Jeudi 19 mars, New Noise était à l’initiative (avec Kongfuzi) d’une soirée au Trabendo réunissant Russian Circles, Cloackroom et Dirge. Une soirée en adéquation avec la direction artistique du magazine, ne se bornant pas à un genre précis mais allant là où il y a de l’originalité et du sang neuf (et un tantinet de hype, il faut l’avouer). Si les trois groupes cités restent assez différents les uns des autres, ils se rejoignent sur leur orientation vers le lourd et le percutant, où batterie et basse fusionnent pour nous assener de douloureuses taloches. En bref, une soirée où il ne faisait pas bon de trainer vers l’ampli basse.
Premier constat, on trouve dans la salle déjà bien remplie de nombreuses espèces autre que le commun barbu en veste à patch fleurant la bière et saisissant l’occasion d’un silence entre deux chansons pour meugler une fantaisie hilarante et ô combien originale du genre « à poil !». Le public est éclectique, et c’est la preuve que Russian Circles draine un large public (puisqu’on suppose que tout le monde est venu pour eux, à moins que ça ne soit pour le foodtruck situé en extérieur et proposant des burgers à 10€, sait-on jamais).
Les parisiens de Dirge sont chargés d’ouvrir la soirée. Formé en 1994, Dirge a mené son existence à l’ombre des projecteurs, qu’ils auraient pourtant mérité sur eux depuis un paquet d’années. Au départ tourné vers le metal industriel, le groupe s’est dirigé petit à petit vers un post-metal cérébral qui ne se soucie pas de la case dans laquelle on va le ranger. C’est sombre, les guitares chialent des notes torturées, la basse cogne, et chaque coup de cymbale résonne comme une déflagration nucléaire. On pense à du Neurosis en un peu plus atmosphérique et moins barré ; Dirge est plus cyclique et hypnotisant. Un groupe que l’on aimerait sincèrement voir plus souvent en live car c’est une belle claque.
C’est un pari risqué que de laisser à Cloackroom la responsabilité de prendre la suite de Dirge, puisque les américains ne jouent pas vraiment dans la même catégorie. Cloackroom est plus proche du shoegaze que du metal, et ça, au risque de faire râler les plus TRVE présents ce soir. La voix du chanteur guitariste, fragile et hésitante, fait énormément penser à celle de Morissey, et dans une ambiance vaporeuse et fuzzy très 80’s, Cloackroom nous rappelle les groupes de noise pop de l’époque genre The Jesus and Mary Chain. Dommage que le batteur ne connaisse pas la retenue, celui-ci cogne fort quelle que soit l’énergie du moment, aussi bien sur les passages planants que sur les autres qui balancent plus. Car oui, Cloackroom nous gratifie lors de rares moments d’interludes grasses à souhait. Malgré une formule qui peut sembler alléchante sur le papier, l’ensemble est trop linéaire et chaque morceau se ressemble trop. L’impatience se fait sentir avant les cercles russes.
On peut maintenant l’affirmer : tout le monde est là pour voir Russian Circles. La salle qui était jusqu’alors praticable ne l’est plus du tout, et un rapide aller-retour en terrasse aura suffi pour que l’on se retrouve subitement face à un bloc humain infranchissable entre nous et la scène. Les piètres photos pourront en témoigner. A croire que les organisateurs ont vendu plus de places que le Trabendo ne le permettait. Les trois américains arrivent sur scène et entament le concert avec les deux premiers titres de leur dernier album Guidance, “Asa” et “Vorel”. Ces deux titres à la montée progressive ont le don de jouer avec les nerfs du public qui n’attend qu’une seule chose : le paroxysme de la puissance pour pouvoir exploser, enfin.
Russian Circles déroule ses morceaux avec une aisance déconcertante. Un membre alterne sans problème entre la basse et la guitare, au sein d’une même chanson parfois, tout en gérant un pedalboard d’une valeur d’un demi millions d’euros au moins. Même remarque chez le second guitariste, mais qui lui n’a qu’un seul instrument (la honte). Rien d’étonnant pour un groupe passé maître dans l’expérimentation sonore et qui exploite les effets comme personne. Du moindre poil de distorsion au plus petit zeste de réverbération, tout est calculé et réglé comme du papier à musique. Quant au batteur, son lien de parenté avec Shiva est évident. Son jeu est tout simplement incroyable, et l’on se rend compte que toutes les compositions du groupe reposent sur ses patterns de batterie ultra-détaillés, méga-groovy, uber-complexes et à la précision chirurgicale. Si on retrouve quelques titres d’albums plus anciens, le set fait la part belle aux deux derniers albums, avec des titres comme “Mota”, “1777”, “Deficit” ou encore “Afrika”. Déchainer les passions, faire frissonner l’épiderme, bousculer les entrailles, voilà le pari amplement réussi de Russian Circles.
La grâce, voilà le mot que l’on doit retenir de ce concert de Russian Circles. La grâce de l’exécution d’un set impeccable, la grâce d’une musique épique et intelligente, et la grâce dans laquelle ce concert nous a plongé. Dommage qu’il y ai eu autant foule et qu’il était par moment vraiment difficile d’apercevoir quelque chose. Mais face à une telle virtuosité, c’est légitime. Encore chapeau à Dirge, super amuse-gueule avant l’apothéose.
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