HELLFEST – Jour 4 Valley (Dozer, Melvins, Wolvennest,…) – 18/06/2023 – France (Clisson)

Complètement rincés par notre éprouvante journée de la veille et son affiche insensée, cette quatrième et dernière journée du Hellfest s’annonce plus raisonnable, mêlant certains des sets les plus attendus du week-end avec des artistes méconnus, voire incongrus… L’esprit et les oreilles grandes ouvertes, on est donc parés dès l’aube à déguster ce programme alléchant.

 

DOODSESKADER

Retrouver un groupe de la très hypée Church of Ra (AmenRa en leader d’un troupeau de groupes plus ou moins obscurs) à l’ouverture d’une journée sur la Valley nous semblait étrange, mais au bout de quelques minutes, l’aspect « décalé » de ce duo basse-batterie est plus cair. Emmené par Tim De Gieter, le bassiste d’AmenRa qui a foulé la même scène il y a trois jours, Doodseskader propose une sorte de post-metal sludgy bien barré, alternant séquences nerveuses et passages plus ambiants. Se partageant le chant, les deux drilles évoluent entre cris furieux et passages quasiment rappés. Créant un bon lien avec le public (bien aidé par ses communications en français), le duo déroule un set atypique mais pas inintéressant, devant un public somme toute assez clairsemé, mais pas ridicule (la fatigue des trois jours a laissé des traces, et les prévisions météo alarmistes ont incité pas mal de monde à rester au lit un peu plus longtemps…).


WOLVENNEST

Disons-le tout de go : voir un groupe dark et lourd comme Wolvennest à midi en plein air ne correspond pas au set-up idéal pour leur permettre de développer leur identité musicale – et ce n’est pas les quelques discrètes volutes d’encens perceptibles qui vont y changer grand-chose. On se concentre donc sur la musique, et là-dessus pas de surprise : le combo franco-belge développe une sorte de gros doom / post-metal, mêlé à des ambiances occultes bien senties. Emmené par rien moins que trois guitares (et une basse), les assauts riffiques du sextette font mouche, bien aidés (à nouveau) par un son impeccable, clair et puissant. Tandis que leur vocaliste Shazzula pourrait récupérer toute la lumière si elle le souhaitait, elle ne se met pas en avant plus que ses collègues, et apporte aussi des sonorités intéressantes via ses différents instruments, dont un thérémine amplement utilisé. Le public, qui n’est pas encore trop dense malheureusement (pour les mêmes raisons que le groupe précédent) est bien dedans, faisant écho à la prestation appliquée et solide du combo. L’ambiance se densifie au fil du set, sous l’influence d’un ciel qui s’assombrit, pour laisse tomber les premières gouttes de pluie quelques minutes avant la fin du concert. Une marée de vêtements de pluie bariolés fait son apparition dans le public pour une fin de concert un peu étrange…

S’ensuit un véritable déluge qui vient rincer et imbiber le site pendant une grosse heure, durant laquelle chaque emplacement su site un peu à l’abri est exploité par le public.


EMPIRE STATE BASTARD

La formation d’ex-membres de Biffy Clyro qui met en avant sur sa carte de visite l’illustre Dave Lombardo n’aura pas trouvé de meilleure adresse pour s’exhiber que celle de la Valley. Un choix qui va encore sans doute faire jacter, mais qui a le mérite d’attirer sur cette scène de fond de cour un public bigarré, constitué de curieux motivés (sous la pluie, ça demande une certaine abnégation), qui ne savent pas trop à quelle sauce ils vont être mangés (le premier album du groupe sortira sur la seconde moitié de l’année). La musique que délivre ce quatuor peu orthodoxe surprend les amateurs du rock alternatif policé de Biffy Clyro, même si le vocaliste Simon Neil a toujours vendu son side project comme violent et nihiliste : il serait vain de tenter de la décrire autrement que par melting pot agressif, Core Machin ou tout autre qualificatif fourre-tout qui explose les tympans. Tandis que Neil saute et se contorsionne dans tous les sens, vomissant ses tripes à chaque couplet (le tout sous la pluie, en short et mocassins à glands, la grande classe), une large part du public est venu pour voir Lombardo (caché derrière son monticule de futs et cymbales…), et sera satisfait des quelques notes de « Raining Blood » au milieu d’une avalanche d’autres riffs qui s’échinent à tenter de détruire le lieu alors que toutes les cataractes du ciel s’ouvrent sur nous. A coup sûr nous sommes biens dans le festival des musiques extrêmes.


