Cela fait plusieurs années que le festival Hostsabbat nous fait de l’œil, avec sa programmation alléchante, et son dispositif autour d’une salle mythique, “l’église de la culture” Jakob, une église réformée du XIXème siècle, en plein centre d’Oslo. Suite à une rénovation menée à la fin du siècle dernier, le lieu est désormais consacré à l’hébergement de spectacles culturels, dont le festival fait désormais partie, tous les ans. L’église de belle taille est sobrement décorée, mais ses attributs architecturaux en font un lieu remarquable… sans parler du son, qui tournoie et englobe tous les volumes !
La programmation de cette année nous a décidé à déclencher ce périple, et nous voilà donc arpenter les abords du festival par 0°C, une ambiance pour le moins atypique !
VILLAGERS OF IOANNINA CITY
Le festival commence fort avec une valeur sûre de notre scène musicale depuis plusieurs années : Villagers of Ioannina City (VIC) qui inaugure la nouvelle scène. Nouveauté cette année : le festival a mis en place un partenariat avec un centre culturel immédiatement adjacent à l’église, qui propose une salle de spectacle (et donc concerts) de très belle taille, avec une hauteur de plafond époustouflante. Pouvant accueillir plusieurs centaines de spectateurs, le « Dome » (bien mal surnommé, étant données les dimensions toute parallélépipédiques du lieu) nous impressionne rapidement par la qualité du son proposé, qui sert particulièrement bien la formation grecque présente sur les planches. Le concert de VIC a beau être sans surprise pour les habitués, il constitue encore une fois un excellent moment : toujours clairement emmené par le charismatique Alex Karametis (chant impeccable, jeu de guitare sans fioriture mais efficace), le groupe est visiblement rodé et le set solide. La musique rock à tendance folklorique et aux atours psyche indéniables fait mouche, à force de mid tempi efficaces, propices aux envolées instrumentales toujours transcendantes. Une entrée en matière parfaite !
WITCH CLUB SATAN
Le phénomène black metal norvégien était fort attendu en ce premier jour de festivités, et il était le premier à se produire sur la scène The Chapel, c’est à dire dans l’église abritant le festival, devant le chœur à la croisée du transept. A des années lumières de nos préoccupations musicales, le tantôt trio tantôt quatuor féminin a livré le show – fort – attendu même s’il n’a pas fait honneur aux traditions norvégiennes en ne boutant pas le feu à l’église dans laquelle se déroulait ces deux jours de festivités pour public averti (c’est excusable vu qu’il s’agissait d’un édifice protestant à la base). Ce happening macabre empreint de satanisme a fait carton plein avec des costumes moyenâgeux puis juste des strings, du faux sang, de la basse à l’archet, des incantations blasphématoires et du black metal basique vociféré dans les aigus : tout le monde en a pris plein la gueule, ce qui était un peu le but du truc.
BONG VOYAGE
Première visite dans le Verkstedet : cette salle est en réalité le bar juste en face de l’église, de l’autre côté de la rue ! Consacré aux formations norvégiennes tout le week-end, le lieu est exigu au possible, avec une petite scène mise en place tout au bout du bar. C’est à 2 mètres de la scène que nous parvenons à nous faufiler au peu près, n’entrapercevant que les scalps des musiciens de Bong Voyage ! Les conditions spartiates ne nous empêchent pas de goûter avec plaisir aux riffs du quintette (pas facile de caler tout ce beau monde sur une si petite scène) scandinave, qui déroule un set de gros stoner avec une fougue communicative. Tant qu’à être « aveugles », on se pose dans un petit recoin calme du bar, pinte, bancs et tables en bois, où un haut parleur a été judicieusement placé pour goûter dans des conditions parfaites aux riffs efficaces et groovy de ce groupe sans prétention mais enthousiasmant.
