Le Black Bass festival se tient au milieu des marais de la région de Blaye, à proximité de Bordeaux, depuis quatre ans maintenant. Festival modeste et sympathique, il privilégie l’ambiance et la qualité, mais ne revendique pas forcément une programmation musicale d’une grande « cohérence » : on y retrouvera au fil du week-end toutes les variations depuis gros rock qui tâche jusqu’à la pop, en passant par la folk, etc… le tout en électrique ou en acoustique !
A priori pas forcément de quoi réveiller le stoner-head de base, donc… sauf que cette année, l’affiche de la seconde journée avait a contrario de quoi intéresser… voire écarquiller les yeux ! Truckfighters pour la seule date française de cette tournée ? Hark aussi ? Rajoutez à ça quelques allusions bien appuyées à des groupes d’affinités desert-rock-iennes, et il ne nous en a pas fallu beaucoup plus pour nous décider à prendre la route…
On gagne le site en pleine rase campagne et très vite en arpentant la zone du festival on est agréablement saisi par l’aspect paisible et champêtre de la chose : deux scènes placées de part et d’autre d’une zone complètement arborée très agréable, calée entre des champs et un beau château anciennement voué à cet espace viticole. La zone est baignée d’un beau soleil de fin de journée, on se balade et on repère des food trucks, des buvettes, des stands de jeu, des stands de prévention… On a à peine le temps de faire le tour que les premiers accords de guitare acoustique résonnent sur la « petite » scène (de bonne taille néanmoins).
Quelques pas suffisent à nous rapprocher de Julien Pras, qui a la responsabilité de lancer cette seconde journée de festival avec un set solo. Et oui, LE Julien Pras à la tête du trio français Mars Red Sky ! On sait le chanteur-guitariste plutôt effacé dans son rôle de frontman, on n’est donc pas tant surpris de le voir prendre la scène avec timidité… Le talentueux vocaliste balbutie un peu son intro, et interrompt même son premier titre suite à un pain ou trou de mémoire… Plutôt que de décontenancer, cette attitude sincère et humble génère en fait une sorte d’empathie formidable, si bien que l’on se croirait plutôt dans la maison d’un pote musicien ou dans le fond d’un petit bar intimiste, plutôt qu’en open air en festival. S’ensuit un concert chaleureux, impeccablement exécuté (plus aucun pain, tout est fluide et maîtrisé), qui évidemment ne contentera pas la soif de décibels saturés du fan de stoner un peu basiques (on est dans un environnement 100% acoustique, orienté folk et pop plutôt que rock), mais qui donnera le sourire à une assistance conquise. Notons que Julien ne cherche pas à concentrer l’attention sur lui seul puisqu’il a invité la chanteuse et instrumentiste (percus, une sorte de harpe électro-acoustique…) Helen Ferguson, qui l’accompagne pendant tout le set. Les titres s’enchaînent, jamais dépressifs (le piège de l’acoustique…), toujours subtilement mélancoliques. Super performance d’ouverture.
Un DJ set rock vient occuper le temps nécessaire pour installer la scène pour Blackbird Hill sur cette même scène. Le duo girondin bénéficie d’une ambiance crépusculaire très propice aux efforts déployés pour l’aspect visuel de leur performance : fumée, lights travaillés, look étudié … Le groupe a pas mal joué ces derniers mois et sa mise en place est quasi impeccable : son boogie rock plus ou moins saturé ratisse large et cartonne auprès d’un public qui est bien dans le cœur de cible. De manière purement subjective, on regrettera un peu la vision très « construite » des morceaux, ne laissant que peu de place pour une prise de liberté un peu salvatrice, une impro, un plan un peu fun… Tout ça est très carré, et très sérieux… trop ?
Vient immédiatement ensuite le moment pour le public de se rassembler à la tombée de la nuit devant la grande scène qui pour certains s’apparentera ce soir à un lieu de rituel : Calc monte sur scène pour la première fois depuis une décennie, en gros. Le combo pop rock bordelais se reforme uniquement pour le festival, et son influence sur la scène locale (et nationale) se ressent sur les sourires dans le public. Accessoirement, Calc est aussi le groupe de… Julien Pras, toujours lui, qui occupe le poste de chanteur-guitariste, comme chez Mars Red Sky. Sauf que musicalement, la musique du groupe est quand même loin des space trip heavy proposés par le trio bien connu de nos pages. Calc fait plutôt dans le pop rock, intelligemment pop et subtilement rock, proposant des compos audacieuses, piochant ici ou là dans des plans new wave, misant sur la mélodie avant tout. C’est bon enfant, bien exécuté, bien travaillé (encore une fois très beaux lights et mise en son impeccable), tour à tour léger et grandiloquent (ce morceau de conclusion !). Un bon moment, même si la saturation n’était pas vraiment au rendez-vous.
