Depuis plusieurs mois la hype se développe autour de ce projet de Marc Urselli, annoncé comme construit autour de guests qui nous ont donné l’eau à la bouche : Matt Pike, Steve Von Till, Wino, Lori S., Dave Chandler… N’en jetez plus ! Pas vraiment un activiste de la cause doom/stoner, Marc Urselli est plutôt connu comme un technicien d’enregistrement réputé que comme musicien. Par ailleurs son champs d’action est plus orienté sur les musiques “de niche” (pour des objectifs de marketing son nom est souvent associé à des artistes comme U2, Elton John, Foo Fighters, Luther Vandross, Jeff Beck… mais au delà de quelques chansons enregistrées avec ce type d’artistes, il se consacre plutôt à des albums de musiciens jazz, avant-gardistes, expérimentaux, folk…) et on ne l’avait pas vraiment entendu exprimer son intérêt pour les musiciens de la sphère doom / rock / metal…
SteppenDoom, donc, que l’on traduira volontiers par “Doom des steppes”, est issu d’un concept aussi saugrenu que (pourquoi pas) intéressant, visant à méler les univers musicaux de musiciens de doom metal avec ceux de chanteurs indigènes spécialisés dans le “chant de gorge” traditionnel. Cette technique très particulière est particulièrement répandue dans les territoires nordiques de l’Asie ou de l’Amérique, par les Inuits par exemple, les mongoles, etc… Les esthètes du doom ne sont probablement pas étrangers à cette technique de chant, déjà pratiquée sous sa forme diphonique par Gentry Densley de Eagle Twin, par exemple. Bref, le concept est là, mûr et affirmé, reste à en apprécier la réalisation et l’intérêt musical.
En tant que disque, SteppenDoom défriche donc un territoire musical absolument vierge (chez Eagle Twin, le chant diphonique est occasionnel, au service d’un album de doom metal, donc pas la même intention qu’ici). Musicalement, l’objet est difficile à décrire, a fortiori car chaque titre est très différent l’un de l’autre. On passe de morceaux effectivement plutôt doom (“Garuda Khuresh”) à des titres de pure émanation ethnique (“A-dkar Theg Pa”) en passant par toutes les strates de plans expérimentaux noise/bruitistes et de drone. Les différentes nuances de chant apportent un surplus de relief à chaque titre, allant du traditionnel diphonique jusqu’aux divagations gutturales les plus glauques (plus souvent qu’à son tour on pensera à certains titres de Sunn-o))) interprétés par Attila Csihar).
Même si Urselli, multi-instrumentiste, assure la base musicale commune de tous les titres, c’est bien sur ses guests prestigieux que la rumeur autour du disque s’est développée. Dans les faits, les contributions sont très hétérogènes, mais ont pour point commun de rarement apporter ce que l’on aurait pu de prime abord imaginer (espérer ?). Matt Pike vient apporter quelques lignes de guitare au milieu de ce concours de dissonances mélées d’open chords graveleux en fond de “Etuken Eke & Od Ana”. Pas de quoi émoustiller quand même les groupies les plus fanatiques. Autre contribution très attendue, le riffing de Lori S. d’Acid King sur “Sedna and Eliduc” ne trahit pas trop son origine, avec un son de guitare qui ne rappelle pas vraiment le trio doom de la bay area. Aaron Aedy (Paradise Lost) apporte lui quelques leads et riffs un peu plus construits sur “Garuda Khuresh”, tandis que Johannes Persson (Cult of Luna) de manière assez prévisible contribue à l’ambiance lente et poisseuse de “Agloolik Igaluk” avec notamment son riff joué quasi ad lib pendant plusieurs minutes. La contribution de Steve Von Till (Neurosis) est plus surprenante, sur “Tamag and Ocmah”, un titre très lent et à la rythmique répétée à outrance, qui ne dénoterait pas dans la discographie de Earth. Quant aux contributions de Wino et de Dave Chandler (Saint Vitus), elles sont d’ordre plus “bruitistes” que réellement musicales, et viennent se noyer dans ce “A-dkar Theg Pa” de 33 minutes (!!), une plage sans relief qui vient étirer son ambiance ethno-contemplative en déroulant quasiment la même séquence sonore, seulement perturbée parfois par une lointaine ligne de feedback de guitare, de voix distantes, de percussions saugrenues… A noter que ce dernier titre ainsi que “Sedna and Eliduc” (avec Lori d’Acid King) ne figurent pas sur le vinyl, mais seulement dans l’édition collector (50 eur en CD, 100 eur en vinyl…).
C’est à l’aune de son objectif que l’on doit évaluer le projet SteppenDoom. Le discours promotionnel autour du disque met en avant la dissonance culturelle et les origines antagonistes entre ces musiques traditionnelles et le metal… nous n’irons pas sur ce terrain là, un peu “capillo tracté”. Si l’objectif est de faire découvrir le chant de gorge à travers certains de ses plus emblématiques interprètes dans le monde, l’objectif est atteint : rendre accessible à un public plus large cette technique musicale si particulière (et adaptée à tant d’ambiances et de contextes) est louable et intéressant. Si votre objectif est d’écouter un bon disque de doom, doté de riffs lourds et gras, vous ne trouverez pas vraiment votre bonheur dans ce disque. Si en revanche vous n’êtes pas hermétique à l’expérimentation musicale tendance “bruitiste”, que l’avant-garde musicale poussée dans ses retranchements vous intéresse, au détriment de la simple musicalité parfois, ce disque pourrait vous plaire.
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