Après quelques heures durant lesquelles nous avons profité de libérer de l’espace sur les cartes mémoires, monté le résumé visuel du premier jour et préparé le nouveau (dispo par ici : https://www.youtube.com/watch?v=ZC6vMOWGPwM), dormi un peu, changé de t-shirt (ça c’est super important en festival), acheté quelques disques (Record Store Day oblige), mangé et visité un nouveau quartier de Berlin jusqu’alors inconnu de nos limiers, l’heure est déjà venue de converger vers l’Astra pour un deuxième jour plein de promesses. Un Astra toujours baigné par un soleil radieux, ce qui finit de nous mettre en joie, avec la perspective de cette affiche de rêve…
TRAVELIN’ JACK
Et la journée commence de manière assez surprenante, tandis que l’on entre dans le Foyer à 14h et quelques, où les berlinois de Travelin’ Jack s’affairent déjà sur scène. “Surprenant” car le quatuor se la joue hard rock glitter, look inclus (falzards collants, jeans pattes d’eph’, maquillage presque “kiss-iens”…), et attitude à l’avenant : malgré un bassiste format grizzly renfrogné, le guitariste Flo The Fly (!!) se la joue guitar hero absolu, et la chanteuse “Spaceface” (!!!) n’est pas en reste, même lorsqu’elle dégaine sa Flying V pour épauler son voisin à la six-cordes. Jouant sur le décalage thématique, le groupe se livre sans réserve devant un public pas encore trop tassé, mais qui semble adhérer au concept. De notre côté, on apprécie encore une fois le talent de programmation qui fait le pari de l’énergie pour introduire cette journée et dynamiser un peu le public qui commence juste à se réveiller. Les confettis dorés uber-kitsch qui jaillissent sur la fin du set et qui joncheront le sol et la petite scène toute la journée laisseront tout du long ce petit sourire en coin bienveillant qui aura caractérisé cette prestation réjouissante.
MOANING CITIES
Les bruxellois de Moaning Cities ouvrent la main stage aujourd’hui, et font très vite montre d’une belle maîtrise dans l’exercice parfois casse gueule du rock psychédélique. Riffs lancinants, chant habité, les basiques sont bien là. La rythmique 100% féminine est redoutable d’efficacité, avec notamment un son de basse impeccable. En tous les cas, les quatre belges aux influences rappelant une sorte de Velvet version orientale, option Uriah Heep au bac et Jethro Tull en LV2, sont complètement dans leur trip, sans jamais non plus se perdre dans des jams stériles : les morceaux sont bien calés, ce qui contribue à l’aspect “moderne” de leur proposition musicale (qui évite l’écueil des impros vasouillardes sans fin trop souvent pratiquées dans cette veine musicale). Lorsque le bassiste s’empare de son sitar, assis par terre jambes croisées, pour s’engager dans un morceau pleinement oriental, on sent que les p’tits jeunes se la jouent authentiques. Et au final, ça fonctionne bien : le set déroule et le public, comme nous, prend du plaisir.
SUN AND THE WOLF
Le rock psychédélique reprend ses droits dans le foyer avec le groupe berlinois. Rien de très fou fou durant la prestation de ses autres régionaux de l’étape, mais une maîtrise certaine de ce genre hypnotique. Le groupe débute sa prestation de manière instrumentale à trois sur scène avant que le vocaliste de la bande rejoigne ses camarades pour balancer une purée teuton dont le public est preneur. Les alentours de la petite scène sont plutôt bien fréquentés durant ce set qui lorgne par moment vers le style indé selon certains spécialistes. Il est à souligner qu’avec la suite plutôt bourrin qui allait suivre, les lourds avaient pris leurs quartiers – d’été vu le temps – dans le jardin à bières en laissant pas mal de place aux aficionados d’un genre plus planant durant ce set techniquement au poil.