AIMING FOR ENRIKE
Aiming For Enrike est le deuxième formation de la journée à se produire sous terre (premier pour nous), dans les fondations, sur la scène The Crypt (pas de Prix Nobel de l’originalité pour ce sobriquet sur ce coup pour l’orga – même s’ils pourraient aller le chercher à pieds). Littéralement sous-sol de l’église, la crypte est acessible via un petit escalier en colimaçon, et propose certes une belle surface d’accueil, mais malheureusement une visibilité très réduite sur les groupes (la scène est placée entre deux énormes poteaux de 2m de côté, si bien que seules quelques dizaines de personnes peuvent se targuer de voir un peu les musiciens évoluer – pour les autres, c’est en aveugle, voire sur les nombreux fauteuils disposés un peu partout). Le tandem d’Oslo, articulé autour d’une batterie et d’une guitare déployée à grands renforts d’effets, a fait le taf dans le style instrumental et aérien. Ce programme ambiant, planant et psychédélique déployé par un duo de mecs au look de profs de musique a enchanté ceux qui s’étaient entassés dans cet espace à la capacité très limitée. Tirant sur les plans aériens à la Pink Floyd avec rien moins que 23 pédales au sol, les Norvégiens ont ravi une certaine tranche du public branchée par les plans atmosphériques, ainsi que les curieux débarqués au sous-sol le temps d’attendre une prochaine sensation plus rock sur une autre scène.
SPACESLUG
Retour sous le « Dome » pour un concert très attendu par vos serviteurs, celui de Spaceslug, un groupe trop rare sur scène, auteur d’albums pourtant fort qualitatifs. Pour autant, le trio est à l’aise sur les planches, à la fois investi dans la prestation et l’interprétation scénique de ses chansons, en particulier Bartosz Janik, le guitariste faisant preuve d’une belle énergie. Le chant est porté alternativement par les trois musiciens, qui parviennent bien à retranscrire la richesse de leur spectre musical. Une large part du public semble découvrir leur musique, aux atours doom, sludge ou encore prog, et très vite tout le monde est conquis par les percées mélodiques du set, qui ne sacrifie jamais à la puissance des riffs. Baigné d’un light show impeccable qui tire bien profit de l’architecture du lieu, le set du trio polonais se termine trop tôt au goût du public, qui en aurait bien repris un peu plus…
BLACK RAINBOWS
Pour probablement la seule fois durant tout le festival, un chevauchement entre deux concerts nous force à un sacrifice (notre duo de zélés reporters de l’extrême devant donc se scinder en deux pour l’occasion) pour ne pas rater le début du set de Black Rainbows. Il faut dire que les prestations récentes du trio italien nous laissent espérer un gros set de heavy psych. Peut-être un peu écrasés par la grandeur (littérale) des lieux, les musiciens mettent un peu de temps à rentrer dans leur set. Le light show n’aide pas : basique en début de concert, il peine à stimuler l’auditoire. Mais au bout de quelques chansons, on y est, pas de doute, on les a retrouvés, en forme. Les nombreux soli de Gabriele tournoient dans les volumes impressionnants de l’église et envoûtent presque plus qu’à l’accoutumée, rendant particulièrement honneur aux titres les plus mid-tempo de leur répertoire. Côté rythmique, les gaillards sont bien au rendez-vous, Edoardo en particulier abattant des lignes de basse bien massives, headbanguant en continu derrière son voile de cheveux. Le light show aussi, plus dynamique, vient mieux servir le rageur “Grindstone”, le classique « The Hunter » ou encore leur habituelle reprise de « Black to Comm” du MC5. On a eu un peu peur au début, mais au final on a eu droit à encore un excellent set des italiens, décidément dans un bel état de forme ces derniers temps.
