Ce matin on n’est pas là pour la déconne : finies les grasses mat’ et les nuits de plus de cinq heures de sommeil ! Ce matin on sait qu’on va se faire poutrer les cages à miel à l’aube, et on arrive donc sur le site au plus tôt, sous une très fine pluie qui durera jusqu’au début de l’après-midi, avant un soleil radieux. Finalement on arrive presque trop tôt, on passe donc rendre visite à la Altar qui accueille les ensanglantés espagnols de Haemorrhage. Rigolos. Mais les choses sérieuses se mettent en branle du côté de la Valley, on presse donc le pas…
Quand on est programmateurs en festival, on a deux possibilités, confrontés à TRUCKFIGHTERS : se baser sur sa renommée factuelle (un groupe scandinave aux ventes de disque confidentielles qui n’a que rarement atteint nos frontières ces dernières années) et donc placer le groupe très bas sur l’affiche (et donc très tôt) ou bien se baser sur la réputation scénique du trio, imaginer un gros carton, et viser une place dans le haut de l’affiche. L’option 1 était l’erreur du jour, et il a suffi des premières mesures de “Desert Cruiser”, l’intro incontournable du groupe, et le premier saut de cabri de Dango pour le faire comprendre aux heureux présents pour ce moment d’exception. Tandis que la tente est composée pour un tiers de puristes aficionados, un tiers de curieux et un tiers de gars pas encore bien réveillés, les premiers riffs massifs de ce set ont tôt fait de faire ouvrir les yeux bien grands à plusieurs centaines de spectateurs qui goûtent chaque instant de ce déluge de fuzz et d’énergie. En enchaînant sur “Traffic”, le groupe affiche sa polyvalence, c’est cool et couillu sur un set de trente minutes. Même si ce titre recèle quelques subtilités de compos catchy mais atypiques, il passe comme une lettre à la poste devant un public qui n’en peut plus de voir nos deux loustics sauter et courir en tous sens tandis que le vaillant Poncho explose ses fûts méthodiquement. Même type de morceau avec “Monte Gargano”, un morceau bien branlé mais au refrain catchy en diable. Encore une fois, succès. En réalité, au vu de l’énergie déployée sous nos yeux, je pense que même si les gars se lançaient dans une reprise de Hughes Aufray ils déboîteraient tout quand même. Alors quand en plus les chansons sont bonnes, les planètes sont alignées et Ragnarök débarque sur scène. Le groupe termine sur “In search of (the)”, déluge fuzzé s’il en est, en sueur, devant un parterre de langues pendues et de sourires béats. Le set se clôture avec Ozo qui vient au premier rang pour faire passer sa basse dans le public pour un final bruitiste fun. Notons au passage que les trois loustics avaient perdu une part de leur équipement dans l’avion, et ont donc bidouillé à l’arrache avec leurs collègues musiciens de la Valley pour se faire prêter pédales d’effets, jacks, etc… On n’y a vu que du feu !
