EyeHateGod, dernier concert avant la fin du monde, uchroni-que de concert.
Mercredi 03 mars 2021. 353 jours de confinements. Bientôt une année cloitré à la maison. Dehors le ciel est gris et les rues désertes. La végétation a, par de nombreux endroits, repris ses droits sur le béton. Je suis sorti ce matin troquer mes deux derniers vinyles de Motörhead contre un rouleau de PQ. Sur le gros millier de disques de ma collection, il ne m’en reste qu’une petite dizaine. Les 6 premiers de Black Sabbath, avec lesquels je souhaite être enterré, un Sleep, un Kyuss, un Blues Pills que personne n’a voulu reprendre. Et Take As Needed For Pain d’Eyehategod dont la pochette, dérangeante au possible, semble aujourd’hui me dévisager.
Cela fait un an jour pour jour que j’ai assisté à mon dernier concert, dix jours à peine avant que le président de la république annonce les premières mesures de confinement. Lorsque je ferme les yeux je repense au show clinique de Misery Index, à la rage de quinquas de Napalm Death. Qu’est ce qu’on avait guinché avec les copains à la Machine du Moulin Rouge ce soir là. Mais mon grand souvenir de cette dernière nuit d’insouciance reste le show d’EyeHateGod. C’est que les quatre New Orléanais avaient cassé la baraque.
Dès l’entrée de Jimmy Bower, en Crocs et jogging informe, avec ses yeux dans le vague et ses tics de drogués, on a compris que l’on allait vivre un moment unique. Le genre de concerts où personne ne dictera le tempo. Mike Williams lui, tee-shirt Motörhead sous veste kaki, se présente au public en se mouchant sur les premiers rangs. Une salve de doigts d’honneur plus tard, le concert peut commencer. Et quel concert. Tout est sur le fil, agressif, sans compromission. Une déclaration de guerre à ceux qui ne sont pas là pour les écouter. « Lack Of Almost Everything », le premier titre joué prend un sens spécial dans ce contexte. On voit bien le téléphone dans la poche informe de Bower, on voit l’écran s’allumer à travers le tissu lorsqu’il reçoit une notification. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il s’en fout. Il balance riff sur riff, semble parfois être sur une autre planète que ses collègues. Son accordage est co(s)mique. « Parish Motel Sickness » : la fosse fond un boulon. Il pleut des coudes, même les plus braves mordent le plancher. Certains s’envolent et ne retombent jamais. « Sisterfucker », les deux parties. Les doigts se lèvent, encore. On s’invective, on célèbre le sale. Riffs, riffs, riffs, riffs. On voit bien qu’une partie du public, reculé, inquiet, ne comprend rien à notre catharsis. Certains rient dans le coin. Lorsque finissent les dernières notes de « New Orleans Is The New Vietnam » ils n’ont plus de dents et leurs sourires ont fait place à des trous béants déformés par la douleur. Nous sommes exsangues mais pétris de bonheur. Les gorges hurlent, les poings acclament, donnent du respect.
Le concert s’est ouvert sur un long larsen et s’est refermé de la même façon. Nous étanchons notre sueur et notre plaisir d’une pinte sans goût. Au merch une femme, qui a longtemps été un homme, nous énonce, hilare, toutes les insanités qu’elle connaît dans toutes les langues des pays qu’elle a traversés. « Runka Min Kuk ! » ah oui je la connais aussi celle là.
Un tee shirt sous le bras je rejoins le métro. Les gens sont pâles, mon voisin de siège tousse. Il semble fiévreux. Je quitte la rame station Porte de Versailles pour récupérer ma voiture, sans remarquer que le fiévreux tombe de son siège. Quel concert, quel chaos, quel bonheur.
Une pensée bien sûr pour les organisateurs de concerts, les techniciens du spectacle, les groupes et tous ceux impactés de près ou de loin par cette situation. Espérons tous en rire dans quelques semaines, une bière à la main tandis qu’un groupe s’échinera à nous luxer la nuque sur une quelconque scène à Paris ou ailleurs.