Bourlon est une petite commune située dans le Pas-de-Calais qui, si on en croit Wikipedia, comptait lors du dernier recensement 1 194 habitants. Ce village accueille depuis 2010 un festival très simplement appelé Rock in Bourlon. Très vite ce festival nous a fait du pied, nous amateurs de stoner & co en mettant à l’affiche des groupes comme Glowsun, Zodiac, The Midnight Ghost Train, My Sleeping Karma, Dopethrone ou encore Mars Red Sky (et bien d’autres !). Vous verrez au fil de cette chronique que cette année, c’est carrément les bras ouverts que le festival nous accueille avec un line-up plus que fourni et vraiment de qualité.
L’autre particularité de ce festival mis à part son lieu et sa programmation, c’est son modèle économique. En effet, Rock in Bourlon est un festival où la participation est libre ! Oui vous avez bien lu. Certains aiment dire qu’il est gratuit, ce n’est pas faux, mais on préfère tout de même dire à participation libre. Alors il y a déjà quelques sceptiques ici et là. Un festival gratuit ? Au beau milieu d’un village inconnu ? Vous me prenez pour un pigeon ?
Mais pas du tout mon bon ami. Boire et manger ne te coutera pas une fortune loin de là, le merchandising est à prix tout à fait correct et l’organisation est à mille lieues de faire des économies sur les installations et la sécurité. Bref, gomme tout de suite ce petit doute, Rock in Boulon c’est la petite perle dont tout le monde rêve. Un festival à taille humaine, très accessible et fichtrement bien organisé.
Nous voilà donc en pleine campagne, pas très loin de Cambrai pour le 1er jour du Rock in Bourlon, huitième du nom. Arrivant bien à l’avance on fait le tour des lieux. Des espaces bars, nourritures, merchandising ainsi qu’un espace exposition/vente (affiches, objets déco en rapport avec la musique…) et même un bar à thé. Le tout semble bien agencé et ça sent déjà bon le festival qui va bien.
17h30, le premier groupe vient ouvrir le bal devant un public encore très clairsemé. Fleuves Noirs est un groupe lillois estampillé Noise/Krautrock. Pile le genre de groupe pour lequel vous vous dites soit « C’est quoi ce bordel » ou alors « c’est quoi ce bordel ». La nuance entre les deux étant l’indifférence dans le premier cas et la curiosité intéressée dans le deuxième. On est plutôt dans le deuxième cas avec ce quatuor développant une musique très brute et sans concession. Le chanteur à lui seul vaut le détour. Musicalement et vocalement on a l’impression d’être devant Devo qui aurait fusionné avec un groupe de Berlin période punk/noise/Kraut. Un concert bien barré.
Les parisiens de Baron Crâne prennent le contrôle de la scène et immédiatement attirent le public avec leur compos instrumentales dans un style très bien maitrisé. Belle surprise que ce groupe que le public ne connaissait pas forcément et nombreux sont ceux qui se laissent prendre par un jeu de basse que Flea des Red Hot ne renierait pas et par ce guitariste qui tout en discrétion vous sort des sons de sa guitare carrément prenants. L’alternance gros sons et sons plus aériens, solos bien sentis et riffs efficaces font de ce groupe une très belle découverte. Le public ne s’y trompe pas et les applaudissements sont nourris et mérités.
Le troisième groupe à venir est un de ceux qui ont surement attirés quelques personnes. J’ai nommé Ddent. Pour ceux qui ne les connaissent pas encore (vous vivez où ??), Ddent s’est classé dans notre Top 2017 avec son premier album et la chronique de leur deuxième effort sorti cette année se termine sur ces mots : « un album riche en nuances, mature, maîtrisé et beau ». La bonne réputation du groupe en concert les précède et ils ne vont pas la démentir, bien au contraire. Pour paraphraser nAn et sa chronique de Toro, disons que le concert fut riche en nuances, mature, maîtrisé et beau. Ajoutons sans hésitation puissant, puissant et puissant.
La musique de Ddent qui sur album est déjà bien solide prend une dimension supplémentaire en concert. Mais que c’est puissant ! Le public s’en ai pris plein les oreilles et en redemande encore et encore. Le quatuor joue à la perfection et leurs compos sont ici libérées des limites d’un enregistrement studio et développent leur potentiel totalement. Ddent est le groupe français à suivre, aussi bien par leurs albums à venir que par leurs prestations scéniques.
