Avant de commencer cette interview, peux-tu nous donner des nouvelles de ta santé ? Tu avais été obligé d’annuler un bout de tournée en septembre dernier quand tu as découvert ce problème au cou nécessitant une opération…
Oui, on m’a découvert un problème aux cervicales, derrière le cou, apparemment il y avait quelque chose que je me traînais depuis ma jeunesse. Par-dessus ça, j’imagine que quelques décennies de tournées intensives et de headbanging forcené n’ont probablement rien arrangé [sourire]. J’ai commencé à avoir une petite gêne l’an dernier, et j’ai décidé de consulter. J’ai eu très peur, mais le problème n’était pas aussi important que ce que j’avais pensé initialement. Les docteurs m’ont quand même dit que je devais planifier une intervention chirurgicale au plus tôt. Dans ces conditions, j’ai estimé plus sage d’annuler quelques concerts pour ne pas prendre de risque. On a essayé de re-planifier les concerts annulés dans les semaines suivantes, pour ne pas trop pénaliser les gens. J’ai finalement récupéré beaucoup plus rapidement que prévu, ça n’a pas posé de trop gros soucis.
Est-ce que tu es complètement soigné, ou bien est-ce quelque chose qui pourrait te gêner sur les prochaines tournées ?
A priori, ça ne devrait pas être gênant, non. J’ai subi une intervention chirurgicale dans la gorge. Comme il fallait passer des tuyaux le long de mes cordes vocales et que le corps médical m’a informé qu’un risque existait à ce niveau précis, j’ai beaucoup craint de ne pas pouvoir chanter comme avant. Heureusement, je n’ai subi aucun dommage au niveau des cordes vocales et mon chant est désormais à 100 % tel qu’il était avant cette intervention. Je ne sens quasiment plus rien, il semble que le problème soit résolu. Mais je pense que j’éviterai quand même d’être trop stupide et bourrin sur scène dorénavant…
L’an dernier vous étiez tous les quatre particulièrement fiers et enthousiastes après l’enregistrement de “Earth Rocker”, bien plus encore que pour vos albums précédents. Où en est cet enthousiasme un an après, alors que tout le monde l’a découvert et écouté en long et en large, et que vous-même l’avez copieusement interprété sur les scènes du monde entier ?
Ca n’a pas changé, on adore cet album, on adore comment il sonne, on adore ses chansons, et un an après on adore toujours autant les jouer live. Et le plus étonnant pour nous est que c’est le cas pour toutes les chansons qui y figurent. Tu vois, d’habitude il y a certains morceaux sur nos disques qui sont un peu audacieux, ou bien qui apportent une ambiance particulière, mais qui ne passent pas forcément aussi bien en live. Là, rien de tel, au contraire : très tôt après la sortie de l’album, on a joué la plupart des titres de l’album à chaque concert, l’intégralité même parfois… Et concernant les réactions sur l’album, je crois que tout le monde a accroché, nos fans nous le disent régulièrement, et je crois aussi que la presse a globalement adhéré, même si je ne lis pas toutes les chroniques à notre sujet…
Il y a eu une édition live de l’album en novembre 2013 en vinyl, et bientôt (juin 2014) va sortir une édition Deluxe avec CD et DVD. Pourquoi cette volonté de sortir autant de live en si peu de temps ?
Comme je disais, on est vraiment très confiants, très heureux de la façon dont sonnent ces titres en live. Et on sait aussi que ce genre de sortie satisfait beaucoup de monde, à la fois ceux qui ont pu venir nous voir en concert et qui y trouvent un souvenir, mais aussi ceux qui n’ont pas encore pu nous voir en live, et qui en ont donc un aperçu. Nous voulons faire profiter nos fans de versions live de bonne qualité plutôt que de versions piratées de piètre qualité. Et avec le DVD à venir, ils auront même un aperçu visuel de ce que ça donne.
Est-ce le même concert sur toutes ces éditions ?
Oui pour la partie audio : en fait on nous a fait la remarque que les gens qui n’avaient pas de platine vinyl n’avaient pas accès aux titres du vinyl “Earth Rocker live”, donc on voulait les presser en CD. Nous avions sélectionné des titres de “Earth Rocker” en live sur plusieurs shows pour cela. En revanche, le DVD contient un concert différent, enregistré en novembre dernier, ça rend super bien. Les images sont absolument géniales.
