Bongripper – Terminal


Qu’elles furent difficiles à vivre ces quatre années depuis Miserable, la précédente offrande de Bongripper… On a eu beau faire tourner l’objet encore et encore, on était en manque. Et on ne peut pas vraiment compter sur les faméliques tournées du quatuor U.S. pour nous sustenter. Dire que c’est la bave aux lèvres et la langue pâteuse qu’on se jette sur ce nouvel album est un large euphémisme. On est morts de faim.

On s’y attendait, le morcif va être difficile à digérer : construit comme une pièce de barbaque de 45 minutes, la plaque est coupée en deux titres pour des questions plus techniques qu’artistiques (les fans de vinyl vont même devoir, sacrilège, changer de face en plein milieu du disque…). On ne dissertera donc pas dans cette chronique sur la teneur distincte de chacune des deux plages, ironiquement nommées « Slow » et « Death » ; la bestiole s’avale en un bloc, du début à la fin.

Et qu’est-ce qu’il y a à manger dans ce Terminal, donc ? Du pur Bongripper, sans ambigüité. Du doom qui amène un des sons les plus heavy du genre à des compos fournies et audacieuses. Du doom intelligent, riche, stimulant, mais qui caresse contre le sens du poil. Mais pas forcément comme le ferait Sunn o))), qui sur-intellectualise le doom et le retranscrit sous une forme quasi physique (son, vibrations…) ; les deux extrêmes, la tête et les jambes. Bongripper, moins pédant en quelque sorte, propose une musique plus accessible (ne versant jamais franchement dans le drone par exemple) tout en restant exigeante, et avec de nombreux niveaux de lecture, permettant à la fois le plaisir simple de se prendre une grosse claque doom sans prise de tête, ou bien l’opportunité de réfléchir aux fluctuations des morceaux, aux sons, aux émotions abordées… Vous y rajoutez une pincée d’ironie et de second degré, et l’identité trouble du quatuor américain se dessine un peu… Musicalement, ils ont créé ce son mêlant un jeu brutal et pachydermique à la fois, avec une production limpide (c’est Dennis Pleckham himself qui s’y colle ici, avec réussite). Le travail sur les guitares en particulier, est leur marque de fabrique : toutes en complémentarité, les explorations soniques des duellistes Nick et Dennis s’entremêlent, se soutiennent l’une/l’autre, tissent des structures et des ambiances sonores variées, pour mieux déverser des nappes de napalm avec l’aide d’une basse complice et elle-même redoutable d’efficacité. Bien entendu, toujours pas l’ombre d’un soupçon de chant.

Terminal est constitué d’une succession de séquences musicales imbriquées, structurées, complexes, qui rappellent à quel point l’œuvre du combo de Chicago peut d’une certaine manière être appréhendée comme une musique progressive. Le segment le plus marquant est probablement le premier, qui est le plus classique aussi : la construction de ce riff-colosse, et son évolution/transformation au cours des plus de huit minutes qui suivent, le rendent infectieux dès les premières écoutes. Ce riff entêtant, quoi que complexe, vous tournera en tête bien après que le disque soit fini… Une fois le propos entendu, le groupe nous sort un break dont il a le succès pour installer sa seconde séquence, encore une fois typique : commençant dans une ambiance plutôt mélancolique, le lick de guitare en son clair s’installe pour se transformer sur les minutes suivantes en un nouveau riff oppressant et violent. Break, on reprend à peine notre respiration quand on se reprend derrière la nuque le segment le plus brutal du disque, avec un nouveau riff quintessentiel (3 ou 4 notes maxi), massue, qui devient même dévastateur quand la basse de Petzke décide de doubler la gratte, tout simplement. Le triple assaut rageur.

Cette séquence écrasante s’efface par le truchement d’un nouveau break atmosphérique, bouffée d’air frais, pour ouvrir à nouveau une partie vaguement « catchy », comme celle en intro, avec encore une paire de riffs jumelés fédérateurs et mémorables. Petit à petit on est amenés vers le dernier quart du disque, encore une fois construit avec un talent qui tangente le génie : mise en tension par une rythmique « martiale » par la batterie de O’Connor, puis arrivée d’un riff rudimentaire, qui se tend progressivement pour se transformer en une sorte de ritournelle sur-heavy malsaine, un long morceau de doom pesant, s’appuyant sur une instrumentation quasiment dissonante et dérangeante. Le naïf pouvait espérer un final stratosphérique, une envolée épique assez logique et bienfaitrice, une source d’espoir bienvenue pour clôturer cette galette sombre et poisseuse ; mais le quatuor ne l’entend pas ainsi et préfère pousser au malaise en conclusion. Croche pied, la tête dans une flaque de boue, ces connards vous collent leurs rangers derrière la nuque pour finir de vous étouffer dans la fange, en perdant pied petit à petit au rythme lancinant et répétitif de ces lignes de guitare « sirènes » ensorcelantes et lancinantes…

Pour enrober cette œuvre totale, Bongripper propose cette fois encore un artwork saisissant et intrigant (ils font des infidélités à Mike Miller, leur graphiste habituel, pour un certain Sam Alcarez).

Bongripper nous a habitué à rien moins que l’excellence, sur tous ses albums. Certaines de ses sorties plus « expérimentales » (EP, split…) ont pu faire froncer quelques sourcils, certes, mais leurs albums ont toujours été des pièces d’orfèvrerie doom du plus beau calibre, doublées de trésors d’inventivité. Terminal est de ce niveau. L’un de leurs 6 meilleurs albums, sinon LE meilleur. Mais on attend déjà la suite… Ça va être dur…

 

Note de Desert-Rock
   (8.5/10)

Note des visiteurs
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