On est un peu rassasié de décibels, là, et il est à peine midi, on décide donc de rester sous la Valley, rendue électrique, pour être sûr de ne pas rater la suite des événements… Car à peine plus de trente minutes plus tard, c’est au tour de MY SLEEPING KARMA de prendre la scène. Ils étaient passés en 2011 au Hellfest et avaient joué en fin de matinée. Deux ans plus tard ils jouent… un peu après midi… Dans une ou deux décennies ils passeront en fin d’après-midi ! Là encore, le choix de programmation est étonnant quand on observe ce qui se passe sous la Valley. Comme à son habitude, le groupe allemand entame les hostilités assez modestement, aujourd’hui avec un “Ahimsa” bien senti, qui comporte toutes les composantes du groupe : un riff accrocheur, une basse ronde, des nappes de synthé “spacy”, une montée en puissance efficace… Pas de surprise non plus avec la suite “23 Enigma”, qui montre un revers plus “fluctuant” de la musique du groupe, avec des envolées puissantes qui ont tôt fait de conquérir un public qui n’attendait sans doute pas une telle énergie positive. Parce que oui, ce qui se passe en ce moment sous la Valley est stupéfiant : on sent une sorte d’osmose entre le public d’un côté (littéralement sous le charme de la musique et de l’attitude du groupe) et le groupe de l’autre côté, sur scène, qui sourit, salue copieusement le public, le remercie, le félicite… Il est rare de sentir de manière aussi tangible une telle émotion dans un concert, je ne pense pas exagérer. L’entente au sein du groupe est, elle aussi, impeccable, à l’image de ces échanges instrumentaux entre Seppi (guitare) et Matte (basse), animés par la frappe de Steffen. Lorsque pour conclure son set le quintette engage l’un des extraits les plus efficaces de son dernier album “Soma”, en l’occurrence l’épique et audacieux “Psilocybe”, l’apothéose est atteinte, une connexion étroite entre plusieurs milliers de personnes et un groupe de musique, sans aucune autre communication que les ondes transmises par les instruments (pour rappel, MSK est un groupe complètement instrumental). Très très fort.
Encore un peu dans les nuages, je décide d’aller me frotter à “la vraie vie” (et accessoirement à la lumière du jour) pour aller voir ce qu’est devenu MUSTASCH, ce combo de gros bourrins suédois dont j’avais pu apprécier les premières productions vinyliques il y a une grosse décennie. Je ne sais pas si je dois attribuer ce ressenti au violent contraste avec le concert précédent, mais j’avoue avoir eu du mal à capter la moindre émotion en voyant ces quatre musiciens posés là, sur une scène immense, plantés à dix mètres les uns des autres, et surtout à quinze mètres du public. Ralf Gyllenhammar doit le ressentir de manière criante, puisqu’il décide de descendre sur la plateforme, puis de traverser la fosse pour aller à la rencontre de son public (et boire une gorgée de bière au passage). Au delà de l’anecdote éloquente, la musique n’accroche pas trop non plus : les compos du groupe sont péchues (plus vraiment le gros stoner metal graisseux qu’on a pu connaître), mais un peu répétitives. Devant cette faillite émotionnelle globale, je décide de rejoindre la Valley au plus tôt pour retrouver cette ambiance de “cocon” musical…
Surtout que les très hype GRAVEYARD sont attendus au tournant. Auréolés d’un dernier album au succès remarquable mais relativement mou du genou, on attendait de voir ce que le groupe avait vraiment dans le bifteck. En commençant leur set par “An industry of murder” issu donc du fameux “Light Out”, on est plutôt satisfait : l’un des titres les plus efficaces du disque, ça laisse présager du meilleur. En enchaînant avec l’éponyme extrait de “Hisingen Blues”, puis par “Seven Seven”, le groupe démarre bien. Mais le virage est pris avec la très belle mais aussi très soporifique “Slow Motion Countdown”, qui n’emballe pas vraiment un public qui n’est pas venu pour ça. Le groupe, intègre, continue sa set list “de base” sans trop se préoccuper de son audience. Pour un public de festival (de festival à connotation metal, qui plus est), cette posture audacieuse (et un chouilla prétentieuse voire mégalo sur les bords) peut décontenancer. Et ce qui devait arriver arriva : bâillements, intérêt poli, hochements de têtes modérés dans le public… Quand en plus les quatre zicos sous nos yeux restent plantés comme des piquets de tomates sans esquisser le moindre sourire, sûrs d’eux, on se dit que les suédois l’ont sans doute jouée “gagné d’avance”. Peut-être sont-ils parvenus au résultat qu’ils visaient, mais moi je me suis un peu emmerdé.
