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Buzzfest 2007, 1, 2 et 3 novembre 2007, Opwijk et Rossignol, Belgique

On l’a déjà dit ailleurs, Buzzville est un petit label qui se construit patiemment en évitant soigneusement le brulage d’étapes. Pas de signatures à tour de bras, pas de moyens énormes alloués aux groupes, pas de responsabilités diluées, les deux têtes pensantes de cette structure font tout eux-mêmes et prennent des décisions murement réfléchies en tirant les enseignements de leurs expériences. Et si cela s’applique particulièrement à l’enrichissement de leur catalogue, c’est également vrai lorsqu’il s’agit d’organiser leur festival qui fêtait cette année son troisième anniversaire. Alors que le succès de l’édition précédente reposait presque uniquement sur les épaules de Dozer, la programmation de ce Buzzfest 2007 faisait la part belle aux groupes du label en proposant les deux poids lourds que sont Cabron et Monkey3 mais également Deville et Cortez, deux combos fraichement signés venus faire les présentations. A cette affiche déjà alléchante s’ajoutaient une poignée de groupes belges, dont Hypnos 69 de retour au pays après une tournée européenne bien remplie et Brant Bjork, l’infatigable Euro-trotter flanqué de ses Bros largement remaniés. Toujours répartie sur deux jours, l’édition de cette année avait également la particularité de se dédoubler, l’association On The Gaume Again prenant en charge l’organisation du festival au Sud de la Belgique et offrant pour l’occasion l’opportunité aux fous que nous sommes d’assister deux jours de suite à la même série de concerts. De cette initiative très symbolique, on retiendra malheureusement que les francophones, fidèles à leur réputation, auront préféré s’abstenir de venir en masse alors qu’on leur proposait une affiche de qualité dans une salle certes paumée au fin fond de la Gaume profonde mais parfaitement adaptée à l’évènement. Malgré ce manque d’affluence, également observé au Nord dans une moindre mesure, aucune formation n’aura déméritée, quelle que soit sa place sur l’affiche ou le temps qui lui fut imparti, nous offrant au final neuf prestations dans autant de styles différents dont la qualité oscilla entre le très bon et l’excellent. Ce genre d’évènement offre généralement l’opportunité de découvrir des groupes dont on ne sait rien ou presque et en la matière, ce Buzzfest fut particulièrement riche en révélations et bonnes surprises, tant au cours de la première soirée placée sous le signe de l’éclectisme que lors de la soirée principale qui vit défiler les « gros » noms de l’affiche. Coincés sur la minuscule scène du Nijdrop toujours aussi mal agencée, The Whocares s’acquitta aisément du rôle ingrat de mettre le feu aux poudres grâce à leur speed rock décomplexé fleurant la bonne humeur. Sans aucune prétention de vouloir renouveler un style très codifié, les quatre jeunes de Blitzen délivreront un set énergique et parfait pour s’échauffer les cervicales. On regrettera uniquement l’absence de la reprise de Turbonegro jouée lors du line-check qui aurait clôturé le concert en beauté, ce dont ne se privera pas Set The Tone en réussissant à se réapproprier Paranoid après avoir balancé ce qui restera le show le plus brutal et le plus lourd du festival. On peut ne pas aimer leur stoner/sludge/doom inspiré de la scène NOLA mais force est de constater que ces mecs ne font pas dans la facilité et savent tenir une scène. De leur compos où se catapultent des ambiances doomesques, des passages ultra heavy et un goût prononcé pour le riff bien saignant, on retiendra leur aptitude à se forger un style propre et homogène sur lequel plane malgré tout l’ombre des différents groupes d’Anselmo. Les Liégeois passeront le relais à Deville et même si leur mur du son n’aura pas idéalement préparé le terrain aux Suédois, le trio (ont-ils perdu un guitariste pendant le voyage ?) fraichement signé sur Buzzville parviendra à séduire grâce à un stoner classique mais très efficace rehaussé par la qualité des vocaux, de quoi se rassurer sur le fait que la Suède reste un vivier de combos à découvrir.


