Clairement ce jour 3 était dans notre radar depuis des mois. L’affiche hallucinante justifiait (sur le papier en tout cas) à elle seule la venue en terres clissonaises. Le public, dense sur toute la journée (ce qui ne fut jamais le cas en continu sur chacun des autres jours), a manifestement fait le même diagnostic que nous. Le soleil cogne déjà très dur dès les premières minutes de la journée, participant à sa manière à peaufiner l’ambiance désertique propice à l’accueil des groupes du jour… On va s’hydrater et déguster…
DECASIA
Ayant vu ces prometteurs frenchies en club quelques fois, nous avons pu en apprécier la haute qualité. Notre seule inquiétude à l’heure oú le trio s’apprête à fouler les planches est de savoir si les compères arriveront à remplir un si grand espace de leurs exquises sonorités psychédéliques et sauvages. Ayant remporté leur place sur l’affiche dans le cadre d’un tremplin musical, le trio français vient ce matin gagner ses lettres de noblesse tout en ressuscitant la Valley que l’on attendait depuis deux longues journées. Pros et heureux à en exploser, le groupe annihile les chagrins des aficionados de la Valley désireux de retrouver un peu plus de cohérence stylistique dans la programmation.
SPIRIT ADRIFT
Old school as well, Spirit Adrift porte son heavy metal vintage jusque dans la façon des gratteux de poser leurs accords, d’un geste finissant médiator brandi vers le ciel. Le public lui aussi brandit le poing et les cornes sous cette avalanche de riffs féroces et précis enfoncés à coups de cymbale crash. Se félicitant d’ouvrir la voie aux guitaristes de prestige qui se succèderont ici ce jour, et auxquels il rend un hommage sincère, le groupe monté et emmené par Nathan Garett se paie même le luxe de passer au banc d’essai du live son titre sorti le jour même. Déviant ostensiblement depuis quelques mois/années de leur doom metal des débuts, le groupe développe désormais des ambiances plus proches du heavy metal. La chorégraphie datée, les pieds sur les retours, a fait mouche quand bien même le registre musical était plus en lien avec ce qui allait se déployer dans la journée sur les main stages.
KING BUFFALO
Avec son sens du phrasé, King Buffalo ne laisse pas le loisir au public de se lasser de leur musique lumineuse comme une queue de comète. Le public se désintègre à la chaleur de cette incandescence et de celle de l’astre solaire qui atteint à cette heure son zénith. Le moment choisi pour programmer les etasuniens n’est peut être pas des plus propices pour admirer ce phénomène astral mais c’est un détail vite surmonté car la prestation est hors norme et confirme que la journée le sera également. Sean McVay – qui plus est aujourd’hui blessé à la cheville – ne brille pas par son explosivité en terme de prestation scénographique, mais tel un Isaiah Mitchell un peu plus tard ou encore un Stefan Koglek de Colour Haze, le grand ténébreux distille un jeu de guitare aussi classieux qu’inspiré, hypnotisant un public nombreux, qui s’attendait vraisemblablement à une prestation de haute volée. Un regain de vitalité souffle sur le public de la Valley qui comme aux beaux jours ondule, collé, serré, libéré, délivré (ne nous remerciez pas, c’est cadeau !).
CROWBAR
Voilà bien longtemps que la fleur de lys n’avait pas pavoisé en terre de chouannerie. Elle revient aujourd’hui sur l’étendard de Crowbar. Un Crowbar très en forme à en croire les hurlements de tonton Kirk, déroulant un set éprouvé depuis le début de la tournée et que nous avions pu goûter sans modération à Berlin. Une fois de plus, nous ne nous retiendrons pas de tout croquer à belles dents, qu’il s’agisse des classiques et classieux « All I Had (I Gave) », « Planets Collide », etc… ou même des récents et pertinents ajouts, à l’image du brutal et efficace “Chemical Godz”. Le groupe de la Nouvelle-Orléans déroule ses titres bulldozers à la mécanique scénique froide et super huilée. Un supplément d’âme et de spontanéité n’aurait pas été de refus, mais qui sommes-nous pour exiger quoi que ce soit des maîtres du bayou ? Le bulldozer fait son effet et, évidemment, déclenche les prémices du déluge, quelques gouttes de pluie tombant à la minute exacte où Windstein termine le dernier accord de « Broken Glass » en conclusion ! Qu’est-ce qu’il vous faut de plus qu’un signe du ciel ?