Après un petit passage sur la main stage pour voir un bout de set bien efficace de Danko Jones, je re-gagne la Valley pour accueillir comme il se doit les vieilles gloires suédoises SPIRITUAL BEGGARS. Soyons honnêtes, j’étais un peu circonspect, voire dubitatif quant à leur présence sur cette affiche. En commençant son set par “Left Brain Ambassadors”, le groupe a su me caresser dans le sens du poil, même si côté interprétation, tous les feux n’étaient pas au vert. Puis s’enchaînent des titres de toutes les époques (disons la dernière décennie quand même, en majorité), dont par exemple un vigoureux “Wonderful world” ou encore un bon “Fools Gold”. L’élaboration de la set list est soignée : piochant dans toutes les séquences de sa carrière, le groupe espère donner à son dernier vocaliste Apollo Papathanasio l’occasion de briller, de montrer qu’il est aussi bon que ses prédécesseurs. Sauf que non, ce n’est pas le cas. Dans un registre metal haut perché, le bonhomme, en alignant une technique de chant sans doute impeccable, manque le coche : il ne comprend pas que l’interprétation de ces vieux morceaux lui fait presque du tort, tant ils sont connotés par les tessitures vocales bien particulières de ses prédécesseurs… Il faut dire que les précédents vocalistes de SB avaient chacun des organes bien particuliers, chaleureux, et ils ont largement marqué leurs compositions de leur trace. Ce nouveau chanteur presque aseptisé, sans relief, détonne trop pour susciter l’intérêt. Même un final particulièrement “old school” (“Euphoria”, mmmmh) ne me tire pas un sourire. Je suis déception.
Je profite du petit break ensuite pour aller écouter quelques titres un peu répétitifs de Newsted, puis pour aller siroter tranquille quelques gouttes de nectar interdit aux mineurs, et me requinquer un peu… Mais pas le temps de faire la sieste, car THE SWORD est attendu sous la Valley, que je regagne au pas de course. Le combo du père Cronise n’a plus à faire ses preuves sur scène : il a toujours copieusement défendu ses (bons) albums en Europe (et ailleurs). Scéniquement, The Sword c’est un peu la force tranquille. Ca débite du riff par pack de douze sans sourciller, mais bon, ça regarde quand même plutôt sa gratte que le public: la communication est réduite à son minimum. J.D. Cronise a beau avoir un peu une bille de clown avec sa coupe de cheveux improbable, sa moustache et ses pattes d’eph’, il se comporte en pur frontman : il envoie les leads de gratte avec générosité et ses vocaux sont impeccables. Musicalement, le doom du groupe, plutôt tendance heavy, a tout ce qui faut pour contenter le public, qui répond en conséquence. En bon connaisseur, le quatuor a pondu une set list variée (pas forcément ancrée uniquement sur la promo de son dernier disque), à commencer par l’efficace “Arrows in the dark”, issu de “Warp Riders”.Chaque titre est impeccablement servi, et les amateurs de The Sword sur disque y retrouvent leur compte. Faut dire que les compos se suffisent presque à elles mêmes. On notera particulièrement un dernier tiers de concert remarquable, avec le très instrumental et très épique “To Take The Black”, l’efficace “Tres Brujas” et bien sûr l’incontournable “Freya” et son riff bourre-crâne impeccablement porté par les assauts de batterie de Jimmy Vela, arrivé depuis deux ans au poste de batteur. Le groupe y glisse un bout du “Cheap sunglasses” de ZZ Top, en hommage à ces légendes natives elles aussi du Texas, avant de cloturer leur set sur le titre éponyme de leur dernier album, “Apocryphon”, et son intro “Bontempi” du plus profond ridicule, vite contrebalancé par le reste du morceau, excellent. Bref, pas grand-chose à redire, The Sword est au niveau attendu, et le public, qui slamme beaucoup, en redemande. Par contre, tout ça manque un peu de surprise, de variété aussi, et d’un comportement scénique un peu plus “fougueux”, sachant que la musique du groupe y est propice. Un bon concert, mais pas plus.
