Devenu une sorte de rituel majeur chaque année, le Desertfest Berlin est aussi l’occasion de sentir le pouls de la scène stoner internationale, faire des découvertes, ou encore apprécier l’évolution de certains groupes. C’est aussi devenu l’occasion de croiser des visages familiers chaque année plus nombreux (et notamment francophones – en grand nombre cette année !), de prendre des bières avec des musiciens qui ne rechignent pas à aller se détendre au Biergarten avec le public, et globalement de prendre du bon temps. L’édition de cette année n’a pas failli à ces bonnes habitudes, même si cette première journée a commencé étrangement : toute la matinée et le début d’après-midi, la météo nous a fait douter (pluie, soleil, grèle, bruine, soleil…) mais durant le festival, nous n’aurons pas eu une goutte de pluie, et avons passé le plus clair de notre temps en tee shirt… Les conditions étant finalement réunies, rentrons dans le vif du sujet.
HIGH FIGHTER
Alors que le soleil baigne la capitale allemande de ses chauds rayons, nous croisons les membres d’High Fighter attablés dans le Biergarten de l’Astra en pleine préparation psychologique de leur show. Les Hamburgers ont l’insigne honneur d’ouvrir les festivités et ils trépignent à l’idée de fouler une nouvelle fois la scène. Visiblement en manque, le quintet s’est concentré ces derniers temps sur la mise en boîte de sa deuxième production – « Scars & Crosses » – annoncée pour juin prochain chez Svart Records. Quelques instants plus tard, c’est le sourire aux lèvres que les Allemands se dirigent vers la petite scène pour donner le coup d’envoi du millésime 2016 du Desertfest de Berlin. Rompue à l’exercice live, après notamment des performances en compagnie de Conan, Greenleaf ou The Midnight Ghost Train, la bande envoie du gros bois et nous nous retrouvons immergé dans le festival dès les premiers accords. Pas de décollage en douceur : le lourd est à l’honneur ! La frontwoman Mona est très à l’aise dans les parties vociférées – la dame est parfois soutenue par son batteur dans les plans plus apaisés – et ses comparses font preuve d’une excellente maîtrise technique. Composé à parité de titres issus de son premier EP – « The Goat Ritual » – et de morceaux de la pièce à venir, le set du groupe de Hambourg est une excellente expérience que le public, encore rare à cette heure de la journée, a savourée. C’est tout excités que nous ressortons de la salle obscure après cette prestation qui sera certainement la dernière pour High Fighter sur un créneau aussi tôt tant le groupe maitrise son art et plait.
BABY IN VAIN
Après avoir serré quelques pognes et dispensé des bisous sur les joues de nos amis présents dans le jardin de la binouze, nous reprenons le chemin du Foyer pour faire connaissance avec le trio danois que nous ne connaissons ni des lèvres ni des dents. Pratiquant une version vintage de grunge-stoner (à moins que ce soit le contraire) à deux guitares, la très juvénile formation féminine trouvera quelques admirateurs parmi le public dans la place. Nous n’allons pas vous le cacher : nous n’avons pas vraiment goûté à leur style et leur performance carrée à chants, voire hurlements, superposés ne nous a pas vraiment emballé. Nous nous sommes demandés ce que foutaient ces gens sur la scène plus bas que les poulains de Svart et juste avant les vieilles gloires du stoner scandinaves qui les suivront. Cette énigme ne nous gâchera pas non plus la soirée, mais nous ne nous sommes pas non plus pressés au merch pour acquérir les nombreuses pièces déjà disponibles dans le catalogue de ces spécialistes de la coiffure à frange actives depuis six ans.
SPIRITUAL BEGGARS
Premier gros morcif du jour numéro un, les vétérans européens (peut-on encore les taxer de suédois ?) bénéficient de cinquante minutes de jeu sur la grande scène, mais à l’heure à laquelle les files s’allongent devant les stands de (mal ou bonne) bouffe plus nombreux cette année que par le passé. Plus vraiment dans le cœur des stonerheads suite à ses multiples changements de personnel et à des productions très inégales (la fin des années quatre-vingt dix – ou nonante pour les Suisses – et le début des années deux-mille demeurera la meilleure période de ce groupe), Spiritual Beggars voit tout de même un public nombreux venir s’agglutiner derrière les crash barrières pour leur performance. La bande à Michael Amott, véritable âme du groupe et seul rescapé des débuts, fait montre d’un certain professionnalisme en foulant la scène de leurs Vans et envoient d’entrée de jeu un titre de « On Fire » qui fédérera les vieux fans et les néophytes. Ils interpréteront plusieurs titres de cet album de la période JB, dont le formidable « Young Man, Old Soul » qui rabibochera certains avec ces néo-hippies. La prestation du groupe qui commit jadis Mantra III ou Ad Astra sera surpondérée de morceaux issus de sa récente production, dont le titre éponyme, et de la précédente. Dommage pour les nostalgiques de la période Spice que nous sommes, mais saluons les prouesses techniques de ces musiciens confirmés qui étaient les premiers de ce premier jour à proposer un stoner plus apaisé et mélodique.