L’occasion de souligner ici une première fois la qualité du son (même si on va se contredire pour le set suivant mais il faut bien une exception). Car une bonne prestation passe en premier lieu par de bons musiciens et de la bonne musique mais combien de concerts ruinés par un son à la limite de la bouillie ?
Ici c’est tout l’inverse. Le son est vraiment très bon. Il faut dire que celui qui s’occupe de la console fait un boulot admirable en prenant bien son temps pour les balances et en ne laissant rien au hasard. Clairement dans les nombreux atouts de ce festival et la liste interminable des bons points, le son est à mettre au top.
Les Lillois de Love Sex Machine auraient dû jouer la nuit tombée mais un le retard de Monolord (voir ci-dessous) a finalement avancé l’heure du show. Pas de souci pour eux, les quatre gaillards étaient prêts à envoyer leur mélange de sludge et de doom, gras à souhait. Même si le son était parfois un peu brouillon (balances trop rapides à cause du retard ?), les Lillois s’en sont sortis comme des rois. A la voix, c’est du gros growl à l’ancienne, efficace pour les amateurs du genre, un peu plus rébarbatif pour les autres. Une histoire de goût. Mais l’ensemble est plutôt bien exécuté avec des phases bourrines où les deux gratteux et la basse balancent les riffs à la chaîne pendant que le bûcheron derrière cogne ses fûts comme si sa vie en dépendait. Les parties instrumentales ont eu le mérite de rassembler le reste du public qui n’était peut-être pas trop chaud pour recevoir les cris de l’enfer en pleine tête. Love Sex Machine a terminé son set de meilleure manière qu’il n’avait commencé, avec beaucoup plus d’intensité. Il faut dire que passer juste avant Monolord ne doit pas être très rassurant…
On attendait justement le trio suédois aux alentours de 21h mais un problème lié à leur vol a contraint les organisateurs à décaler le concert. Ce qui n’a pas empêché le public de répondre présent pour se prendre ce que beaucoup ont considéré comme la plus grosse baffe de la journée. On s’en doutait légèrement rien qu’en écoutant les balances et ce son de basse que nos tympans ont aimé détester. Et l’ensemble du show de Monolord restera sur la même teneur : du doom bien gras exécuté à la perfection. A la basse, Mika Häkki malmène son instrument et balance les riffs plus lourds les uns que les autres. Derrière lui, Esben Willems fait trembler les fûts pour créer cette rythmique ravageuse et bougrement efficace et ne cesse d’augmenter l’intensité au fil des morceaux. Thomas Jäger s’occupe du reste avec cette guitare bourdonnante et lancinante et sa voix qui, sans être originale, complète parfaitement le job des instruments. Déjà bien chaude, la foule se déchaîne de plus belle sur “Empress Rising”. Certains n’en sortiront pas totalement indemnes mais le jeu en vaut la chandelle. En plus d’une heure, Monolord a mis tout le public bourlonais d’accord. Tout simplement Impressionnant.
La première journée se termine donc de façon épique. Cinq groupes aux styles très variés se sont succédé sur scène et ont chacun offert au public mêlant connaisseurs et curieux des prestations de qualité. Rendez-vous dans quelques heures pour la suite !
La seconde journée débute comme la première avec un temps splendide et un site nickel. Il faut dire que nous avons vu hier un public très respectueux des lieux, utilisant les bidons/poubelles placés çà et là. Ce genre de petits détails qui, mis les uns à côtés des autres, prouvent encore une fois le sérieux de l’organisation.
Ce n’est pas la scène qui accueille le premier concert de la journée mais une tonnelle placée du côté du mini-market. Durant deux heures Koonda Holaa and The Absolute Never se la joue à la cool, sans pression. Un peu de psyché, une bonne touche de blues avec un petit soupçon d’expérimental. C’est parfait pour se remettre dans l’ambiance et commencer cette deuxième journée au programme bien chargé.