GRANDMA’S ASHES
Invité de dernière minute, le trio hexagonal se retrouve propulsé sur un créneau très visible en raison de l’annulation de la venue des ukrainiens de Stoned Jesus, retenus au pays en application de récentes évolutions des contraintes administratives, imposées par leur pays belligérant. Coincé entre deux pointures de la scène stoner, dans un style musical un peu décalé (une sorte d’indie rock chaloupé aux accents psych-grungy) Grandma’s Ashes relève ce challenge avec brio, devant un public curieux ne connaissant majoritairement pas leur répertoire. Pari tenu, pari gagné.
THE OBSESSED
Il y a des fessées qui se perdent ! Des tartes aux doigts qui se manquent ! The Obsessed prend sa place avec un public honteusement clairsemé. On aurait bien vu tout ça plus compact. D’autant plus que backstage, le beau monde se presse pour baver devant les cultes doomsters, et notamment les trois quart de Clutch qui n’en perdent pas une miette (notons que Jean-Paul Gaster assiste même au concert dans la fosse, planté dans les premiers rangs du public, incognito !). Qu’importe, la bande à Wino fait le rock et c’est classieux. La belle setlist de standards mériterait un encadré au-dessus du lit, un modèle du genre que délivre sans ciller ce grand quartette de professionnels : tous les classiques y sont (« Freedom », « Brother Blue Steel », « Blind Lightning »… n’en jetez plus !), bien accompagnés de déjà incontournables titres de leur dernière production (les redoutables « Punk Crusher », « Sacred »…). On espère une bamboche plus échevelée côté public malgré tout, sans quoi la soirée va tourner à la représentation de commerce plus qu’à la grand-messe stoner. The Obsessed malgré cela se montre impérial, faisant don aux premiers rangs de quelques t-shirts à leur gloire à la fin de leur set ! La classe.
EARTHLESS
Un set hors norme attend le public qui ne le sait pas. Depuis la sortie de son excellent dernier album Night Parade Of One Hundred Demons, on est habitué à ce que le trio propose en live au moins l’un ou les deux morceaux-titres issus de ce dernier (part 1 & 2). C’est le cas aujourd’hui, et c’est un sacré signe de courage et de confiance dans la qualité de son dernier ouvrage : pour une première venue au Hellfest, et dans un format contraint et court, la tendance pour un groupe consiste généralement à caler un max de compos, et de proposer une sorte de best of. En proposant direct deux titres de 20 minutes et quelques chacun, Earthless pose ses attributs sur le billot et attend la sentence… et elle est immédiate : l’adhésion du public est directe, dès lors qu’Isaiah Mitchell lâche sa première décharge de leads fuzzés, à grands renforts de wah-wah de l’espace. Que l’on puisse bouder le groupe en studio cela s’entend (à peine), qu’on ne fasse pas corps avec lui en live c’est totalement impossible. Après avoir interprété la reprise “Stoned Out of your Mind” (de Speed, Glue & Shinki, une cover assez récurrente dans leurs set lists – on l’avait déjà entendue plusieurs fois), et vu qu’ils n’ont pas tergiversé et qu’il leur reste quatre à cinq minutes avant la fin de leur créneau, le groupe lui adjoint une salve complémentaire avec “Cherry Red” (une autre reprise, des Groundhogs). C’est toujours bon à prendre (sachant que plusieurs groupes au cours du week-end ont gâché de précieuses minutes restantes sur leur créneau), même si le trio n’a pas besoin de ça pour mettre tout le monde d’accord, des crash barrières jusqu’ à l’orée de la Warzone. La virtuosité de ce tiercé gagnant a fait mouche, les Hippies ont laissé tout le monde baba.