LEGION OF DOOM

Bonne nouvelle : le ciel semble un peu s’éclaircir et la pluie se résorber tandis que les légendes du doom montent sur scène. Legion of Doom, LegionS of Doom… le patronyme du groupe est à l’image de sa genèse : gentiment boiteux et manquant de robustesse. Né sur les bases d’un tribute band à Erik Wagner (légendaire vocaliste de Trouble, anti-vax décédé du COVID…), le « super groupe » a été initié par Ron Holzner, discret mais emblématique bassiste de Trouble, qui a perpétué une part plus modeste de la carrière de Wagner à ses côtés avec The Skull. Il embarque son confrère Lothar Keller (guitare) et Henry Vasquez (un des plus solides batteurs de ce genre musical, qui, outre The Skull, a aussi officié au saint de Saint Vitus) dans l’aventure, et le projet évolue vers un hommage aux vétérans du doom metal culte, en élargissant le scope vers Saint Vitus, incarné par le sémillant (!) vocaliste Scott Reagers. Le compétent mais méconnu guitariste Scott Little vient compléter la formation, jusqu’à ce qu’à un moment, sans trop savoir pourquoi ou comment, Karl Agell (vocaliste oublié du « Blind » de Corrosion of Conformity, un album dont le titre le plus connu, « Vote with a Bullet », est interprété par un autre chanteur…) se retrouve incorporé dans le projet, de manière aussi irrationnelle que saugrenue. Le décalage est immédiatement tangible, alors que le groupe foule les planches sur un doublé de C.O.C. : même si « Dance with the Dead » reste un bon titre, son interprétation par des esthètes du doom est sans saveur. Deux titres plus tard, Agell passe le témoin à Reagers pour une séquence qui élève un peu la barre, avec le très bon « Trapped inside my Mind » de The Skull, et surtout le gros « War is our Destiny » de Saint Vitus. Les frissons. Les titres défilent ainsi, partagés entre chaque chanteur, dans une démarche décousue (deux titres chacun, en gros, et ça change…), culminant avec un très bon « Psychotic reaction » de Trouble pour clore les débats avec classe. On retiendra le vrai plaisir de retrouver ces vétérans à l’œuvre, qui en ont toujours sous la pédale manifestement. En revanche, avec tout le respect que l’on doit au vocaliste, l’ajout de Agell n’apporte non seulement rien à l’équation, mais fait perdre en cohésion à l’ensemble (et nous prive de quelques autres classiques de Saint Vitus par exemple). Un bon moment, qui aurait pu être meilleur sans cette idée étrange…


DOZER

Seule formation réellement estampillée stoner durant cette journée dont l’affiche est aussi variée que la météo du jour, les vétérans de la scène vont bouter le feu pour la seconde fois aux terres de Loire-Atlantique. Le quatuor lance les hostilités sur l’incroyable « Big Sky Theory », une perle commise jadis sur Through The Eyes Of Heathens (qui est de loin leur meilleure plaque à ce jour) alors que les suédois écumaient encore les salles européennes avec une précision de métronome. Un peu tendus et réservés en début de set, les quatre de Borlänge se lâchent rapidement, à l’image de Fredrik, qui semble s’énerver sur une corde cassée en début de set, mais qui pourtant assurera une prestation quatre étoiles sur le reste du concert, impeccable vocalement notamment. Le quatuor déploie live une poignée de compos tirées de leur dernière livraison en date, Drifting In The Endless Void, et l’exercice s’avère très convaincant, avec « Ex-Human, Now Beast » ou « Dust For Blood », par exemple, qui ont trouvé une place cohérente aux côtés de bombes intemporelles comme « Rising ». Le final sur « Mutation/Transformation » s’avérera du plus bel effet et c’est un public heureux que les Nordiques ont abandonné sur la plaine moite de la Valley. Ce public ne demandera, à l’unisson, que de recroiser très vite les Suédois, qui semblent décidés à se refoutre – enfin – sérieusement aux affaires, maintenant qu’ils ont du nouveau matos en rayon et que, même après une quinzaine de piges d’apparitions live homéopathiques, ils conservent une cohérence scénique fonctionnelle. Les lascars, croisés plus tard alors qu’ils se ravitaillaient, paraissaient aussi heureux que nous de leur concert diurne, qui leur a offert l’opportunité d’aller admirer sur scène des formations ayant influencé Dozer naguère, en bons mélomanes qu’ils demeurent.


MUTOID MAN

Le trio  de Brooklyn – un tiers Cave In (cordes et chant), un tiers Converge (Batterie) – vient foutre un beau bordel à l’heure où la pluie manque de revenir. Le tour de chant mi mélodieux mi braillard s’assied sur une avalanche de blast assez éloignée de notre ligne éditoriale, même si par moments on semble déceler un poil de Mastodon, vite rattrapé par des sonorités plus rock’n’roll voir faisant penser à Metallica. En conséquence de quoi notre sens du devoir mis à mal nous a mené sous d’autres cieux pour un peu de repos avant que ne reprennent les hostilités.

