Après une première journée de festival qui nous a mis en joie, vos serviteurs ont profité des agréables températures automnales norvégiennes (zéro degrés matin et soir) pour arpenter la ville, son agréable zone littorale, ses manifs sur le conflit Israélo-Palestinien, ses disquaires… C’est tout requinqués que nous regagnons en début d’après-midi la zone du festival et l’église Jakob, où, sur le papier, une nouvelle série de super concerts nous attend aujourd’hui encore…
LEONOV
Histoire de se chauffer un peu les tympans et le corps, nous entamons l’après-midi dans la grande salle du Dome (pour rappel : une nouveauté du festival pour cette année) pour découvrir Leonov. Le quintette (complété aujourd’hui d’une 6ème musicienne, à la sitare, clavier, chœurs…) n’est pas venu de loin pour nous faire goûter son post metal : basé à Oslo, les musiciens ne profitent pourtant pas de cette proximité pour développer la communication avec le public, quasi-inexistante. Le groupe, au comportement scénique pour le moins austère, se concentre surtout sur ses instruments et ses innombrables pédales d’effets, pour développer un post metal (très) atmosphérique, où les ambiances prennent bien plus de place que les riffs. Les éclairages et projections sur les immenses murs en fond de scène finissent d’habiller un paysage musical froid et sombre, qui s’inscrit bien dans son environnement géographique et remplit parfaitement son office de mise en bouche pour le reste de la journée.
ALASTOR
Les esthètes ont bien anticipé que ce concert d’Alastor pourrait bien constituer l’une des pépites cachées de ce festival. Le quatuor suédois a sorti deux superbes et classieux albums, et leurs prestations live sont pour le moins rares (2 ou 3 concerts par an, les bonnes années) ; les conditions de quelque chose relevant de l’événement sont donc réunies. Pour confirmer ce point, le groupe a mis les petits plats dans les grands, en décorant sa scène de chandeliers gracieux, donnant une toute autre dimension à l’atmosphère cosy de l’autel de l’église, qui bénéficie sur ce concert de l’un des plus beaux éclairages du week-end. La faible activité scénique du groupe nous laissait craindre un manque de maîtrise et d’aisance scénique, or c’est tout le contraire que nous constatons : le groupe est confortable et en plein contrôle de sa prestation, et le son est grandiose dans ce contexte (même si perfectible sur le mix des voix, pourtant l’un des atouts les plus intéressants de la musique du groupe). Même s’il fait généreusement honneur à son dernier disque, le splendide Onwards and Downwards (superbe intro sur “The Killer in my Skull” et parfaite pointe de vitesse sur l’entêtant “Death Cult”), il n’oublie pas pour autant son disque précédent (avec son morceau titre le très doomy “Slave to the Grave”) et autres sorties plus rares. On imaginait un possible grand concert, et c’est exactement ce que l’on a eu : une prestation efficace et solide, une interprétation impeccable de ces superbes compos, par des musiciens sérieux et heureux d’être là. Un superbe set, en forme de découverte pour beaucoup, et de confirmation pour les autres.
1234!
Tels des adeptes de la franchise Splinter Cell de Tom Clancy, c’est devant la scène épurée du Verkstedet (le petit bar/club de l’autre côté de la rue) que Desert-Rock s’est faufilé à nouveau pour être dans les starting blocks quand le duo entamerait son set décoiffant. Les Norvégiens font dans le super efficace et dans l’intense en se concentrant sur l’essentiel : la rythmique. Une basse, une batterie et des chants par les deux lascars suffisent pour animer l’assistance qui danse de la nuque en rythme en rangs très serrés. Si techniquement l’exercice peut s’avérer compliqué lorsque la totalité du groupe chante à l’unisson, l’énergie est présente et communicative : ça plait et ça nous plait ! Les nostalgiques de « Cocaine Rodeo » ou d’autres gâteries vociférées jadis par Nick avec les reines de l’âge de la pierre en ont eu pour leur pognon (en monnaie locale vu que ces Européens-là ne sont pas eurocompatibles). On applaudit de toutes nos mains le bon goût des programmateurs qui ont convoqué ces deux types pour nous rappeler que les basiques font du sens scéniquement parlant.