HEAT
On change de salle, mais pas carrément de style et encore moins d’origine puisque c’est au tour de Heat de faire monter la température. On remarque quelques personnages connus de nos services parmi le personnel de la formation du cru puisque certains ont officié par le passé au sein de The Hara-Kee-Rees, Grandloom ou Samsara Blues Experiment. On tape aussi rapidement du pied à l’écoute de ce son vintage très hard rock dans son rendu final. Le bassiste, que nous avions déjà remarqué dans les temps jadis alors qu’il officiait pour d’autres, se déchaîne sur scène et attire naturellement tous les regards alors que ses coéquipiers, plus concentrés sur leurs instruments, demeurent assez statistiques durant la prestation. Qu’importe la raideur de certains, le public est réceptif (tout comme nous) et on s’en paie une belle tranche avec ces Allemands au registre aussi old school que leur matos (le jack torsadé ça la fait quand-même et heureusement que l’agité à la quatre-cordes n’en était pas muni vu ses aller-retour entre le centre de la scène et les retours servant de marchepieds).
KAMCHATKA
On est déjà bien calé devant la scène Foyer quand le trio suédois pose ses six pieds sur les planches : KAMCHATKA traîne avec lui une réputation étonnante, disproportionnée au regard de la confidentialité de ses productions vinyliques d’une part, et de la rareté de ses prestations live d’autre part. Mais être invité par Clutch pour faire leur première partie des deux côtés de l’Atlantique, participer au projet King Hobo qui accueille aussi Jean-Paul Gaster, et avoir en son sein Per Wilberg (Spiritual Beggars, Opeth, etc…), ça vous pose la légitimité d’un groupe. Il nous fallait donc valider ça sur pièce. Très vite, la qualité du combo ne fait plus grand doute : mené par un frontman chanteur / guitariste qui assure (Thomas Andersson), le power trio évolue dans un stoner heavy rock riche en riffs et en soli, très propice aux passages instrumentaux voire aux impros (50% de King Hobo sur scène, quand même…). La variété des compos est l’un des points marquants de ce set qui, en quarante-cinq minutes, aura convaincu un public dense et satisfait – à l’image de Tommi, de Dozer et Greenleaf, qui aura suivi tout le set avec le sourire aux lèvres (le bonhomme nous confiera quand même que le groupe aura été l’une de ses révélations sur ces trois jours). Sortez-les de leur froide scandinavie et venez les faire jouer par chez nous, bon sang !
ACID KING
L’affiche de la journée se caractérise notamment par une grosse proportion de groupes à fort potentiel de poutrage doom, et la première salve doit être donnée par Acid King. Le trio nord-californien s’installe nonchalamment sur scène au son du fort bien nommé “Intro” issu de sa nouvelle galette. Une nouvelle galette que l’on sait heureusement de grande qualité, étant donné que la presque entièreté de leur set du jour est composée de titres dudit album ! Belle confiance en soi de la part du groupe de l’amazone Lori, qui décide courageusement de confronter ses nouvelles compos à un public qui, pour sa majorité, n’a pas encore pris connaissance de cette nouvel œuvre. Pari réussi en tout cas, au vu du coefficient ondulatoire appliqué aux cervicales d’un public dense, bien massé devant la main stage. Pas de grande surprise en terme de prestation scénique : Lori à gauche de la scène capte tous les regards, jouant sur son charisme nonchalant et sur son insolent détachement de tout ce qui pourrait s’apparenter à une quelconque sorte de démonstration guitaristique. Enchaînant les riffs à quatre notes joués à deux à l’heure, la grande dame du doom privilégie encore et toujours la mélodie, la lourdeur du riff et l’ambiance pesante des morceaux, sur lesquels elle dépose ses lignes vocales délicieusement nasillardes… De fait, les incontournables “2 Wheel Nation” et “Electric Machine”, les deux seuls titres joués ce soir qui ne figurent pas sur le nouvel album, s’incorporent parfaitement au milieu des nouvelles compos. Même si la communication avec le public est, comme toujours, quasi absente, le trip fut parfait et on aurait bien du mal à trouver motif à insatisfaction. Acid King fut à la hauteur ce soir, et même si en façade le groupe paraît imperturbable, en sortant de scène, ils étaient juste extatiques de l’accueil qui leur a été réservé par un public de connaisseurs…
DIRTY FENCES
Après cette incursion en terres bien lourdes, l’heure est venue d’assister au show d’un ovni dans cette programmation : Dirty Fences. Sur le papelard, ces garçons pratiquent le punk’n’roll. Dans les faits on a eu droit à un ersatz de Ramones plus qu’à celui des Hellacopters, mais avec un goût vestimentaire lorgnant vers le punk des eighties. On devine ces types amateurs de garage même si le rendu scénique s’éloigne du genre pratiqué sur disque, en tapant clairement dans le punk daté pratiqué dans l’urgence. Ça avance pied au plancher – aligné devant la batterie – avec une efficacité redoutable. Le bob porté par le guitariste, le gilet laissant entrevoir un poitrail juvénile du bassiste et la tenue improbable du frontman pourraient nous faire penser à une bande de marioles débarqués à Berlin pour faire les gugusses. Loin de là l’intention de ces lascars : ils ressuscitent leurs compatriotes Joey, Johnny, Dee Dee (ou CJ) et Marky dans la cité où un musée leur est consacré. Nous n’avions pas fait le déplacement pour ces quidams, mais ils ont réussi à foutre une ambiance terrible dans le Foyer avant que des choses nettement plus sérieuses se passent.