La dernière fois que je t’ai interviewé c’était il y a plus de treize ans, et à l’époque tu étais chez Atlantic, tu étais passé de label en label… Tu paraissais confiant, mais on sentait un certain ras-le-bol avec ce manque de stabilité… Est-ce que la création de Weathermaker Music vous a apporté à ce titre pleine satisfaction ?
Mec, je me félicite encore chaque jour d’avoir fait ce choix… On est passés par tellement de labels, Eastwest, Columbia, Atlantic, DRT, et j’en passe… Les gens changeaient tout le temps. En étant un parmi d’autres au sein d’une grande structure, nous nous sommes vite rendus à l’évidence que nous ne serions jamais la priorité de la maison de disque ; qu’en fonction de sorties planifiées pour d’autres artistes, nos propres dates de sortie pouvaient être repoussées. Nous étions aussi convaincus que n’étant pas le number one, nous n’aurions pas un engagement qui soit aussi satisfaisant que celui de notre propre structure qui nous gère en priorité. On a donc décidé de se prendre en main en quelque sorte, et on a créé Weathermaker Music pour nos projets parallèles pour commencer, il y avait moins de pression que pour Clutch, ça a servi de test en quelque sorte. On s’est un peu fait la main comme ça, et petit à petit on a pris confiance et on s’est jetés à l’eau. On a sorti “Earth Rocker” sur le label. C’était notre but ultime, et je pense pouvoir affirmer qu’on n’est pas prêts de revenir en arrière. Désormais nous sommes en mesure de gérer notre carrière comme nous l’entendons.
Comment vois-tu l’évolution du label à l’avenir ?
Je ne sais pas trop, qui sait de quoi demain sera fait ? On ne planifie pas trop. Un virage a été pris quand on a sorti l’album d’un groupe avec aucun membre de Clutch dedans, déjà c’est le signe d’un “vrai” label en quelque sorte. Là on vient de sortir l’album de Lionize, on est très contents. Mais en ce qui concerne l’évolution du label, on voit vraiment au jour le jour selon nos envies et les opportunités qui se présentent. Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre non plus, donc on essaye de faire les choses posément et sérieusement.
Est-ce que l’expérience du E.P. “Basket Of Eggs” [interprétation acoustique de certains de leurs titres, avec quelques compos] a influé sur votre manière d’appréhender la composition, ou même votre jeu live ?
Oui, je pense. En fait, nous travaillons régulièrement en acoustique pour l’écriture des morceaux et ceux-ci sont généralement transposables en acoustique très facilement. Il est clair que nous avons remarqué que nos titres joués en acoustique plaisaient autant à notre public qu’ils nous plaisaient à nous-mêmes. C’est vraiment un exercice particulier, il demande un effort de concision, car il faut aller droit à l’essentiel, mais aussi de concentration, car en acoustique tu entends le moindre son, et donc la moindre approximation, frottement de corde ou bruits divers. L’électricité et la saturation peuvent dissimuler pas mal de ces choses [sourire]. Cette méthode d’interprétation nous a donc pas mal “bousculé”…
C’est marrant que tu décrives les choses ainsi, car votre dernier enregistrement, “Earth Rocker”, est sans doute le plus “électrique” et puissant de tous vos albums…
C’est vrai, ça peut paraître étrange… C’est une bonne question. Mais je pense qu’il y a une cohérence et que “Earth Rocker” n’aurait pas sonné pareil sans cette expérience. Le fait de concentrer nos efforts sur une même ligne directrice, ne pas nous disperser, aller droit à l’essentiel à quelque sorte… ce sont des choses sur lesquelles nous sommes plus forts désormais.
Quoi qu’il en soit, avez-vous prévu de rééditer l’expérience, ou même d’organiser une tournée acoustique par exemple ?
Pour l’instant il n’y a rien de concret, mais c’est effectivement une piste que nous pourrions explorer à l’avenir. Nous ne dressons en tous les cas pas de barrière entre l’électrique et l’acoustique, les deux peuvent se marier sans problème. On le voit par exemple lorsque nous jouons “Gone Cold” en live au milieu de notre set : ce n’est pas si compliqué à mettre en place, et le résultat nous semble efficace. On la joue ce soir a priori, vous nous direz [sourire].