 


DANCE WITH THE DEAD

 

 

Devons nous parler d’avanie alors que nous revenons vers la Valley pour cet avant dernier concert ? Nous arrivons un peu en trainant les pieds, harassés que nous sommes par tant de bons moments pris en quatre jours, et c’est là le choc le plus complet. La scène stoner du Hellfest a été transformée en technival ! Si on ne trouve sur place ni chevreuil, ni chien à punk, nos oreilles sont soumises à rude épreuve par le show synthwave qui se déroule sur scène. Un trio à clavier, mi guitare mi boum boum fait danser le public qui sans honte se laisse aller et piétine, saute, crie « allleeez ». Aussi vite arrivés, aussi vite repartis. Nous vous informons qu’une cellule psychologique a été mise en place pour l’équipe de Desert-Rock, et que vous pourrez bientôt manifester votre soutien à leurs familles grâce à une cagnotte en ligne.

 

 


THE MELVINS

Vue la tonalité de la journée nous ne savons pas trop à quoi nous attendre avec The Melvins. La troupe de trublions a pour habitude de cueillir son public là où on ne les attend pas, pour le meilleur comme pour le moins meilleur. Et en plein dans cette expectation, nous constatons que la formation ne comporte que trois zicos sur cette tournée avec le Roi Buzzo en tête de gondole dans sa tenue de couronnement. La belle soirée que voilà : en une heure le combo efface toutes les déconvenues de la journée, que ce soit avec « Zodiac » qui casse des nuques et fait se dresser des poings rythmiques et rageurs, ou avec une surprenante reprise de « I Want To Hold Your Hand » des cafards de Liverpool. Plutôt que de nous garder sur une route bien tracée, The Melvins nous offre un crochet par le savoureux « Hammering » où le bassiste multiplie les poses dans son costume rouge vif au guidon de sa Firebird. Les Houdini du rock font léviter les corps au-dessus du public, et le tour « Honey Bucket » marche à merveille avec pour assistante l’asso de sécurité des Challengers qui met en lieu sûr chaque slammer. La vague enfle et « Revolve » allume un brasier dans le pit – décidément aucun album majeur du groupe ne nous sera épargné, le pied le plus total. Encore quelques mesures et il est temps pour The Melvins de nous faire des adieux suants et chaleureux. Nous quittons alors l’enfer du festival sur un petit nuage, le cœur léger et le sentiment du devoir bien accompli.


 

Conclusion

Pour bilan de cette édition, revenons un instant sur cette nouvelle Valley. Le sentiment parmi les festivaliers est encore mitigé à l’heure où nous écrivons ces lignes. La perte de la tente aura fait souffrir du soleil et de la pluie les moins téméraires. Côté programmation, concernant les headliners les « grosses locomotives » ont fait le plein (Clutch, Melvins, Monster Magnet, Amenra…) même lorsqu’elles étaient plus « bariolées » (Triggerfinger,…), avec une mention spéciale pour la journée du samedi, où le public a rempli la fosse du début à la toute fin de journée. Globalement, le public a répondu présent et aucun groupe n’a fait de « bide » (même si les assistances étaient plus clairsemées pour les premiers groupes dans la journée, naturellement, ou encore quelques groupes plus « décalés » comme Greg Puciato, Empire State Bastard, Botch dans une moindre mesure…). La capacité d’accueil remaniée, dans ce nouvel espace plus « évasé », a permis à plus de monde d’assister aux concerts (finis les concerts regardés sur les écrans hors de la tente blindée), et même dans la plupart des cas de se rapprocher bien plus facilement des premiers rangs. Pour encadrer les spectateurs, l’équipe de sécurité, dont les Challengers, a cette année encore été impeccable de sérieux et de professionnalisme, mais aussi de bonne humeur et de bienveillance – qu’ils en soient félicités et remerciés !

Du point de vue pratique, l’isolement de la scène est plutôt apprécié, donnant des allures de havre de repos au lieu, qui s’est par ailleurs vu doté d’espaces nourriture et de commodités (dont l’ancien emplacement était souvent critiqué pour le délicat fumet qui en émanait parfois). Le son quant à lui, et c’est là l’essentiel, a gagné en précision et en amplitude.

En résumé la Valley, qui évoluera encore l’an prochain, finira par être adoptée à n’en pas douter par la majeure partie de ses habitués, pour peu que la programmation ait encore l’opportunité d’offrir de belles journées sous le signe du stoner, du sludge et du doom. A défaut, le festival y gagnera une scène medley isolée à juste titre et propice aux expérimentations plus ou moins risquées.

 

Reportage (textes, photos, vidéos) : Chris, Laurent, Sidney Résurrection.

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