MONSTER MAGNET
Qu’écrire au sujet de Monster Magnet qui n’ait jamais été écrit ? Routinière du Hellfest, la bande à Dave Wyndorf se retrouve en avant-dernière position sur une affiche oú elle aurait pu tout aussi bien comme de par le passé s’inscrire en headliner. Comme à son habitude le combo historique déroule un set d’un grand professionnalisme, en particulier dans l’interprétation : s’appuyant sur un light show efficace mais sobre (notons ici la qualité du support « lights » apporté aux groupes sur tout le week-end, y compris dès la matinée !), les musiciens sont évidemment impeccables (dont le nouveau bassiste Alec Morton, qui a notamment traîné ses pattes d’eph’ chez les extraordinaires Raging Slab, et qui est ce soir sobre scéniquement mais efficace soniquement), solides dans l’interprétation et dans le jeu de scène, Wyndorf en tête, en leader évident et assumé de la formation. Côté set list, on a cru à une grosse surprise avec une entame déstabilisante (la reprise « Born to Go » de Hawkwind, et le vieux et rare « Superjudge »), mais c’est finalement l’efficacité absolue qui a été visée, avec une set list qui va majoritairement piocher dans les pépites de Powertrip (dont le plutôt rare « Bummer ») et de Dopes to Infinity. Le set d’une heure se passe à une vitesse folle. Le public, qui s’agglomère petit à petit au fil du set (en commençant pendant le set des très attendus Iron Maiden, on perd l’opportunité de capter un certain nombre de curieux !), constitue d’abord une fosse relativement calme bien que réceptive et branlante du chef, avant de se lâcher un peu plus en fin de set, voire se laisser aller à quelques gentils slams. L’explosion de « Spacelord » sonne le glas du concert, malgré l’ambition du groupe de porter quelques titres supplémentaires. Le public, ignorant de ce dernier fait, repart le sourire aux lèvres et le pied léger.
CLUTCH
Depuis le temps que les américains jouent dans le coin (Main stage, Valley, Main Stage, Valley,…), rien d’étonnant à ce que la foule se masse compacte au pied de la scène (clairement l’assistance la plus dense rencontrée sur tout le week-end) pour savourer l’arrivée du groupe sur l’habituelle bande son de leur reprise du « Money » de Chuck Brown. Bonne surprise : c’est le bassiste de Fu Manchu, Brad Davis, qui remplace Dan Maines (ce dernier étant retenu chez lui pour des questions « personnelles »). Il faudra trois titres puis l’arrivée de “Earth Rocker” pour que le public cède totalement aux appels de Neil Fallon, qui depuis la scène multiplie, comme à son habitude, les postures et gestes d’illustration de son chant toujours aussi bien porté – notons sa prestation vocale en tous points impeccable tout du long du set. A ses côtés, Tim Sult et Davis sont postés en fond de scène, inamovibles, occupés à distiller les riffs pour l’un, le groove emblématique du quatuor pour l’autre (Davis parvient sans peine à mimer l’attitude scénique du titulaire du poste). Dans le même temps, derrière, Jean-Paul Gaster défonce son kit comme à son habitude, dans une grâce et une subtilité sans équivalence dans le circuit musical contemporain – le bonhomme est hypnotisant. Les headliners s’emparent de l’âme de la foule qui ne demande pas mieux que de se sacrifier sur l’autel du stoner au son de “Pure Rock Fury” et autres classiques des set lists du groupe. Jamais exactement là où on les attend (sauf concernent le niveau qualitatif), le quatuor dégaine deux petites raretés extraites de leur premier album, des titres qui ont presque trente ans et s’intègrent à la perfection dans le set (même si peu connus du public). En conclusion d’une journée d’anthologie, le public reprend en chœur “Electric Worry”, qui sera enchaîné au moins percutant « The Face » pour conclure cette soirée.
Il est temps désormais pour nous aussi de dire “vamonos, vamonos!” et d’abandonner la Valley pour une poignée d’heures. La journée fut intense, chaude par bien des aspects (dont la météo) et dense par la qualité et la quantité de groupes remarquables. On guettait ce troisième jour très prometteur, il aura atteint, voire dépassé nos attentes. Une journée dont on se souviendra… Pourtant il reste encore un quatrième jour, avec une poignée de noms très attendus aussi.
[A SUIVRE…]
Reportage (textes, photos, vidéos) : Chris, Laurent, Sidney Résurrection.