La galaxie des DesertFest continue son expansion : après Londres, Berlin, Anvers et New York, sans oublier l’éphémère séquelle hellénique, à Athènes en 2016 et 2017, voici venir l’édition de Ghent (Gand), se tenant deux semaines après celle d’Anvers, dans les entrailles du Vooruit, institution des arts vivants du quartier ouvrier de la ville. L’édifice abrite une salle de théâtre, une salle de concert et une autre modulable, les trois étant ici affublées des mêmes noms qu’à Anvers, à savoir Canyon, Desert et Vulture stage. Et croyez-moi le terme « entraille » n’est pas ici galvaudé, la Desert stage se trouve à 200 bonnes marches plus bas que le hall qui accueille le merchandising et le bar principal. Et même si l’ascenseur permet de sauver quelques chevilles ankylosées (en sus de l’évidente priorité PMR), l’idéal reste d’avoir travaillé les quadriceps et autres ischios-jambiers.
Autre fait notable, la présence cocasse d’une scène sur une scène. En effet, la salle de théâtre du Vooruit, superbe avec ses fauteuils rouges et ses multiples balcons, sert de décor à la Vulture Stage, consacrée aux groupes plus modestes. Avec la scène de musique installée sur la scène de théâtre, endroit sur lequel s’installe aussi le public, l’endroit à des allures de secret show, et le charme qui s’en dégage est un plus indéniable, notamment pour apprécier pleinement les concerts de Tau & The Drone Of Praise et Wyatt E, deux formations jouant, à leurs manières, la carte du métissage.
La première est menée par Sean Mulrooney, multi instrumentiste mêlant le folklore de son Irlande natale avec diverses influences rappelant l’acid rock 60’s, piochant du côté du Mexique par exemple. Accompagné par un groupe appliquant un tempo inspiré des prises de LSD, Tau & The Drone Of Praise convoque un désert dans lequel s’ingère le peyotl en quantité non négligeable. Et ce concert aura été, à ma connaissance, le seul du festival à proposer de le flute et de la mandoline. Très belle découverte pour ma part.
Wyatt E., venu de Liège, donne dans le doom/drone mêlé de références babyloniennes. Vêtu de tankakat (habits bédouins), le trio installe une transe empruntant autant aux gnaoua qu’aux compositions d’Al Cisneros, le désert ici convoqué étant celui du Sahara. L’univers de Wyatt E. agit alors comme un trait d’union entre deux mondes et le public, massif rapporté à l’endroit, ne s’y trompe pas, se laissant transporter 50 minutes durant. Un autre moment fort du fest.
En début de soirée se sont enchaîné sur la Desert stage, trois ex-grands espoirs de la musique plombée, tous trois apparus à l’orée des années 2010, apportant un vent de fraicheur dans le genre : Pallbearer, Monolord et Elder. Il est interessant de constater, dix ans plus tard, ce qu’ont été les parcours de ces formations :
Pallbearer pour commencer a creusé le sillon du doom émotif à lourdes guitares et mélancolie affichée, n’ayant pas à mon sens réussi à dépasser la qualité de leur premier album, battus sur leur propre terrain par le retour aux affaire goth/doom de Paradise Lost ou l’émergence d’Hangman’s Chair sur la scène internationale. Peu aidé par un jeu de scène extrêmement statique et les blancs infinis entre leurs morceaux, l’ex espoir Pallbearer est devenu une formation de complément pour festival à riff lent. Frustrant.
Monolord est un groupe de petits malins. En agrégeant les meilleurs ingrédients du genre stoner/doom – toute fuzz dehors – et en maquillant leur manque flagrant de qualité de composition par un son plus massif qu’un séquoia, le trio suédois s’est taillé une réputation solide, plus ou moins sur la base d’un seul riff, celui – impeccable – d’« Empress Rising ». Si à mon sens leur discographie jouit d’une trop grande clémence auprès des spécialistes es stoner, on ne peut rien enlever à la puissance qu’ils dégagent une fois sur scène (et passer derrière Pallbearer est un plus indéniable). Exemple frappant : « I’ll Be Damned » en live frappe par sa lourdeur, sa double pédale féroce et transforme le chaton Monolord en tigre flirtant avec le death metal. Merci pour ce moment.