IRON BRA
N’ayant froid ni aux yeux ni ailleurs – car rappelons-le : Oslo fin octobre c’est autour de O°C en extérieur et vos envoyés spéciaux ne l’avaient pas en tête quand bêtement ils se sont fait un high five pour aller a la découverte de ce festival – la rue a été traversée pour se rendre sur la scène Verkstedet. Le jeune trio féminin d’Oslo a entamé son set dans un espace carrément blindé et pas uniquement par ses proches ! Tel une anguille, Desert-Rock s’est faufilé parmi les vikings pour atteindre le premier rang afin de savourer ce doom lent et foutrement efficace. Alica assurant une rythmique métronomique et martiale sur laquelle Kamilla, à la basse, et Niahm, à la guitare, déploient un mur de son phénoménal, ont conquis de nouveaux adeptes ; vous seriez bien inspiré aussi d’aller consulter les maigres titres déjà livrés par cette formation. Malgré un plantage à mi-concert, le groupe a réalisé une performance lourde et foutrement efficace en envoyant ses titres déjà dispos et quelques pépites qu’il nous tarde de nous taper sur disque. Le point d’orgue de ce show hargneux : « Matt Pike », l’ode dédiée au plus grand sex symbol de la galaxie stoner !
SIGH
Retour dans les parages de The Dome pour le trio du soleil-levant. Les vétérans du metal extrême arpentaient la place depuis la fin de l’après-midi et le guitariste grimé vêtu en civil détonnait dans le paysage glacial de la capitale scandinave. Sur scène ça envoyait sévèrement côté visuel avec des idéogrammes flanqués des deux côtés du trio – car oui, le groupe évolue aujourd’hui sans sa chanteuse habituelle, Dr. Mikannibal… nouvelle configuration ou formation temporaire ? Toujours est-il que le trio en habits d’apparat ça claque question image ! Un batteur surplombant la scène avec un masque et un samurai avec son katana à la guitare épaulant le leader du groupe Mirai Kawashima, bassiste-hurleur en kimono, le tout devant une projection nippone traditionnelle appliquée à l’arrière sur les murs nus, ont servi d’écrin pour un show visuellement impeccable et musicalement en adéquation avec l’œuvre du groupe. Peu sensibles à l’art pratiqué par le combo de Tokyo, nous étions quelque peu esseulés parmi des amateurs scandant les refrains des titres de Sigh. Comme Witch Club Satan quelques heures plus tôt, le trio a fait carton plein en prodiguant un black / doom metal aux accents parfois death à grands renforts d’effets scéniques dont une partie inspirée du patrimoine culturel de sa lointaine contrée.
YAWNING MAN
On commence à prendre goût à ces retours réguliers dans l’église pour chaque concert. Relégués à des scènes miniatures dans des festivals peu (re)connaissants, le légendaire trio californien prend la scène avec son assurance et son bagout habituels… Non, on déconne, ils sont juste montés sur scène presque sans un regard vers le public, entamant leur set par une jam qui se structure au bout de quelques minutes, sans jamais pourtant ne retranscrire la sensation d’écouter une « vraie » chanson, mais plutôt une séquence d’impro entre amis – ce qui finalement est exactement le cas ici. Cette section rythmique formidable, probablement la meilleure qu’ait connue le groupe, est pour vos serviteurs l’élément le plus intéressant du concert (bien plus que les jérémiades guitaristiques space-surf rock de Gary Arce, quasi immobile, concentré sur son interprétation. Le light show déplorable (spots rouges fixes, puis spots bleus fixes, puis spots violets…. Bref, vous voyez le genre) n’aide pas la partie « spectacle » du set, qui se retrouve cantonné à sa production instrumentale, toujours plaisante, mais qui manque de tenir le public attentif pendant la durée du set, la salle se vidant un peu au fil du concert.
LLNN
Déjà vu cet été au Hellfest, LLNN (et les garçons ; il était impératif de la placer, celle-ci), clôturait les festivités sur The Dome pour le premier jour de sabbat avec son post-tout sludge et sombre. Furie furieuse il y eut avec les Danois bourrins dont le grand bassiste a démontré à ses homologues dans la place que la basse ça se joue à la force de la nuque. Larguant sa guitare le temps d’un morceau – comme à Clisson – le frontman, guitariste et chanteur de la formation, a harangué la foule vigoureusement. Ça a blasté sa maman avec LLNN qui a mobilisé toute sa hargne pour envoyer dans les cordes le public du fest avec comme point d’orgue les incroyables coups de boutoir de « Parallels » tiré de l’album Deads. Au passage, on notera que c’était pas trop la fête du pogo, du slam, des murs de la mort et autres pitreries durant ces deux journées à l’exception d’un set brutal le samedi sur lequel on reviendra dans le report idoine. N’empêche que même avec un public plutôt statique, le quatuor synthé-guitare-chant-basse-batterie a constitué une des grosses sensations de ce premier jour.
