Il existe deux façons d’appréhender les derniers albums de Clutch, et en particulier Earth Rocker et Psychic Warfare. Ce binôme remarquable a permis au groupe de jumeler la production d‘albums de qualité, intègres et efficaces, tout en amenant Clutch à un niveau de notoriété jamais atteint. Rien de critiquable, le quatuor mérite au contraire le plus grand respect pour ce résultat. Toutefois, les esprits chagrins (dont une part de notre équipe) déplorait la prise de risques minimale opérée entre ces deux albums : pour certains, pour battre le fer tant qu’il était incandescent, Clutch a produit avec Psychic Warfare une sorte de « Earth Rocker – part 2 ». A l’heure de décider de la suite à donner à Psychic Warfare, le groupe avait plusieurs options à sa disposition : laisser le train poursuivre sa course en avant frénétique, ou bien lever le nez du volant et ralentir, voire le faire dérailler ? Toujours intègre mais aussi raisonnable et responsable, le groupe a plutôt choisi d’opérer un virage ; pas brutal, mais significatif…
Pour ce faire, ils ont commencé par changer de locomotive… euh, de producteur. Exit le fidèle et efficace Machine, enter Vance Powell, machine de guerre au large spectre musical (en termes de production), récipiendaire d’une quantité significative d’awards, mais avec une connotation country-blues rock assez marquée (avec toutefois sur son CV pas mal d’escapades qualitatives en terres saturées). Le pari s’avère assez rapidement payant, tant en termes de mise en son (impeccable, jamais outrancière et jamais cheap) que de choix relevant presque de la co-composition (instrumentations, articulations…).
L’auditeur confronté à l’album se retrouve devant une masse de chansons où, justement, cette valeur ajoutée trouve tout son sens : sans jamais friser l’indigestion (un vrai risque, avec 15 vraies chansons à assimiler, quand même !) le talent cumulé des compositeurs et du producteur rendent l’ensemble efficace, riche, varié, aéré… Aucun temps faible, sans jamais de sentiment de remplissage.
Le talent et l’intention des compositeurs est néanmoins le principal artisan de ce résultat. D’abord, convenons que l’on trouve sur ce disque une quantité de morceaux qui prennent la droite suite des albums précédents… et c’est très bien ainsi ! Personne ne pouvait décemment espérer du groupe qu’il renonce à ce standard d’efficacité et de qualité, et des titres comme « How to Shake Hands » ou « Weird Times » (quel jeu de batterie…) honorent plutôt le CV du groupe et sont dans la lignée de Earth Rocker ou Psychic Warfare. En revanche, et c’est toute l’intelligence du quatuor, ils ont un peu regardé dans le rétroviseur et se sont remémoré ce qui avait fait la richesse de leur carrière, leurs points forts, pour s’appuyer cette fois sur un socle musical plus large. Et du coup, on est baladés un peu dans tous les sens, avec notamment quelques saveurs du passé… « Book of Bad Decisions » (avec son « southern groove » typique , bottleneck et claviers en bonus) ou le punchy mais groovy « Ghoul Wrangler » auraient pu garnir Strange Cousins From The West… « Sonic Counselor » et ses rythmiques emblématiques ou « H.B. is in Control » pourraient venir de Pure Rock Fury… Les super catchy « A Good Fire » ou « Paper & Strife » de Blast Tyrant… Et la liste est sans fin ! Mais au-delà du trip « on se repose sur nos acquis », le groupe pousse ses délires dans ses retranchements (maîtrisés…) sur d’autres titres : la section cuivre brillante du quasi soul « In Walks Barbarella », les déluges de piano d’un « Vision Quest » (qui ne souffriraient pas en hommage à un Jerry Lee Lewis ou Little Richard), le sympathique vaguement country « Hot Bottom Feeder » servi avec double ration de slide guitar, jusqu’à ce “Lorelei” à l’ambiance grave et pesante, énième preuve du large spectre d’atmosphères que le groupe est en capacité de développer…
Clutch voit large (et voit grand) mais ne perd jamais son identité tout du long, essentiellement par le fait de ses musiciens, qui, encore, démontrent un talent remarquable. Dan Maines, solide, n’est que rarement mis en avant, et le chant de Fallon reste à la fois distinctif et emblématique. Mais c’est le jeu de batterie de Gaster (si l’on y prête l’oreille, d’une densité et d’une richesse remarquables) et le travail de guitare de Tim Sult qui amènent ce disque à un niveau de qualité encore supérieur – ce dernier en particulier, gardant son identité en tous temps : ce son mixant un fuzz délicieux et crunchy à une technique de jeu plus riche qu’il n’y paraît sont sa marque de fabrique (voir l’introductif « Gimme The Keys » qu’il porte de bout en bout).
Synthétiser un album aussi riche et copieux tient de la gageure. Pour autant le constat est assez simple au final : Clutch évolue, grandit, mais ne change pas radicalement, et ceux qui espéraient un retour à une période qu’ils trouveront plus glorieuse ou plaisante (et là encore, chacun a sa propre idée de laquelle…) peuvent toujours rêver. Clutch développe ses points forts et ne revient pas en arrière avec ce mal nommé Book of Bad Decisions. En revanche, ils ne renient pas leur passé et n’hésitent pas à le raviver pour affirmer leur identité comme ce « tout » que représente leur carrière. Les perspectives pour leur avenir n’en sont que plus enthousiasmantes. Alors, est-ce le meilleur album de Clutch ? La question mérite d’être posée…
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