Après un intermède « concours air guitar » assez convenu mais finalement sympathique, vient l’heure du set de Truckfighters. Le trio suédois a passé une bonne demi-heure sur son soundcheck, ce qui s’entend assez vite : à nouveau aujourd’hui, le son est clair, percutant. Le trio propose une entame / jam s’articulant autour de la paire « Atomic » / « Chameleon » ; ça n’est pas explosif mais ça embarque le public dans le genre musical du groupe. Le public est bigarré par nature sur ce genre de festival, mais un noyau dur de fans de truckfighters occupe les premiers rangs et le pit. L’affluence étant au rendez-vous, l’ambiance est au top ! Sur scène aussi d’ailleurs, où l’air de rien, ça joue : la paire Dango / Ozo est robuste (ce dernier impeccable aujourd’hui sur ses lignes de chant, et toujours doté – on le signale trop rarement – d’un son de basse impressionnant, une clé dans le son du groupe). A noter : on sait que le tabouret du batteur de la formation s’apparente plus à un siège éjectable, tant le duo a du mal à fidéliser un marteleur de fûts à ce poste. Aujourd’hui c’est le bon vieux Pezo qui occupe le poste (celui qui apparaît notamment dans le célèbre DVD « Fuzzomentary »), et l’on se prend à regretter qu’il n’ait pas suivi le groupe toutes ses années, tant il assure à son poste, frappant juste et fort, avec une énergie qui fait penser à un hybride entre Animal (le batteur des Muppets) et Tiger, le batteur de Kadavar à la crinière virevoltante. Clairement la première demi-heure du set suit son cours en mode un peu automatique, et c’est avec le fuzzé « Monte Gargano » que les choses sérieuses commencent, y compris dans le pit. Les scandinaves introduisent un autre nouveau morceau avec réussite, « The 1 » faisant bien le job dans cette séquence renforcée en testostérones. Le set prend fin évidemment sur l’indémodable « Desert Cruiser » en rappel. Un concert impeccable, à l’occasion duquel le groupe a encore proposé une set list audacieuse, et maîtrisée, ce qui lui permet à de multiples occasions de se lancer dans des impros du meilleur goût (permettant aussi de mettre en avant leur talent de musicien, trop souvent « sous-évalué » derrière les cabrioles un peu outrancières de son guitariste… Back to basics !). Le public repart ravi, récupérant au passage le pantalon trempé et les chaussures de Pezo, qui repart en caleçon, le sourire aux lèvres…
Les français de Lysistrata enchaînent sur la petite scène. Le vent en poupe, les trois jeunes musiciens développent une énergie scénique absolument emballante. Le public ne s’y trompe pas, qui lui réserve un accueil plus que chaleureux. Musicalement, on pense à un mélange de At The Drive In, The Dillinger Escape Plan, à la sauce rock indé frenchie, pied au plancher. Ça joue bien, très bien, c’est très saccadé, et les morceaux sont bien foutus. Derrière ces éléments tout à fait objectifs et factuels… ça manque un peu de gras et de poil à mon goût : le package « jean’s slims/ourlets – rasés de près– guitare et basse calées bien trop haut sous les aisselles – cheveux bien dégagés derrière les oreilles – son clair» a un peu détaché le vieux con blasé qui sommeille en moi. C’est complètement subjectif et un peu honteux, c’est vrai. Sans remettre en cause le talent du groupe (et son potentiel pour les années à venir) j’ai lâché l’affaire très vite pour me caler au 1er rang de la grande scène et attendre le groupe suivant…
Point négatif pour Lysistrata : le trio tire sur la corde et déborde son slot de 20 grosses minutes. A bientôt 2h du matin, dans le froid de la nuit en rase campagne, ça commence quand même à piquer un peu… Heureusement Hark est prêt depuis un moment et quelques secondes à peine après le dernier accord dissonant des frenchies, les gallois, remontés comme des pendules, attaquent la scène la bave aux lèvres, prêts à en découdre. Le quatuor est trop rare ces dernières années, on pouvait craindre de les retrouver en rodage. C’est tout le contraire dans les faits : Hark est devenu une véritable machine de destruction live. Clairement, et c’est le constat premier de ce set, le groupe a « metallisé » son propos : même si ses compos ne manquent pas de subtilités et de finesses techniques et sonores, le riff est devenu maître à bord, et l’efficacité prime. Tee shirts Coroner, Keelhaul, Downfall of Gaia, backpatch Iron Monkey… on le sentait venir en les voyant monter sur scène ! Côté set list, le groupe est en promotion de son nouvel album (le délicat « Machinations » fraîchement sorti) : confiant dans cette rondelle il compose sa set list pour moitié de tirs qui en sont issus (le reste venant de « Crystalline », bien sûr…). Moins familier des derniers morceaux, on les encaisse de plein fouet coup sur coup, et on commence juste à cligner des yeux en reconnaissant les plus classiques « Mythopoeia » et « Scarlet Extremities » qui viennent ponctuer la première moitié du set. Evidemment, sur scène, Jimbob mène ses troupes, toujours armé de sa caméra Go pro accrochée sur la tête de sa guitare (un peu chiant, avouons-le, tant ça attire l’œil). Mais sur les ailes et en fond de scène, on se regarde pas le nombril non plus : ça débite des bûches par stères entières, sans répit. Tout le monde est à fond, et les dégâts sont là, même si le public s’est un peu amoindri après les Truckfighters (notoriété du groupe moindre, genre musical plus exigeant, température ambiante rédhibitoire, fatigue…), remplissant néanmoins très convenablement le pit, et l’agitant bien comme il faut avec quelques moshers dont certains au premier rang un peu imbibés (ou très passionnés…). Les gallois achèvent leur set (et le public) avec le terrible « Palendromeda », mais décident de revenir pour un rappel imprévu (si si, ça existe encore ce concept !) qui finira de donner le sourire à tout le monde, eux compris. Une belle leçon.
On quitte le festival ravis, évidemment, par cette journée haute en émotions, et on reste bluffés par cette programmation exigeante compte tenu d’un festival qui se veut ouvert, destiné à un public large. Un coup de maître en tout cas, le festival ayant réalisé l’une de ses plus grosses affluences historiques… A suivre de près sur son édition 2018 !