THE ADMIRAL SIR CLOUDESLEY SHOVELL
En descendant un peu avant l’heure du début du set de The Admiral Sir Cloudesley Shovell (on reprend sa respiration) on parvient à se faufiler au premier rang, parmi les rares donc qui pourront avoir un « contact visuel » avec le groupe. Le trio à la carrière chaotique et aux tournées sporadiques déçoit rarement sur scène, et le constat se vérifie ce soir. Les plus-très-jeunes anglais (une bonne quinzaine d’années de “carrière”) ont usé un bon nombre de clubs et scènes en tous genres, et c’est sans prise de tête qu’ils déboulent ce soir, sans fioritures – à l’image de Johnny Gorilla qui branche direct sa Gibson SG dans sa tête d’ampli Marshall, comme à la maison, sans pédales d’effets ou autres artifices… Côté attitude on est bien, et côté interprétation on est pas mal non plus : les titres déboulent les uns entre les autres, entrecoupés de vannes entre musiciens ou avec le public, l’auto-dérision chevillée au corps, avec cet humour so-british. Musicalement imaginez une sorte de Black Sabbath meets MC5, avec ce goût du riff épais, de la mélodie, mêlè à une attitude presque punk, le tout baigné par un son garage juste poussiéreux comme il faut. Le trio est généreux et donne la banane à tout le monde, headbanging et poings levés au ciel se disputant dans les premiers rangs. Un des cartons surprise de la journée. Rock N’Roll !
WITCHCRAFT
Invité en dernière minute suite au désistement de Elephant Tree et Shaman Elephant, c’est pourtant avec circonspection que l’on attend la montée sur scène de Witchcraft. Magnus Pelander ayant fait le vide depuis plusieurs années dans son line up, et ayant proposé un disque quasiment solo assez insensé récemment sous l’étiquette du groupe, chaque nouvelle prestation suscite autant la curiosité que la défiance. Une chose est sûre : en montant sur la petite scène de l’autel de l’église, Pelander a le sourire. Toujours en format trio désormais Witchcraft entame son set sous les meilleurs auspices, à l’image de ce light show intéressant, mettant autant en valeur l’architecture de l’église que le groupe. Alors forcément, l’ancienne version de Witchcraft nous manque toujours un peu, avec son artillerie à 3 guitares et une basse (!!) pour des joutes épiques et puissantes… mais il semble qu’il faille se faire une raison désormais, cette période est terminée, et c’est sous sa forme simplifiée et plus « dépouillée » que nous devons apprendre à apprécier les compos du groupe. C’est ce que nous faisons sans nous faire prier, du coup, et de ce côté il y a quand même matière à se faire plaisir, avec une sélection en mode best of de ses concerts habituels : tous les “hits” habituels sont là, “No Angel or Demon”, “Witchcraft”, “Wooden Cross”, “Queen of Bees”… Pas de surprise, si ce n’est une sorte e désaveu du dernier album, dont aucun titre n’est joué ? Quoi qu’il en soit, Pelander garde la banane pendant tout le set, et son interprétation est sans faille : avec un jeu de guitare gracieux et efficace (d’aucuns capteront quelques réminiscences Iommi-ennes ici ou là dans son doigté… la cause n’est pas perdue !) il tient l’essentiel de la baraque, bien aidé par un binôme rythmique qui compense son absence d’allant scénique par un jeu de qualité. Au final, on aura pris un vrai plaisir à assister à ce set, satisfaisant en tous points, qui entérine si besoin était le nouveau “format” de Witchcraft…
Il est temps de regagner nos pénates, des étoiles plein les yeux et des acouphènes plein les oreilles… Jusqu’ici ce festival tient toutes ses promesses. La 2ème journée s’annonce bien charnue, et quelques heures de sommeil ne seront pas superflues !
[A SUIVRE…]
Chris & Laurent
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