TUSKAR
Sur le papier, ce duo anglais méconnu de vos serviteurs a pas mal d’arguments pour nous séduire. Malheureusement, en rejoignant la crypte en sous-sol au début du concert, il est déjà trop tard pour se trouver dans les premiers rangs, seule condition pour bénéficier d’un visuel autre que le haut du crâne des deux musiciens. N’ayant pas forcément d’intention de jouer des coudes au milieu de ce public norvégien généralement poli et bienveillant (on est loin des flamands…), on assiste au set depuis différents emplacements (permettant par ailleurs de confirmer que la qualité du son dans ce lieu finalement assez saugrenu est très correct et homogène un peu partout). Malgré ces conditions, la musique du furieux combo nous capte sur toute la durée du set et on goûte chaque morceau avec gourmandise : développant une sorte de sludge doom puissant, Tuskar peut même parfois se targuer d’un certain groove, à l’instar d’un Mantar par exemple (qui partage la même configuration instrumentale, même si ici le batteur se charge des rares parties de chant). Tout en maintenant cette constante metal extreme bien lourd, le groupe ne se fixe pas beaucoup de barrière, à l’image de ce passage presque… “dub” sur sa rythmique sur un titre pris au hasard. Une excellente découverte.
MANDALAI LAMAS
Changement d’ambiance un peu brutal : après le concis dans le bar et le bourrin dans la crypte, voici la débauche de zicos aux allures de hippie sur l’espace imposant de The Dome qui jouent à domicile. Si le public compact allait comme un gant à leurs compatriotes 1234! en binôme, c’est une foule clairsemée qui a pris place pour ce set très seventies. Les jacks en cordon de téléphone, l’harmonica, les lunettes de soleil, les maracas, les vestes à franges et les plans slide ont défilé sur scène le temps d’un set maitrisé, mais peu enthousiasmant à notre goût. On apprécie néanmoins le professionnalisme du sextuor qui ne se laisse pas démonter par les problèmes de sangle de guitare qui lâchent en pleine augmentation de l’intensité rythmique.
LOWRIDER
C’est avec joie, bonheur et twerk dans le living room que nous avions appris la venue des légendes suédoises qui, à l’instar de Witchcraft la veille, est venu garnir l’affiche au dernier moment du fait de l’annulation de deux groupes ! Les croiser sur scène étant une source de bonheur garantie, nous étions au taquet devant la scène The Chapel pour être certain de ne pas perdre une miette de la prestation de cette formation que nous adorions déjà alors que nous montions ce site jadis. Les suédois nous ont manqué durant une absence trop longue et heureusement s’est rappelé à notre bon souvenir par la suite, d’abord avec quelques shows dispensés de manière homéopathique, puis en signant un comeback total (sur disque et sur scène) il y a quelques années. C’était la première fois que nous assistions à un concert de ce groupe durant lequel les échanges avec le public se faisaient dans une langue scandinave que nous ne maitrisons pas du tout – donc pour ce qui a été déclaré il faudra vous reporter aux écrits en dialecte viking. N’empêche que nous avons capté qu’un nouveau morceau était au sommaire (et comme on est des types en or, on vous en a collé un extrait sur les réseaux sociaux alors que nous en profitions le sourire beat aux lèvres). Ce titre figure sur le setlist comme étant « And The Horse » si le déchiffrage s’avère correct. Hormis cette petite folie bien affriolante, le quintette Lowrider (avec un joueur de clavier sur le flanc droit) a fait la part belle au petit dernier, Refractions, ce qui est cohérent en terme de démarche artistique, mais assez frustrant pour les adorateurs de Ode To Io. La bande de Peder a néanmoins fait péter deux pépites du début du siècle : « Dust Settlin’ » ainsi que l’incroyable « Lameneshma » histoire de bien faire vrombir la basse pour souligner que ces vétérans sont encore bel et bien vivants ! Nos nuques ont bougé de la première à la dernière note d’un set mené avec maestria par une formation qui a semblé prendre une énorme pied à se produire ; nous en tous cas on a pris le nôtre et ce n’était pas la dernière fois de la journée !