UFOMAMMUT
En ce qui concerne les choses sérieuses, le moment est venu, pour le public, de trépigner devant les portes pour se manger une bonne tranche de Ufomammut. En raison de quelques problèmes techniques, l’organisation fait poireauter un moment les excités avant de leur autoriser l’accès à la grande salle au bout de laquelle se trouve (devinez quoi ?) la grande scène (bravo à ceux qui avaient deviné la chose, Julien L’Herpès est fier de vous). Les mines sont un peu dépitées dans le camp italien en raison d’un souci de beamer. Nous aurons finalement droit à un show des Transalpins sans la dimension visuelle qui fait partie intégrante de l’art qu’ils pratiquent avec maestria. En dépit de cette configuration inhabituelle pour ce groupe, nous passons un moment intense avec un trio gonflé à bloc qui nous assène les plans déments dont ils ont le secret. Côté visuel, les vidéos en moins, c’est rouge (tout comme d’hab’ en fait) et les compères couvrent bien le périmètre de la scène sans s’adonner au gimmicks glam que nous avons pu remarquer plus tôt dans la journée, mais en assurant un spectacle de belle facture. Leur charisme y est certes pour beaucoup. A l’image de l’énorme « Plouton », extrait du petit dernier « Ecate », le style déployé est ultra technique sans taper dans la démonstration d’une académie de musique et sacrément burné sans pour autant aller rejoindre les bourrins qui s’en iront investir le Foyer en fin de journée. Malgré le retard accumulé en début de slot, le trio termine en avance et quitte la scène avant de revenir pour notre plus grand bonheur avec une nouvelle ogive maison qui les amènera donc à exploser leur créneau horaire. Rien à foutre : le groupe est satisfait et le public encore plus. Une réussite de plus à mettre à l’actif de ces vétérans européens.
BRUTUS
On change de laiterie, de genre et d’ambiance avec les brutes norvégiennes. Les types sont bien en place et leur chanteur est un entertainer de première. Sur le plan musical on navigue dans des eaux pas très éloignées de Kadavar, mais question déconne on est pas très éloigné de la vague punk à roulette et ça marche à fond : le public adhère à la démarche (et nous avec) de ces Scandinaves dispersés sur plusieurs pays. Le placement du quintet sur l’affiche n’est pas carrément le fruit du hasard et c’est rapidement carton plein avec la saturation des lieux qui va avec. Les titres se succèdent en variant pas mal le tempo, du rock planant aux plans plus catchy et tous les registres sont couverts avec une putain de maîtrise. Ça déconne sévère entre les titres, ça fait des grimaces, ça mène des conciliabules au sujet des titres à envoyer, ça envoie d’énormes soli tandis que le clown de la bande sirote sa binouze accoudé à la sono et ça finit par demander au public s’il faut encore foutre du son pendant une, deux ou dix minutes. Bref c’est que du bonheur durant un set de 45 minutes en forme de montagnes russes passant du rapide « Personnal Riot » à l’apaisé « Golden Town » sans jamais nous lasser, même en achevant la démonstration par un enchaînement de soli batterie et guitare.