Cap sur Opwijk le lendemain pour une affiche pleine de promesses, même si la programmation est à double tranchant. Tous ceux qui ont déjà vu Cabron, Hypnos 69 ou Brant Bjork sur scène savent qu’ils délivrent généralement d’excellentes prestations, mais quel amateur de stoner belge, et a fortiori flamand, n’a pas encore vu chacun de ces groupes au moins trois fois ces deux dernières années ? La remarque vaut d’ailleurs également pour Monkey3 qui vient régulièrement déposer ses étuis à guitares sur nos scènes, seul ou bien accompagné. Le pari était donc osé et fut finalement à moitié gagné, ce qui permit à chacun de profiter pleinement des concerts sans être bousculé ou arrosé de bière et avec en prime, la chance de découvrir en avant-première exclusive Cortez, la dernière trouvaille de Buzzville venue en direct de son Massachusetts natal pour conquérir la Belgique avant de s’attaquer au reste du monde. Suite au désistement de Sideburn pour d’obscures raisons financières, c’est à Solenoid que revient l’honneur de fendre les premiers le rideau de fumée qui couvre la scène. Solenoid se fout de ce qui est tendance, se fout des 70’s et se fout du fait que le public reste à trois mètres de la scène. Solenoid aime le hard-rock, la bière et l’humour potache, un mélange qui a fait ses preuves et qui leur réussit plutôt bien. On les suspecte d’avoir monté ce projet pour s’amuser et rendre hommage à leur héros de la N.W.O.B.H.M. à grand renforts de riffs métalliques, de rythmiques carrées et de solos épiques. Quitte à se faire plaisir, ils incluent également quelques influences punks old-school de ci de-là et se prendront même pour Slayer le temps d’un morceau. Comme ils sont bon musicos, on rentre facilement dans leur délire et on se souvient avec nostalgie de l’époque lointaine où l’on considérait Iron Maiden et Motorhead comme les meilleurs groupes du monde. Solenoid n’aura pas délivré la prestation la plus marquante de la soirée mais aura fait beaucoup plus que de la figuration et il n’est pas sur qu’on y aie perdu au change par rapport à Sideburn.


Place ensuite au grand point d’interrogation de la soirée, Cortez. Jamais vu, jamais entendu mais immédiatement adopté. Dans la droite lignée de Roadsaw ou Sixty Watt Shaman, les bostoniens nous balanceront une grosse demi-heure de heavy-rock comme seul les américains savent le faire. Grosse patate, bon groove, refrains accrocheurs et excellente présence scénique, tous les éléments sont réunis pour convaincre un public qui n’hésitera pas très longtemps avant de quitter sa position d’observateur. Visiblement très peu affecté par le jet-lag, les ricains donneront tout ce qu’ils ont au cours de ces deux soirées et au-delà de la qualité des compos et des gesticulations d’un chanteur un rien cabotin mais fort sympathique, on retiendra surtout la cohésion d’un groupe avide de partager le plaisir qu’il a d’être sur scène.


Les membres de Cabron, eux, n’ont plus rien à prouver face à un public qui les connait bien et même si les deux prestations furent irréprochables, on regrettera un peu qu’ils aient délivré deux jours de suite un set en tout point identique et sans grande surprise. Mêmes morceaux joués dans le même ordre, même gimmicks aux mêmes moments et même reprise de AC/DC toujours aussi efficace en final. Cela n’enlève rien à la qualité des compos et à leur talent de musiciens aguerris, la section rythmique époustouflante de précision constituant un écrin sur lequel viennent se poser les grattes incisives, mais là où l’aspect hyper pro basé sur une solide expérience de la scène peut faire mouche devant un nouveau public, on regrettera la prise de risque minimum lors de ces deux concerts donnés quasiment en roue libre.