On décide de ne pas quitter la Valley après le set, car le concert à venir s’annonce important et suscite un intérêt presque électrique, rapidement confirmé par les hordes de curieux qui, malgré un soleil éclatant, viennent se caler au plus près de la scène sous la tente. Petit rappel : 48h plus tôt, Clutch a annoncé l’annulation de tout le reste de sa tournée européenne du fait d’un événement intervenu dans leur famille proche, les obligeant à rentrer chez eux en urgence. L’orga du Hellfest a trouvé une parade assez excitante sur le papier : DOWN, en day off ce jour-là, était OK pour rester un jour de plus à Clisson, pour proposer un set “spécial”. Du coup, les rumeurs ont couru – la plus stupide (et la plus persistante malheureusement) étant que l’on aurait droit à un set de reprises de Pantera. Bref, le moment venu, le groupe monte sur scène en vrac, “à la Down” : on voit des mecs partout, avec ou sans instruments, ça sourit, c’est relax… D’ailleurs, le set commence cinq minutes plus tôt. On va pas se plaindre, hein ! Ca commence par deux titres de Down assez peu joués il est vrai, “Rehab” suivi de “Swan Song”. Bien. On est contents mais bon, on a vu Down hier, quoi… Les choses prennent un peu plus de piquant quand le groupe s’embarque sur deux reprises de Eyehategod, deux de leurs classiques, en l’occurrence “Sisterfucker (Part I)” et son riff simplissimement efficace, et “Blank”. Ca devient limite incestueux quand, après avoir ainsi mis en avant “l’autre groupe” du père Bower, on passe à une paire de titres de celui de son pote Kirk Windstein : Crowbar. Mais bon, ce ne sont toujours pas des raretés, puisque le collectif (on a du mal à appeler cette entité polymorphe un “groupe”) a choisi de reprendre “High Rate Extinction” et “Conquering”, deux classiques du groupe. Toujours dans la même veine, c’est maintenant le groupe de cœur de Pepper Keenan, Corrosion Of Conformity, qui récolte deux cartouches dans la set list : deux titres issus du sublime “Deliverance” (vieux de presque vingt ans, soit dit en passant) : “Clean My Wounds” et “Albatross”, portés par un Pepper Keenan (vocaux + guitare) de haut niveau. A noter que Jason Newsted, qui traîne sur le bord de la scène comme 125 autres personnes (inédit en 3 jours : l’orga a mis en place une barrière sur le bord de la scène, tant les VIP se pressaient au bord !) monte sur scène sur “Clean…” pour quelques secondes bordéliques et inutiles (le temps de prendre une basse, de jouer quelques notes inaudibles en tête à tête avec la batterie, et de reposer la basse). Quel foutoir ! Je ne l’ai même pas mentionné, mais sur plusieurs titres un barbu que je ne connais pas a joué de la gratte un bon moment (il a été cité par Anselmo, mais je n’ai pas capté son nom), l’épouse du susmentionné Anselmo quelques vocaux sur les deux reprises de Eyheategod pendant que lui-même était appliqué à la gratte, et puis Keenan et Anselmo sont sortis de scène pendant les titres de Crowbar… bref, le bordel improvisé de bout en bout ! La dernière reprise, plutôt atmosphérique, m’était inconnue, mais le groupe y inclut un chaotique bout de refrain du “Walk” de Pantera. Soulagement de certains… Et puis le groupe quitte la scène, en faisant scander “Clutch – Clutch – Clutch” par le public. Bon, ils finissent vingt minutes avant l’heure de fin prévue, mais pour un concert improvisé, même si on n’a pas eu quelque chose d’une efficacité remarquable, on a à coup sûr assisté à un concert dont on pourra dire dans quelques années encore “j’y étais”.
Les groupes qui terminaient la soirée du dimanche étant moins palpitants pour les lecteurs de Desert-Rock, nous avons terminé tranquilles. Et à l’heure de faire les bilans, même si sur le papier l’affiche “stoner” semblait plus faible, et si les annulations de dernière minute s’étaient multipliées ces derniers jours, le festival fut excellent, plein d’événements hauts en couleur, de découvertes, de confirmations, et un sacré paquet d’excellents concerts. Je pense qu’on reviendra !
Photos : Laurent