BRANT BJORK
Présent depuis la veille sur le site du Desertfest, Brant Bjork était très attendu, et sa position de headliner de la journée est incontestable au vu de la notoriété démontrée du grand frisé ces derniers mois. Low profile jusqu’au bout des ongles, il débarque nonchalamment sur scène, un Martini à la main, qu’il dépose au sol devant ses retours, avant de s’engager avec son Low Desert Punk Band dans une impro instrumentale qui donne le ton de son set, impro se fondant en “Lazy Bones” enchaîné évidemment à l’indéboulonnable “Automatic Fantastic”. Plus qu’un vulgaire backing band, Bjork a trouvé une sacrée paire de cordistes avec le duo Bubba DuPree / Dave Dinsmore, qui l’épaulent avec efficacité et talent. On exprimera quelque réserve sur le nouveau batteur, Ryan Güt ; il faut dire que passer après Tony Tornay n’est pas facile, et le jeune batteur n’a pas le groove de son prédécesseur, même s’il fait le job. Le grand desert-rocker déroule un set de bon niveau, même si on sent le gaillard un peu en pilotage automatique de temps en temps, surtout quand on l’a déjà vu sur sa tournée précédente (d’autant plus que la set list n’est pas vraiment révolutionnée…) : tandis que le quatuor était impeccable de bout en bout il y a quelques mois, il vendange ici quelques titres qui perdent un peu en efficacité (“Too many chiefs…”). Mais on serait bien bégueule de ne pas apprécier la prestation du combo ce soir, qui déploie quand même une set list de classiques, qu’il étaye de quelques glorieuses impros instrus, et d’un nouveau titre en milieu de set. Soutenu par un light show efficace, et une évidente envie partagée de bien faire, le groupe joue sur du velours, surfant sur un coefficient sympathie qu’il n’a pas volé, ne serait-ce qu’au titre d’une carrière de besogneux, qui trouve son aboutissement légitime dans ces dernières tournées à succès. Perchés sur leur nuage, les zicos, heureux, festoieront une bonne part de la nuit, mettant à rude épreuve les détecteurs de fumée de leur loge jusqu’au bout de la nuit…
CONAN
Après cette balade sur un sentier de coolitude extrême, le moment est arrivé de nous payer le rouleau-compresseur Conan en frontal afin qu’il nous déboule dessus et nous aplatisse de son doom magistral. Le trio britannique fait dans l’impatient et décide d’embrayer 10 minutes avant l’heure – tardive – annoncée. D’abords dubitatifs, car craignant que le trio désire en finir vite avec ce set, nous sommes vite rassurés par ces vieux briscards des salles sombres qui nous livrent un concert dans la plus pure tradition Conan. Nous avons donc du mal à distinguer les deux équipiers en avant de scène et apercevons le rookie torse nu derrière sa batterie. Les éclairages (peut-on parler de lumières ?) sont minimalistes, super sombres et dans les tons bleutés le plus souvent : c’est donc glacial, mais le public, bien entassé dans le Foyer autour de la petite scène, sera à fond durant la totalité du set. Les deux encapuchonnés à casquettes se relayent aux hurlements (difficile de distinguer qui s’égosille tant leurs vocalises se ressemblent) pendant un set sombre et épais du meilleur tonneau dont un des points d’orgue sera l’ogive « Foehammer ». C’est devant des spectateurs désireux de se reprendre une branlée que les anglais tireront leur révérence en levant bien haut la Flying V (et la basse faut pas déconner) et en nous souhaitant un excellent week-end (la politesse british ça ne s’invente pas).
Encore une excellente soirée à explorer notre style de prédilection sous – presque – toutes ses coutures à l’Astra de Berlin que nous quittons encore très en forme pour aller prendre des forces alors que ça se dandine encore sur la piste de tremoussage (et que ça titube dans les rues).
Notre petit live report vidéo :
[A SUIVRE…]
Chris & Laurent