Il aura fallu plus de six ans à Fu Manchu pour revenir avec un nouvel album, après le sympathique Clone of The Universe, six ans durant lesquels ils n’auront certes pas chômé, sans pour autant faire preuve d’une énorme productivité : un paquet de EP/singles/12’, une V.O. (en réalité compil’ de plein d’anciens titres), des re-sorties vinyliques, des mini tournées très ciblées ou quelques rares dates one-shot en festivals… Une période finalement assez calme qui fut l’occasion pour certains des musiciens du groupe de mener (ou participer à) des projets musicaux parallèles de diverses natures, notamment (en particulier pour l’hyper-actif Bob Balch).
The Return of Tomorrow est en réalité un « double album » – comprendre que dans son format vinyle il sera composé de deux disques… Pour un album de 49 minutes (une durée très raisonnable), c’est encore une illustration des lubies générées pour se plier au business toujours porteur du vinyl. Par l’intermédiaire du speech promo qui accompagne le disque, le groupe décrit une « expérience d’écoute vinyle », une démarche intentionnelle de séparer un premier disque de 7 titres supposément plus « directs », classiques du répertoire du quartet, et un second disque de chansons plus « calmes ». C’est peut-être la vraie vision du groupe, mais dans les faits il n’est pas forcément évident de discriminer stylistiquement les deux rondelles, concrètement issues du même « moule » (par ailleurs, un message aux amateurs du format CD ou digital : ne vous prenez pas la tête, ça passe parfaitement…).
La première salve de titres semble vaguement cautionner ce parti-pris en tout cas, avec une fort belle triplette de purs brulots emblématiques du stoner punkoïde produit par le groupe depuis belle lurette : “Dehumanize”, “Loch Ness Wrecking Machine” et “Hands of the Zodiac” ont en commun des riffs énormes, un son de gratte fuzzé jusqu’à l’os, des leads jouissives (Balch s’épanouit sur cet album…) et des refrains accrocheurs… Bref, exactement ce à quoi on s’attendait ! Première écorchure au concept bicéphale proposé par le groupe, “Haze the Hides” déroule sa rythmique penaude à la vitesse du mammouth fatigué, tout comme “Destroyin’ Light” un peu plus loin. Une autre poignée de titres sans risques se dessine ensuite avec “Roads of the Lowly” et “(Time is) Pulling You Under” (un titre rageur où la guitare lead de Balch fait encore des miracles à tous bouts de champs). Fin du premier disque.
Le second commence par le über-groovy mais un peu mou “Lifetime Waiting”, un titre passable sauvé par une excellente série de soli. Et c’est un peu le même constat sur “Solar Baptized”, un titre très accrocheur et efficace mais manquant un peu de relief… si ce n’était ce final absolument jouissif, avec une dernière minute de soli merveilleusement inspirés, sur une couche rythmique développant un groove rarement pratiqué avec une telle maîtrise par le groupe jusqu’ici. Superbe moment de grâce. Après le mollasson et très dispensable “What I Need”, arrive le morceau-titre de l’album, encore un mid-tempo plutôt bien ficelé, avec ce qu’il faut où il faut. Ça fonctionne très bien, sans casser trois pattes à un canard… et ça rappelle Clutch plus qu’à son tour, à l’instar du riff principal de “Liquify” derrière, lui aussi très Clutch-ien. Le disque se termine ensuite sur l’instrumental et mélodique “High Tide”, pas un point fort du disque.
Forcément, après bientôt 40 ans de carrière (!!) et 13 albums, il est normal d’envisager une sorte de bilan de ce disque au regard de ce parcours superlatif. The Return of Tomorrow est un (très) bon cru pour le combo culte californien, à la hauteur de son rang. Il est très dense, ce qui peut en revanche en refroidir certains : treize chansons, n’est-ce pas trop à digérer ? On vous laisse juges (on peut présumer que c’est aussi pour éviter ce risque que le groupe vend le concept un peu exagéré de « double album »…). Les fans de Fu Manchu apprécieront en revanche le soin apporté au travail d’écriture : certes le groupe capitalise à fond sur son fonds de commerce, ça riffe dru et fuzzé, ça (dé)roule à fond les cheveux au vent, ça aligne refrains catchy et couplets ravageurs… Peu de surprises musicalement et stylistiquement, mais ce qu’ils savent faire ils le font ici bien, voire très bien. Autre avantage de cette profusion de matériel, le disque supporte des dizaines et des dizaines de ponçages en règle, sans jamais provoquer l’ennui. Peu de disques récents (et peu de groupes) peuvent en dire autant. En outre, cela fait longtemps que l’on ne s’était pas dit à la sortie d’un album de Fu Manchu que certains titres trouveraient bien leur place dans les set lists live du groupe (ce qui aura été confirmé dans les faits, le groupe interprétant rarement voire jamais sur scène des chansons de leur fin de carrière) – or plusieurs titres de ce nouveau disque pourraient y prétendre. Inutile donc de couper les cheveux en quatre et de sur-intellectualiser la chose : The Return of Tomorrow c’est du miel musical, du plaisir pour les oreilles et pour le cerveau, du stoner intelligent mais sans prise de tête.
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