Les quatre Suédoises de Maidavale n’étaient peut-être pas les plus attendues de ce samedi ensoleillé mais leur set n’a laissé personne de marbre. Elles avaient déjà créé la surprise à Berlin, au DesertFest, et ont encore une fois répondu présentes à Bourlon. La chanteuse Matilda Roth est omniprésente avec sa voix que les fans de Grace Slick (Jefferson Airplane) ont apprécié. Le quatuor a profité de son passage en terres françaises pour présenter son nouvel album Madness is Too Pure et même si leur rock psychédélique n’a rien de très original, elles savent apporter une petite touche supplémentaire pour rendre leur show énergique. A la rythmique, basse et batterie accompagnent parfaitement les envolées fuzzy de la gratteuse qui alterne entre riffs bluesy et solos psychédéliques. Maidavale ne prend pas de risque mais a tout de même bien assuré. Le quatuor continue de faire son bonhomme de chemin dans la sphère stoner/psyché. C’est mérité.
On change complétement de style en passant de quatre suédoises à quatre mecs bien roots. Ecstatic Vision si vous ne les connaissez pas, c’est l’assurance de voir un concert bien rock avec un frontman qui conduit sa troupe et son public pour leurs faire sortir toute leur énergie. Si vous accrochez musicalement vous passerez un très bon moment, dans le cas contraire, vous regarderez ça de loin. Ecstatic Vision c’est une débauche d’énergie et de décibels. C’est un chanteur qui chante, crie et harangue les foules autant qu’il peut, n’hésitant pas à grimper sur les haut-parleurs (un grand classique chez lui). C’est aussi un guitariste/saxophoniste qui se donne sans compter et balance tout ce qu’il peut comme si c’était son dernier concert. Bref, vous l’avez compris, le groupe nous a sorti un set dans la pure tradition Ecstatic Vision. Le public se laisse prendre au jeu et l’échange public/groupe est parfait. Un très bon set d’un groupe qui se donne sans compter.
Typique d’un festival, on rechange encore de style avec le groupe suivant. Les blagues sur le nom du groupe n’ont pas manqué avant le passage des Hollandais… Mais une fois sur scène, Gold a su captiver le public pour un show en dents de scie mais tout de même intéressant. Au chant, Milena Eva fait office de chef de meute aux côtés de ses cinq musiciens. Il faut avouer que la présence de trois guitaristes n’est pas toujours cohérente mais n’empêche pas le groupe d’envoyer la sauce, à leur manière. Comment définir le style de Gold ? Difficile tant les influences sont nombreuses. Un peu de psyché par ci, du rock un peu plus lourd par là avec quelques passages calmes où la chanteuse prend possession de la scène. L’ensemble du show semble justement calé sur les envolées lyriques de Milena Eva, un peu trop par moments où on aurait aimé que les instrus prennent un peu plus de place, surtout avec trois guitaristes… La fin du concert est un peu plus rythmée mais les avis sont partagés: il y a ceux qui aiment et ceux qui détestent et jugent la prestation trop lancinante. Une affaire de goût.
La suite, elle, va mettre tout le monde d’accord. Karma To Burn égraine les scènes depuis plus de 20 ans. Seul membre originel encore dans le trio, William Mecum n’a plus grand chose à prouver… et presque plus rien à proposer de vraiment nouveau. Mais on s’en fout carrément. Et vu le nombre de T-shirts estampillés Karma to Burn en ce samedi, on n’était pas les seuls. Il suffit que les trois lascars originaires de Virginie branchent leurs instrus pour que la sauce monte en moins de trois secondes. Visiblement heureux d’être là, les Ricains de K2B (pour les intimes) balancent leurs plus vieux riffs avec toujours autant d’entrain. Casquette vissée sur la tête et lunettes noirs sur la tronche, Mecum envoie les premières notes de “Thirty” et laisse échapper un léger sourire en voyant la fosse jumper comme il se doit. Le son est bon, très bon même, et ce ne sont pas quelques légers problèmes techniques à la basse qui viendront contrecarrer les bonnes attentions des Ricains. Le trio enchaîne avec ses classiques issus de Wild Wonderful Purgatory et Almost Heaten avec une sérénité presque détestable. Le show est rôdé, équilibré et on ne voit pas le temps passer. “Tout le monde va bien ?”, demande William Mecum. La réponse est unanime, bien sûr que tout le monde va bien ! Sans surprise, K2B termine le set avec son traditionnel “Twenty” qui emporte tout sur son passage. “C’est du lourd” gueule un groupe de jeune une fois que le groupe a quitté la scène. “Ce sont eux les patrons”, surenchérit un autre mec un peu moins jeune. Tout est dit.
