisse pas de place au superflu. Sur scène, aussi, pas de superflu, avec des musiciens ni trop excentriques ni trop introvertis. Les compos défilent, efficaces et variées, et le set, une bière à la main, est franchement agréable, même s’il manque un peu de relief pour figurer dans les meilleurs souvenirs de cette folle journée…
MY SLEEPING KARMA
Le quatuor allemand, qui avait fait exploser la salle voisine du Foyer il y a deux ans, hérite très légitimement cette année de la Main Stage. Ayant pu découvrir le nouvel album avant le concert, nous savions aussi que le potentiel live de ses titres était énorme, or depuis plusieurs mois l’on savait que cette date au Desertfest ferait presque office de release party avant l’heure. Il faut croire en tous les cas que nous n’étions pas les seuls à attendre ce set avec impatience, au vu du public nombreux qui se masse devant la grande scène. Tout en sobriété et en sourires, les quatre lascars prennent donc tranquillement la scène sous les acclamations. Dès les premières notes de “Prithvi”, la cause est acquise. Matte nous disait dans l’après-midi (interview à venir dans ces pages…) qu’il s’agissait du morceau de transition parfait entre l’album précédent et le nouveau, “Moksha” ; cela se confirme en live. Le groupe égrène ensuite méticuleusement les meilleurs titres de son répertoire, tapant dans tous ses albums (alors que généralement les groupes en promo font plutôt la part belle à leur matériel le plus récent) : “23 Enigma”, qui suit, a beau avoir presque dix ans de plus, sa puissance est remarquable. On se retrouve rapidement pris dans une sorte de maelstrom un peu vertigineux où les morceaux défilent sans jamais un temps faible : “Ephedra”, bien sûr, le plus ancien “Tamas”, l’excellent petit nouveau “Akasha”… Sur la grande scène, agrémentée d’une projection vidéo d’ambiances en continu en “backdrop vituel”, on voit surtout un trio (Norman le claviériste reste prostré sur son instrument, dans la pénombre, tout le set), trois musiciens immergés dans leur musique, qui interagissent pendant et après les morceaux avec des sourires jusqu’aux lèvres… Très vite l’électricité est tangible partout dans la salle. L’ovation du public, tandis que le groupe clôture son set et passe plusieurs minutes à le saluer, est impressionnante. Un set mémorable.
TONER LOW
On était montés très haut émotionnellement parlant avec le set de MSK, or on sait déjà en gagnant la pénombre du Foyer que l’on va descendre très bas, très profond, ensevelis sous les coups de boutoir des allemands de Toner Low. Pas de surprise, du coup, c’est très précisément ce qui se produit dès les premières notes : le moindre riff émanant de la Gibson de Daan fait vibrer chaque organe de notre corps, bien aidé en cela par les vrombissements telluriques de Miranda. Le guitariste a apparemment tellement de mal à gérer lui-même ce déferlement sonique qu’il est doté d’un casque anti-bruit type “équipement de protection de chantier”, ce qui en dit long… Sur scène il ne se passe pas grand-chose : seule la grosse caisse de Jack est illuminée, telle une lava lamp ronde, tandis que le fond de la scène sert de support, comme d’habitude avec les hollandais, à des vidéos psychédéliques voyant danser sans fin des feuille des marijuana. Pour le reste, rien, pas une lumière : la pénombre ainsi générée finit de créer cette ambiance immersive dans laquelle plusieurs centaines de nuques battent lentement le rythme des morceaux puissants. Il faut toujours avec Toner Low attendre un moment avant de pleinement rentrer dans le set, c’est donc après un bon quart d’heure que l’hypnotisme sonique opère à plein, et l’on se délecte ensuite sans réserve de leur doom exigeant mais efficace.
RED FANG
Après un set sombre de doom envoyé dans la pénombre pour un public plutôt constitué de bourrins, nous procédons rapidement à un changement de lieu, de décors et d’ambiance pour la tête d’affiche de la journée. Il est à noter que nous aurons pour notre part déjà vu ce qui constituera nos coups de cœurs du jour (dans le désordre Dopethrone, The Atomic Bitchwax et My Sleeping Karma bien sûr !) alors que la formation taillée sur mesure pour les hipsters enverra son metal fashion dans l’Astra. Nous n’avons pas pour autant boudé ces Ricains qui, s’ils ne sont pas franchement une formation stoner, ne sont pas des manches non plus. Il faut dire que ces velus et chevelus savent y faire et parviennent assez facilement à faire monter la température en alignant les standards que leur public attendait. C’est blindé devant la scène, ça se dandine et ça hoche du chef vigoureusement même si pour certains ça sent déjà la fin des festivités berlinoises. Après avoir attaqué le set par « Birds On Fire » avec Bryan au chant, le groupe enfonce le clou avec « Dirt Wizard », leadée à la voix par Aaron, et converti dans la foulée en adeptes les rares personnes pas encore en transe dans la foule. Les Etasuniens déroulent un show impeccable – avec trois titres en rappel – devant ce public acquis à leur juste cause. Durant ce set généreux, leurs productions seront passées en revue avec notamment : « Wires », « 1516 », « Into The Eye » ou « No Hope » comme notables instants. Le public en redemande encore – est-ce l’effet fin des 3 jours ? – et les lumières se rallument rapidement dans l’Astra une fois la scène déserte (fest).
TSCHAIKA
NEUME était sensé passer la dernière couche de décibels du festival mais leur prestation ayant été annulée, nous eûmes droit à un autre groupe. Il est nécessaire ici de parler d’un « autre groupe » car, dans sa grande majorité, le public n’était pas au fait du nom de ceux qui avaient l’honneur d’effectuer le baisser de rideau. Si le groupe initialement prévu ne jouit pas d’une fanbase de la même envergure que les formations l’ayant précédé, la situation, pour Tschaika est du même genre, mais en pire. Ce choix de dernière minute est pourtant intéressant, le groupe étant en réalité un projet monté par le guitariste de RotoR. Tandis que la Main Stage est démontée à vitesse grand V (elle sera vide lorsque le dernier groupe aura plaqué son dernier accord), que la fiesta bat son plein dans les backstages (avec deux/trois figures de la scène venues assister au festival en tant que spectateurs, les groupes de la journée et le staff), le duo – batterie-guitare – balance son fuzz des plus burnés. Les Allemands réussissent tout de même le tour de force de faire bouger les noctambules qui ne les attendaient pas en déployant des riffs bien agressifs au cœur de la nuit. Bravo les gars vous avez assuré !
Le temps d’aller claquer quelques bises, d’effectuer quelques poignées de mains bien viriles (nous sommes des types auxquels ce qualificatif va comme un gant), de passer une dernière fois par la partie club, d’aller constater que toute le monde a déserté le hippie market et de considérer les derniers piliers de bar en pleine action, nous prenons le chemin de l’hôtel afin de bénéficier de quelques heures de sommeil avant de nous envoler dans nos cités respectives. Au final, nous avons – une fois de plus – passé un super festival à Berlin et tenons à remercier le public, les groupes ainsi que Sound Of Liberation, des organisateurs aussi sympathiques qu’efficaces. Alors maintenant, les enfants, il est temps de sortir vos agendas et d’y noter en rouge gras que du 28 au 30 avril 2016 c’est à Berlin qu’il faudra être pour la prochaine édition du Desertfest allemand !
Chris & Laurent
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