Une nouvelle chanson est sortie il y a quelques semaines sur un split avec Lionize, à l’occasion du Jour des Disquaires. Est-ce que l’on peut imaginer qu’il donne le ton d’un éventuel prochain album ?
Non, pas vraiment. Il s’agit clairement d’un one-shot. Ce titre est présent sur ce split sorti sur Weathermaker et il n’est pas prévu qu’il soit ensuite inclus sur un album.
Et sinon, qu’en est-il de ce nouvel album ? Quand avez-vous prévu de l’enregistrer ?
Et bien on y pense pas mal, et je peux même te dire qu’on a déjà une poignée de compos prêtes ! Quant à son enregistrement, je ne sais pas précisément, probablement en fin d’année ou début 2015 si nous avons assez de compositions. Mais je sais déjà que le processus sera très différent cette fois, car nous allons prochainement construire notre propre studio. Nous allons nous mettre au travail en rentrant de tournée ; nous avons déjà un hangar dans lequel nous rangeons tout notre matériel y compris les éléments que nous apportons en tournée, mais ce n’est pas la même chose. Nous pourrons désormais enregistrer la journée et rentrer chacun chez nous une fois les prises effectuées. Il faut dire qu’on a des femmes et des enfants maintenant, ça change la donne… Ce sera une manière un peu spéciale de bosser sur l’enregistrement, mais elle nous séduit beaucoup.
Vous avez énormément de chansons qui sont utilisées dans des séries TV, des reportages à la TV américaine, pour des spectacles de catch, etc… Comment ces opportunités se présentent-elles, et êtes-vous impliqués dans le choix des séries ou médias qui les sélectionnent ?
En fait en général ce n’est pas nous qui démarchons pour les trouver. Il y a désormais des agences spécialisées qui mettent en relation les artistes et les médias qui cherchent des atmosphères musicales particulières. Et il y a en gros deux cas de figure : ceux qui ne nous connaissent pas directement et qui veulent juste une musique un peu “agressive” pour accompagner des séquences de leurs séries ou émissions, et on a aussi le cas des mecs qui bossent pour ces agences et qui nous adorent et essayent de fourguer nos titres à toutes les occasions [sourire]. Après, vu que nous gérons nous-même nos productions avec notre propre maison de disques, il est évident que nous sommes impliqués dans le choix des supports sur lesquels nous nous trouvons. Donc nous pouvons être sélectifs si nous le souhaitons. Mais il s’agit d’une opportunité rare : placer ainsi notre musique nous permet d’atteindre des gens qui ne font pas partie de notre public habituel. A ce titre c’est quelque chose que l’on essaye de développer et donc pas forcément de limiter – même si nous ne ferons jamais quoi que ce soit qui puisse nuire à notre image, bien sûr.
Clutch doit jouer lors de la fête de la musique à Genève, ce sera un concert gratuit en plein air. Il est très probable qu’un public nombreux et très large vienne vous voir, probablement avec des gens qui ne vous connaissent pas forcément. Quelle sera votre approche d’un tel concert dans ce contexte ? Est-ce que vous l’appréhenderez différemment d’un festival ou un concert en tête d’affiche ?
Oui j’en ai entendu parler. Il est trop tôt pour le dire, mais je pense que nous l’aborderons comme un concert standard. Par le passé, il nous est déjà arrivé d’adapter nos setlists au public : une setlist pour un concert de Clutch normal, une pour les festivals, une autre lorsque nous ouvrions pour une autre formation, etc… Au final, nous nous sommes aperçus que cela ne fonctionnait pas. Nous sommes nous-mêmes lorsque nous jouons ce qui nous plaît donc nous avons abandonné cette pratique pour ne présenter que des setlists en phase avec ce que nous jouons en tournée. Nous allons donc vraisemblablement livrer une performance en lien avec la tournée actuelle, avec peut-être des surprises, mais rien de complètement spécifique.
Peux-tu nous dire où en est The Company Band [le projet de Neil avec des musiciens d’autres formations], et si l’on peut s’attendre à un nouvel album bientôt ?
Je me concentre sur Clutch pour le moment, ce qui m’occupe très largement. The Company Band est en sommeil car nous sommes tous impliqués par nos formations de base à l’heure actuelle. Mais le groupe n’est pas mort…