En parlant de patrons, certains étaient pour K2B, d’autres pour Eyehategod.
Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, EyeHateGod se trouvait bien tout en haut de l’affiche de ce Rock in Bourlon 2018. Alors oui, il fallait assurer, avec un gratteux en moins qui contraint le groupe originaire de Louisiane à reprendre une formation à quatre. Le show démarre par un simple “Fuck you, we are EyeHateGod” signé Mike Williams qui en dit long sur leur motivation du soir. Le public est déjà bien acquis à leur cause mais les Américains vont faire bien plus que le contenter ; ils vont littéralement l’assommer.
Pétard au bord des lèvres, Jimmy Bower déballe les riffs les plus gras du jour. La section rythmique n’est pas des plus originales mais elle fait le boulot pour laisser la place aux deux foufous que sont Williams et Bower. Il ne faut pas se le cacher, on craignait que le chanteur s’autorise une sortie de route et se retrouve dans un état peu propice au chant mais il n’en est rien : Mike Williams donne tout ce qu’il a, malmenant son micro et le pied qui va avec dès qu’il en a l’occasion. Sur “Blank” comme sur les autres titres phares de EHG, le public headbang d’une seule tête, créant une ambiance fantastique.
Le quatuor termine en apothéose avant de quitter la scène sous la plus belle ovation du week-end… avant de revenir pour checker quelques poings et serrer des paluches, en tout humilité. Et si c’était ça la marque des grands groupes ? En tout cas à Bourlon, EyeHateGod a marqué les esprits pour un sacré moment.
Difficile de s’en remettre mais il reste tout de même un concert pour clôturer cette magnifique édition du festival. Certes une partie du public, laminée par les deux sets précédents, a déserté le devant de la scène mais il reste un bon paquet d’irréductibles pour accueillir Five the Hierophant, groupe estampillé « Psychedelic Black Doom Jazz ». Et franchement oui, c’est exactement ça. Dans une tenue digne d’une messe noire, les londoniens proposent une musique très particulière et difficilement associable à quelque chose de connu. C’est très Doom et Black et c’est surtout très bien exécuté. Le son est excellent permettant pour celles et ceux qui ne les connaissent pas de pouvoir se faire une très bonne idée de leur musique et pour les fans de se régaler. Les festivaliers prennent ici une bonne dose de décibels avec un set très solide par un groupe qui a certainement gagné quelques adeptes.
Difficile de quitter ce village mais voilà, l’édition 2018 du Rock in Bourlon se termine. A l’heure du bilan côté spectateur la conclusion est vite trouvée. C’était parfait. Le site, l’organisation, les groupes, l’ambiance, difficile de trouver la moindre chose à reprocher. Côté groupes, gageons que l’impression fut la même. Il faut dire que certains signes ne trompent pas. Bon nombre de musiciens se sont mêlés à la foule durant les concerts (mention spéciale aux membres de Ddent présents les deux jours) répondant parfois aux sollicitations très polies des fans les reconnaissant sans pour autant abuser en selfies et autres coutumes. Doug Sabolick (Ecstatic Vision) tranquillement au bar, Mike Williams (EHG) regardant une bonne partie du concert de Gold ou encore les quatre suédoises de Maidavale assistant au concert d’Ecstatic Vision (et facile vainqueur des photos avec le public), voici quelques exemples parmi tant d’autres.
L’édition 2019 est déjà annoncée (pas de groupes à l’heure de cette chronique bien sur) et si vous aviez en tête qu’un festival gratuit/à participation libre était forcément le genre d’événement à éviter (boisson/bouffe trop chères, groupes nazes ou en service minimum, organisation à la ramasse etc…) et bien nous ne pouvons que vous inciter à revoir votre jugement et à ne pas hésiter à faire quelques kilomètres (il y a un camping ! n’hésitez pas à venir de loin) pour vous en prendre plein les oreilles dans des conditions idéales avec un combo organisation/groupes/public au top.
Chronique rédigée par TO)))M et Shinkibo.
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