Histoire de pousser le déphasage temporel dans ses retranchements, on fait un passage poli dans le Dome pour picorer un échantillon de la prestation de The Chronicles of Father Robin : le groupe norvégien justifie sa place assez haut sur l’affiche du fait d’une carrière de plus de trente ans, et une vraie rareté scénique (et discographique). Les nombreux musiciens présents proposent un folk rock progressif à forte tendance médiévale, illustrée aussi par des oripeaux typiques et des pas de danse supposément d’époque. Un peu hermétiques, nous passons respectueusement notre chemin pour nous sustenter.
GREEN LUNG
On n’est pas insensible au talent du groupe anglais, et le voir aussi haut sur l’affiche de ce festival fut l’un des facteurs nous confirmant le bon goût de l’équipe en charge de la programmation. En revanche, on ne s’attendait pas à constater un tel succès : dès que le quintette est monté sur les planches, le public est au taquet ! Excellente surprise que de les voir reprendre les tubes du dernier album à gorges déployées, headbanguer, jeter les poings en l’air à la moindre occasion et crier leur approbation à chaque fois que Tom Templar annonce le prochain titre. Ce soir, Green Lung est en démonstration : leur maîtrise scénique est impeccable, les musiciens assurent, non seulement dans l’exécution des chansons, mais aussi en terme de prestation. Mention spéciale à John Wright derrière son clavier, qui se contorsionne et grimace malgré son instrument plutôt statique, mais aussi à Templar, qui, sans en faire trop, assume bien son rôle de frontman, dans un groupe où beaucoup repose sur la guitare – une guitare assurée de main de maître par l’impressionnant Scott Black, qui sans extravagance abat un boulot phénoménal. Le doom metal épique old school du groupe prend toute son ampleur dans le format de l’église, propice à donner une autre dimension aux riffs surannés mais jouissifs du combo. Si les plus gros succès viennent des titres de leur dernier album Black Harvest (notons en particulier le grandiloquent “Graveyard Sun” chanté en chœur par tout le public), les titres issus du prochain album (sortie prévue une semaine après le concert) fonctionnent tout aussi bien (à l’image de l’épique mid-tempo “One for Sorrow”). Bref, un concert impressionnant de la part d’un groupe que – soyons honnêtes – nous n’imaginions pas à ce niveau. Un futur grand, probablement.
SPURV
Changement de décor sur The Dome qui pourra se targuer d’avoir fait dans l’éclectisme total durant ce dernier jour de festival. Le combo post-rock instrumental d’Oslo a capté son auditoire en débutant son show par un attroupement de 3 de ses membres autour de la batterie armés de 6 baguettes. La suite, interpellante aux premiers abords en raison de la présence de cuivres sur scène, a été phénoménale. Les mecs en ont sous la pédale question talent puisque le passage du vent à la corde se fait impeccablement lorsqu’il faut lâcher la gratte pour s’emparer de la trompette par exemple ou se munir de la guitare en délaissant le trombone à coulisse pour placer des trames de fond sous leur sludge abouti. L’ajout du trombone sous effets synthétisants apporte un rendu unique à l’exercice scénique ainsi que discographique de ces Norvégiens, ce qui les distingue de la foule de formations marchant dans les traces de Cult Of Luna sans parvenir à les dépasser.