MOTHERSHIP
Mothership a joint ses forces à Wo Fat pour venir botter quelques milliers de culs européens à l’occasion d’une tournée qui fait l’impasse sur la francophonie (dommage) mais ils profitent du déplacement pour venir poser tous deux leurs amplis à Berlin, en l’occurrence sur la petite scène du Foyer. Le trio texan monte sur scène avec le sourire, et décochent très vite leurs premiers riffs, comme autant de poutres jetées à la face d’un public qui se masse en nombre devant la scène. Très vite Kelley Juett le guitariste, direct torse nu (en même temps pas la peine de se tatouer tout le torse si c’est pour ne pas le montrer), grimaçant, se déhanchant en tous sens, se révèle être l’entertainer qui fait toute la différence entre un groupe de stoner rock sudiste graisseux et un excellent groupe de stoner rock sudiste graisseux : ces mecs savent tenir une scène, et le public répond bien. Musicalement, l’héritage texan est fièrement assumé, et les mid-tempo suintant la transpiration et l’huile de vidange alternent avec des passages de pure énergie, toujours chargés d’une bonne dose de groove typique des groupes issus de l’aride état américain. Les gaillards terminent leur set avec 5 minutes de gras (sans jeu de mot) sur leur horaire, mais le job est fait et bien fait, inutile de faire du remplissage. Impeccable.
PELICAN
L’excitation était à son comble dans les premiers rangs alors qu’un beamer projetait le logo du groupe de l’Illinois sur le fond de la scène. Très hard, cette journée faisait la part belle aux bourrins et ce n’est pas les volatiles étasuniens qui allaient emprunter une voie plus lancinante bien au contraire ! Sitôt la bande sur scène que les larsens et autres sonorités de mise en condition – avec la guitare frappée au sol tête en bas ; bien évidemment ça lui fait un bien fou demandez à votre luthier – nous font comprendre que la performance instrumentale à venir sera une débauche de sludge et pas de la guimauve pour midinettes. Ça tombe bien on est venu entre couilles ! Ça envoie du lourd sur la Main Stage en s’animant comme des épouvantails sous acide et c’est au poil en ce qui concerne la technique. En allant piocher dans toute la largeur de son répertoire, de « Mammoth » issu du premier simple à « The Tundra » issu de sa dernière production studio, ces Américains auront livré leurs masterpieces – pour la plupart présentes sur leur live arctique – dans un registre voisin de Cult Of Luna ou des défunts dieux antiques égyptiens de Boston. Un délice pour puriste d’un genre confidentiel à ses débuts et de plus en plus populaire auprès d’un large public.
WO FAT
Après leurs copains de Mothership, c’est au tour d’un autre trio texan de faire parler les guitares : Wo Fat déboule et vise clairement à coller une deuxième couche de gras sur le travail bien entamé par leurs prédécesseurs sur la scène du Foyer. Et le public ne se fera pas prier pour recevoir cette offrande : dès les premiers accords, les premiers rangs ressemblent à une bataille rangée (quelques individus un peu imbibés viendront faire chauffer l’ambiance, mais tout finira bien dans la chaleur cordiale d’un mosh pit viril). Comme on pouvait l’attendre d’un combo sudiste où le mot “Fat” tient bonne place dans le patronyme, des couches de gras sont enquillées à travers des compos majoritairement issues des deux derniers albums du groupe, que le public, qui semble bien connaître les classiques du groupe, apprécie. On notera ainsi aléatoirement une déferlante de soli rugueux venant contrebalancer des riffs patibulaires, à l’image de ce très fat “Read The Omens” qui ravit les grands et les petits. Apparemment fiers de leur méfait, nos gaillards plient les gaules avec le sourire – comme le public, encore un peu abasourdi de ce qui restera une des grosses claques de la journée.