Elder a par contre acquis un tout autre niveau. Les quatre américains, berlinois d’adoption m’ont toujours frappé par l’aisance technique et la grande cohérence dont ils font preuve. Leur discographie, ne souffrant d’aucune faille majeure et ne ressemblant – au final – à rien d’autre (on sent l’influence Colour Haze mais après ?) est sublimé une fois leurs meilleurs morceaux portés sur scène. En quatre titres Elder transforme la salle en grande vague d’énergie pure, avec, comme toujours « Dead Roots Stirring » en point d’orgue (cette reprise de riff, qui peut résister à ça ?). À voir si le nouvel album du groupe, annoncé pour fin novembre ne va pas encore faire passer un palier à une formation amenée, à mon sens, à régner sur le genre.
Je n’ai malheureusement pas pu assister au live d’Orange Goblin (convaincu qu’ils ont, comme toujours, gagné le prix Motörhead du concert le plus énergique de la journée), pour ne pas rater une miette des deux principales raisons de ma venue en Flandres Orientales : Coven et Candlemass.
Les deux concerts de Coven qu’il m’a été donné de voir jusqu’ici m’avaient toujours laissé un goût étrange dans la bouche. Entre un set approximatif au Roadburn et une prestation certes bien meilleure mais tout de même un peu tapée au Fall Of Summer, le retour de Jinx à la musique a, jusque-là, plus tenu du moment d’Histoire que du plaisir mélomane. Les choses sont désormais réparée grâce à la prestation très touchante du groupe au DesertFest. Avec un backing band renouvelé, s’articulant autour de musiciens d’Indianapolis, notamment Alex Kerchal (clavier, ingé son au studio Postal Recording) et Chris Owens (ex-Cursed Blade), Coven semble habité par une volonté nouvelle. Sur scène tout le décorum satinico-kitch est de sortie, bougies, crânes et cercueil évidement, dont Jinx sort comme à chaque show. Si Witchcraft Destroys Minds & Reaps Souls, son album culte, est à l’honneur avec 7 titres joués, la set list du groupe pioche également trois morceaux sur Coven (2013) en plus de « Blood On The Snow » titre ayant donné son nom à l’album publié en 1974. Mais mon bonbon du concert est « The Crematory », enregistré en 2016 pour l’EP Light The Fire, porté par une mélodie arabisante aussi envoutante que l’est Jinx, avec son masque et sa lanterne. Ma meilleure soirée d’Halloween et un excellent concert que je dois malheureusement quitter prématurément à cause d’un chevauchement de 10 minutes avec le début du set de Candlemass (SERIEUSEMENT LES ORGANISATEURS ??)
Les suédois de Candlemass, sur le point de publier le très honnête Sweet Evil Sun, leur 13ème album, clôturent la Desert stage avec autorité. 75 minutes de doom épique pur et racé. Une setlist sans surprise, se concentrant évidement sur Epicus Doomicus Metallicus (1986) et piochant dans le meilleur de la période Messiah Marcolin, un groupe sûr de sa puissance de feu (quel son, quelle voix de Johan Langqvist), tous les ingrédients sont là pour un concert parfait. Bien sûr j’aurais aimé quelques surprises dans le choix des morceaux, notamment entendre live « Scandinavan Gods » le banger du prochain album à venir, et déjà sorti en single sur la toile, et pourquoi pas « House Of Doom » de l’album précédent, mais comme l’a constaté le groupe en effectuant un sondage à main levée : une bonne moitié du public présent voyait Candlemass pour la première fois. Une raison bien suffisante pour dérouler les classiques, et finir par l’irrésistible doublette « Demon’s Gate » et « Solitude » (à noter d’ailleurs que la setlist prévoyait « Dark Reflection » qui n’a pas été jouée, probablement par manque de temps). Tout ceci n’empêche pas Leif Edling et les siens de sortir sous l’ovation d’une salle exsangue, conscient d’avoir passé un moment d’une rare force. Le concert du fest, mais j’étais conquis avant même qu’il commence.
Immense succès pour le DesertFest version Gand, avec son lieu chargé d’histoire, son public nombreux et des prestations plus que convaincantes. A l’année prochaine ?
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