CULT MEMBER
La bagarre enfin ! On vous avait prévenu lors du résumé de ces deux jours que sauvagerie il y eût, et celle-ci était à foutre sur le dos des allumés de Cult Member. La formation de Tromsø en Orvège, active dans le registre hardcoreux-crossovero-thrash, a provoqué une baston d’anthologie dans l’underground de l’église ! Mosh, pogo et crowd surfing sous le plafond bas ont ravi les bas de plafond qui s’étaient retenus durant presque deux jours ! Difficile de résister à ce set fougueux au setlist qui prévoyait 24 titres balancés les uns derrières les autres, dans la plus pure tradition hardcore au relents de vieux thrash des années quatre-vingt.
BONGRIPPER
Le plat de résistance arrive pour ce dernier soir, avec la tête d’affiche du festival : les doomsters de Chicago de Bongripper. Tête d’affiche déjà de l’édition de 2020 qui dut être annulée du fait de la déferlante COVID, l’organisation a vu les planètes s’aligner à nouveau pour ce dixième anniversaire du festival, pour finir d’exorciser ces mauvais souvenirs. Le quatuor américain y joue seulement son troisième concert de 2023, après le Hellfest et un concert en Islande la veille de cette venue à Oslo. Pour lancer les festivités, le groupe lance un gros morceau, “Worship” et son doom protéiforme, mi-éléphantesque mi-mélodique. Les musiciens sont parfaitement rodés, ne s’adressent presque jamais la parole, et déclenchent chaque break, chaque section d’un simple regard. C’est une machine musicale redoutable, parfaitement huilée, et efficace, qui produit un effet direct sur le public : headbang forcené, masses de corps qui se meuvent et se bousculent en rythme, yeux fermés au ciel comme pour mieux recevoir les pluies de décibels… On trouve de tout dans l’enceinte de l’église. Petite surprise ensuite, c’est le rageur “Satan” qui est choisi pour mieux labourer les cerveaux avec notamment sa terrible intro (l’occasion pour Dan O’Connor de montrer qu’il est aussi performant dans le blast furieux que dans le doom lent et pachydermique). Sa dernière section plus mélodique vient appeler le désormais habituel “Slow” pour finir le set, l’un des titres les plus étourdissants du quatuor, mêlant passages doom lourds et lents et percées presque aériennes en de multiples séquences parfaitement maîtrisées par le groupe. Scéniquement, on ne fait pas dans la gaudriole, mais la musique ne s’y prête pas. Tandis que Dennis à gauche est toujours le plus flegmatique, Ron toujours au centre avec sa basse et Nick à l’autre guitare à droite vivent la musique dans toute son amplitude. Le set se termine donc sur le “premier final” de “Slow”, de manière un peu abrupte (fini les bidouilles de pédales d’effets pour conclure leur set), et le groupe se retire en saluant, sous les applaudissements nourris du public, exsangue. Nous nous retirons nous aussi sur ce final à la hauteur de nos attentes, satisfaits encore une fois d’avoir assisté à une excellente prestation d’un groupe qui, décidément, déçoit rarement.
Quelle excellente paire de jours nous avons passé au Høstsabbat ! Le facteur principal tient à sa programmation : tandis que 80% des mêmes groupes se retrouvent à tourner en Europe et participer à la poignée de même festivals durant le mois d’octobre, ils font venir des groupes rares, qualitatifs, et les font jouer dans des conditions excellentes. On ne reviendra pas encore sur la majesté de cette église et les concerts qui s’y déroulent, mais rappelons l’ajout très significatif que constitue l’adjonction de ce complexe “The Dome” au dispositif du festival, qui dispose désormais de deux grandes salles pour ses concerts les plus ambitieux, un véritable atout en plus de ses deux sympathiques mais trop petites salles déjà utilisées jusqu’ici. Alors certes, tout n’est pas rose non plus : la vie est chère à Oslo (notons pour information que le festival ne prend aucune marge sur le merch groupes) et il y fait froid (et faire un festival avec un blouson sur toute la durée est… “étrange”). Mais au global, ce festival à taille humaine, plein d’atouts, son public plaisant et respectueux, sa programmation de qualité et ses salles impeccables nous ont positivement marqué. Il est bien probable que l’on y retourne un jour…
Chris & Laurent