L’éloge de la lenteur.
Ou le credo porté par Earth depuis tellement moult déjà. Est-il besoin de revenir sur l’histoire du groupe, sur son parcours opiacé, croisé de Cobain, père spirituel de Sunn O))), élève appliqué de l’accord épuré et de la recherche du temps sur-présent ? Les bios sont déjà écrites et leur parcours à portée d’oreille.
Aujourd’hui, on prend ce temps disséqué pour écouter « Primitive and Deadly », sorti en 2014, et annonçant le retour de Earth dans ses marécages lancinants de poisse tellurique. Dylan Carlson donne du gain à moudre dans ce nouvel opus et dès le morceau d’ouverture « Torn by the Fox of the Crescent Moon » (tous les titres ont de quoi faire pâlir d’envie tout post-rockeur à la recherche de formules littéraires complexes), on sent son envie d’érailler, de salir son drone-kingchair. L’ouverture de l’album fait dans le post-apocalyptique, dans le Morricone steam-punk. Le soleil tape fort sur les accords égrenés à la vitesse d’une tortue neurasthénique. On balance instinctivement la tête, les yeux fermés à l’écoute des nappes tissées par le trio. On y retrouve la science de Earth, à savoir cette faculté à dresser des mantras instrumentaux vous incitant à la réflexion. Le temps rythmique du groupe, ces tempos lents doublés à l’apparente simplicité des morceaux, ouvre et élargit le champs de réflexion. Puisque la respiration se cale à la vitesse du trio, le diaphragme observe cette petite danse chamanique et emporte le corps avec lui. Principe de la transe, on perçoit d’ailleurs la batterie d’Adrienne Davies plus comme un vecteur, un marqueur rythmique, qu’une section ludique et marteleuse. « Primitive and Deadly » est traversé le long de ses 47 minutes par ces murs de cordes saturées, guitare et basse formant à l’unisson ces lignes de fractures.
La nouveauté (si tant est qu’elle soit nouvelle, Kurt Cobain ayant déjà chanté pour Earth sur le morceau « Divine and Bright») est la présence de Mark Lanegan et Rabia Shaheen Qazi sur trois des cinq morceaux de l’album. Considérant ces chants comme des prières, sourates aériennes soutenues par l’édifice religieux construit par les musiciens, les titres s’avèrent alors réussis. Mais dès lors que vous cherchez à intégrer les deux chanteurs dans le tout musical, il se dégage un décalage entre les deux parties, une césure difficilement explicable, comme si le micro chant se trouvait à l’autre bout du marécage, loin très loin du sillet des guitares. Finalement, le meilleur des chants sur cet opus s’avère être les multiples soli-solos blues-bouseux sur « Even Hell has its Heroes ». Une guitare expressive et plaintive qui s’épanche sur quasiment 10 minutes. Une ode à la dépression de fin de journée, quand le soleil se couche et réveille la solitude de la nuit.
« Primitive and Deadly » se perçoit comme un compagnon de route silencieux. Il est la présence réconfortante de cet ami mystérieux, puissant mais taiseux qui rassure dans les périodes de doutes. Un album d’esprit qui transcende et calme. Le stoner est animal et viscéral. Earth lui colle une conscience depuis plus de 20 ans.
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