Tout l’inverse de Hypnos 69, de retour au pays après une tournée européenne bien remplie qui leur a visiblement permis de trouver leur marque pour délivrer deux concerts forts différents mais tout aussi excitant. Le premier soir, devant un parterre d’habitués, ils axeront tout le set sur leur ambitieux petit dernier, The Eclectic Measure tandis qu’au Sud, face à un public potentiellement néophyte, ils visiteront l’ensemble de leur répertoire (sans oublier les incontournables reprises de King Crimson ou des Beatles) avec le même brio. Et même si leurs concerts durent généralement plus de deux heures, les 40 minutes allouées suffiront à nous convaincre que dans de bonnes conditions, le quatuor est capable de délivrer des prestations d’une précision et d’une efficacité inouïe. Pour avoir assisté à l’un des premiers concerts de la tournée deux mois auparavant et qui, avouons-le, n’était pas exempt de petites imperfections, je peux vous assurer que la poignée de dates accumulées depuis leurs auront permis de retrouver leurs marques et de glisser sur les difficultés à reproduire la complexité de leurs compos récentes comme s’ils les jouaient depuis des années. Cette maîtrise technique irréprochable ne serait rien sans leur capacité à transmettre des émotions variées, en partie grâce à des solos de guitares qui devraient réconcilier tous ceux qui sont un peu fâchés avec cet exercice de style. Et çà, à n’en pas douter, c’est la marque des grands.


Tous ceux qui ont eu la chance de voir Monkey3 sur scène vous parleront certainement des projections fascinantes et du light-show savamment étudié (même si de l’aveu des membres du groupe, nous n’auront eu droit ici qu’a une version allégée). Mais si l’impact de ces deux éléments est loin d’être négligeable, les Suisses s’y entendent pour vous lobotomiser les neurones en moins de temps qu’il ne faut pour le dire à coup de morceaux répétitifs qui se suffisent à eux-mêmes, exécutés avec une puissance qui redéfinit les limites de ce qui est heavy. Avec eux, un concert n’est plus simplement un enchainement de titres bien exécutés qui viennent flatter votre sens auditif mais cela devient une véritable expérience physique dont on ressort parfois sérieusement secoué. Le plus curieux est qu’au-delà de la complicité très perceptible entre les musiciens, ceux-ci donnent l’impression de s’amuser franchement sur scène alors qu’on les imaginerait plutôt hyper-concentrés. Peut-être d’ailleurs est-ce du aux airs ahuris du public qui leurs fait face.


Pour clôturer les festivités, place à Brant Bjork & The Bros dans une formule inédite. On savait déjà que Alfredo Hernandez, le pote de toujours, remplaçait Mike Peffer derrière les fûts, on découvre désormais que le quatuor s’est mué en trio. Exit Cortez (le guitariste, pas le groupe), Mr Cool, qui d’ailleurs ne semble pas être aussi cool que çà, assure seul les parties de guitares. Paradoxalement, Brant semble se fondre un peu plus dans le décor avec cette configuration, à tel point qu’à certains moments, on aurait presque envie de rebaptiser le groupe « Alfredo & The Bros ». Pas qu’il soit devenu particulièrement exubérant, loin de là, mais sa frappe sèche et métronomique crée l’ossature des morceaux sur lequel viennent se poser les lignes de basse groovy et les riffs à la cool. Il est d’ailleurs assez éloquent de constater que quand Brant ne chante pas, il se tourne vers son batteur pour poser sur lui un regard admiratif, tandis que Dylan Roche a cessé de fixer sa tête d’ampli et amorce désormais un quart de tour vers la droite. Alors qu’auparavant, le groupe nous gratifiait régulièrement de concerts marathon avec versions rallongées de la moitié des titres, ils iront cette fois à l’essentiel, puisant dans l’ensemble du catalogue pour nous servir des compos expurgées des digressions habituelles, Brant s’y entendant pour distiller le même petit riff funky à toutes les sauces. Ce qui fera dire à l’un des musiciens présent à l’affiche (et dont on taira évidemment le nom) que « Brant Bjork, faut arrêter de dire que c’est bien, il joue le même morceau pendant 1h30 et c’est pas parce que c’est un ancien membre de Kyuss que çà change quelque chose ». Sans aller jusque là, il faut bien admettre que le bonhomme a trouvé une recette qui fonctionne et a parfois tendance à en abuser, même s’il semble avoir récemment changé d’orientation.

Jihem