Existential Void Guardian, il y a quatre ans, nous avait laissé sur l’impression d’un Conan en début de transmutation, avec un album de morceaux courts et percutants, se détachant un peu (par ce biais) du dogme un peu trop classique selon lequel les chansons doom doivent être longues et lentes. Le rubicon ainsi franchi, on se frottait un peu les mains à l’arrivée de ce nouveau disque en se demandant quelle autre profanation le trio anglais pouvait encore perpétrer sur ce genre musical très balisé… Même pas la peine d’appuyer sur « play » pour comprendre que, déjà, cette initiative sur leur album précédent n’a pas fait un long chemin : six chansons pour plus de 50 minutes d’album… les chansons long format sont revenues au goût du jour ! Il va donc falloir se pencher sur les compos pour évaluer si, à nouveau, évolution il y a…
La première approche ne défrise pas trop le vieux doomster blasé, car au niveau style et son, le groupe est bien sur ses fondamentaux : le doom de Conan est lourd, le son est (très) gras, les riffs sont prépondérants (le chant est rare et systématiquement mixé très en retrait), alourdis par une ligne de basse bitumeuse, et l’ensemble est piloté par une batterie puissante et sèche. Quelques nappes de claviers viennent parfois étayer le tout en fond (« Grief Sequence ») mais sinon, on ne change pas une équipe qui gagne. C’est aussi le cas du line-up du groupe, inchangé (ils semblent avoir trouvé avec Johnny King un batteur fiable capable de tenir au moins deux albums d’affilée), du recours à Chris Fielding (leur bassiste) pour produire le disque (il est un producteur reconnu et réputé, et accessoirement a produit ou enregistré tous les précédents albums de Conan, même quand il n’y jouait pas…), et de leur artwork, énième déclinaison toujours par Tony Roberts de l’imagerie « médiévalo-martiale » fantasy qui est désormais indissociable de la discographie du groupe. Pas vraiment les ingrédients d’une remise en cause fondamentale, a priori…
Au niveau compos, le constat n’est pas si radical, ce qui n’empêche pas de prendre un super pied à travers ces six compos, très complémentaires. On y retrouve du très bon Conan « classique » en mode doom mid-tempo, avec les très réussis « A Cleaved head No Longer Plots » (10 minutes, un gros riff, une seconde moitié de titre plus expérimentale) et « Righteous Alliance » (presque 9 minutes, un gros riff, une seconde moitié de titre plus expérimentale… ?!?), l’un des meilleurs titres du disque, avec un final qui n’est pas sans rappeler les immenses Bongripper (ultra lourd, ultra lent). Il y avait peut-être toutefois moyen de rendre ces titres plus efficaces en les réduisant un peu sur leur portion finale, qui manque « d’accroche ». Entre les deux, on aura aussi notre dose de doom « d’école », avec le plus lent « Equilibrium of Mankind », qui traîne son riff principal, gras et rampant, sur toute la durée du morceau, avec une batterie toujours en limite de contretemps… Petite joyeuseté qu’on sentait poindre sur Existential Void Guardian (et ses incursions extreme metal), Conan assume des influences metal plus affirmées, sur « Levitation Hoax » (sur sa première partie, avec des plans proches du thrash) ou plus encore sur « Ritual of Anonymity », dont la rythmique, encore plus nerveuse, va s’inspirer d’influences hardcore metal old school tout à fait bien intégrées (voir le refrain en particulier). L’album se termine par « Grief Sequence », un titre qui porte bien son nom, traînant sur presque un quart d’heure une trame musicale à base de clavier lancinant, une sorte d’orgue glaçant et grandiloquent, qui supporte un riff d’une extrême lenteur, le tout en mode instrumental. Bien exécuté, intéressant… mais probablement un peu trop long (presque un tiers de l’album, quand même…).
Bref, la qualité est là, et ce Evidence of Immortality est, tout simplement, un excellent album de doom. Il est (à nouveau) le signe que Conan développe son « fond de jeu » : il renforce ses basiques, tout en tentant quelques trucs ici ou là (rien de trop risqué, on reste en terrain connu). Le groupe est en maîtrise, mais aussi en démonstration de sa puissance éclatante sur son domaine musical. C’est bien… Etait-on en droit d’attendre autre chose ? A l’instar d’un Monolord, dans un registre musical différent mais proche, Conan ne propose toujours pas ici d’album qui va venir transcender sa discographie : les basiques ont été posés il y a bien longtemps maintenant (avec Monnos, mais surtout Blood Eagle, son album-matrice – c’est le même constat avec le Empress Rising de Monolord… sorti la même année !) et depuis, ils perfectionnent leur art petit à petit, mais toujours dans le même sillon musical. Frustrant ? Un peu, surtout quand, dans le contexte actuel, on est sur-stimulé musicalement, avec des propositions musicales sans arrêt, et de nouveaux groupes qui apparaissent tous les jours ou presque. Mais satisfaisant aussi : faire un bon album de doom est un exercice ardu, sur lequel de nombreux artistes se cassent les dents. Inutile dans ce contexte de gâcher notre plaisir et de se prendre la tête en sur-intellectualisant la chose (surtout sur un registre musical qui convoque largement la primitivité… bien servie ici) : dans son registre, Evidence of Immortality n’est peut-être pas parfait, mais il est l’un des meilleurs albums de doom sortis ces derniers temps, l’un des plus solides, homogènes et efficaces.
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