TRUCKFIGHTERS
Reconnaissons-le, on est assez contents de voir débouler quelques bonnes rasades de fuzz bien chaud après le set robuste et efficace mais au son un peu “froid” de Pelican. Le trio suédois a tellement tourné ces derniers mois et années que l’on sait peu ou prou à quoi s’attendre. A ce titre, l’effet de surprise ne peut plus venir que de la set list. Et sur ce plan, on est mi-figue, mi-raisin : rien de révolutionnaire (s’y attendait-on vraiment ?) mais pas non plus la set list “pilotage automatique” que l’on pouvait craindre. On y retrouvera avec des ressentis variés des titres longs comme « Manhattan Project » ou « The Game » qui manqueront un peu du potentiel percussif du trio, mais aussi des petites perles comme « Mind Control », « In Search of (The…) » ou évidemment le très attendu « Desert Cruiser » qui vient clôturer le set. Scéniquement, zéro surprise en tous les cas : Ozo est bien dedans et abat le taf (rythmiques impeccables, chant maîtrisé – pour la plupart…) et Dango est dans son rôle de cabri guitariste, arpentant la scène en long et en large, tournoyant, sautillant, dansant, bondissant sans arrêt, et ce quel que soit le rythme du morceau ou l’ambiance développée… On sait que ce point fait débat au sein de la “stonersphère”, certains appréciant cette énergie authentique (le bonhomme a toujours été ainsi) et d’autres décriant une scénographie décalée, voire inappropriée. Préférant ce comportement à celui des musiciens qui se regardent les chaussures pendant une heure, on se rangera plutôt vers la première catégorie, et on notera par ailleurs que le bonhomme ne rate jamais une note ou un solo par excès de débauche physique, ce qui en soi est déjà remarquable. Le point faible du set en revanche viendra de la mise en son : un peu chaotique au début, elle alternera passages corrects et départs en vrille réguliers durant tout le set (basse vrombissante, chant bien trop présent dans le mix par moments, etc…). Bref, la prestation des Truckfighters ce soir, sans être calamiteuse, est loin aussi d’être mémorable.
MANTAR
Après les kangourous scandinaves dans le trend, le moment est venu d’aller se finir auprès de la petite scène obscure si propice aux danses de sauvage, et nous n’allons pas être déçus de notre voyage. Mantar grimpe sur scène en mode topless prêt à en découdre avec un public qui ne demande que ça. Erinç se cale derrière ses fûts à l’ombre de la tête d’ampli estampillée « power » – des fois qu’on oublie que la puissance est l’un des nombreux atouts de ce duo… – et Hanno – coiffé de son habituelle casquette à l’envers – s’agite comme un diable en se cognant contre les amplis. Le ton est donné : c’est cinquante minutes de sauvagerie annoncée, enfin cinquante minutes c’est le temps de jeu alloué à la formation d’Hambourg qui clôt la journée car, faisant fi du couvre-feu, le binôme va exploser le temps de jeu pour notre plus grand plaisir. S’étant approprié la zone scénique du Foyer, les compagnons de route de Mantar installeront leur stand de merch dans l’espace prévu pour les techniciens de cette scène dans la plus grande tradition punk. Adeptes du D.I.Y., le groupe de Hambourg va envoyer du – très – lourd en faisant la part belle à sa dernière production « Ode To The Flame » dont nous sommes raides dingues » – une tuerie si vous n’avez pas lu la chronique sur ce site. Le martial « Era Borealis », le brutal « Praise The Plague ainsi que d’autres petites merveilles récentes viendront croiser sur le setlist des titres à peine plus anciens puisque même si la formation se produit ce jour-là pour la seconde fois au Desertfest de Berlin, elle n’a pas encore atteint ses cinq années d’existence… Nous ne serons pas les seuls à goûter à l’art pratiqué sur scène puisque ce fut le gros bordel devant la scène et que l’un de vos serviteurs a carrément failli se prendre un élément de sono sur le pif alors qu’il captait des images pour émerveiller vos mirettes. La paire teutonne de doom, stoner, punk, crust, black etc. aura fait un carnage et cette première journée de folie s’achève comme elle a commencé : avec des Hambourgeois qui poutrent nous livrant un show de toute bonne facture. Ah quelle belle journée !
Pour résumer notre journée :
- la bonne surprise : High Fighter
- la confirmation : Mothership + Wo Fat
- la (petite) déception : Truckfighters
- la grosse claque : Mantar
[A SUIVRE]
Chris & Laurent
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